Silencieuse sur le régime syrien jusqu’à la chute du clan Assad, l’eurodéputée Rima Hassan de La France insoumise est accusée de double discours. Elle s’est défendue sur X.
Table couverte de mets orientaux, fleurs blanches en gros plan, selfie cheveux au vent dans une voiture, sourire aux lèvres… avec ces clichés à la mise en scène soignée, Rima Hassan publie sur Instagram son quotidien dans le camp palestinien de Neirab, en banlieue d’Alep (Syrie), début mars 2024. Un voyage sur les pas de sa famille et motivé par l’écriture d’un livre autobiographique.
À l’époque, déjà, son déplacement fait grincer les dents des opposants à Bachar el-Assad. « Par quel miracle a-t-elle pu entrer en Syrie et repartir tout aussi tranquillement pour Amman (Jordanie) ? » s’interrogeait notre chroniqueur, l’écrivain franco-syrien Omar Youssef Souleimane, exilé depuis douze ans en France.
Car le camp palestinien de Neirab a toujours été contrôlé d’une main de fer par le régime syrien. Impossible d’y entrer sans de précieuses autorisations. Rima Hassan y est pourtant parvenue. Sans jamais dire comment. La jeune femme a grandi à Neirab jusqu’à l’âge de 10 ans avant de se réfugier en France en 2002. Ses arrière-grands-parents avaient rallié la Syrie au moment de la Nakba, l’exil forcé des Palestiniens en 1948.
La députée LFI a fait de la cause palestinienne son mantra politique. Or, les Franco-Syriens digèrent mal son silence sur les Palestiniens de Syrie, maltraités, voire massacrés par le régime d’Assad depuis dix ans. « Avant 2011, un demi-million de personnes originaires de Palestine habitaient la Syrie. Une grande partie d’entre elles vivaient dans des camps, explique Omar Youssef Souleimane. Le plus grand était celui de Yarmouk, à Damas, créé en 1957. S’y sont déroulées de grandes manifestations d’opposition au régime syrien… qui a réagi au moyen d’arrestations arbitraires et de tirs sur des civils, avant de bombarder le camp. » En dix ans, plus de 3 000 Palestiniens opposants au régime auraient été arrêtés, dont 98 venant de Neirab, le camp de Rima Hassan.
Le silence de Rima Hassan sur la Syrie au Parlement européen
Depuis ce passage polémique à Neirab en mars, la militante pro-palestinienne a été élue députée européenne. À Strasbourg, ses interventions portent sur Gaza, mais aussi sur les femmes en Iran ou la situation des Ouïgours. Jamais, cependant, de la Syrie.
Ce 8 décembre, le régime de Bachar el-Assad est tombé. Le despote et sa famille ont fui le pays, peut-être vers Moscou (Russie). Le même jour, Rima Hassan évoque pour la première fois sur X le régime syrien. « La chute du régime d’Assad marque une nouvelle page pour le peuple syrien dont la révolution a été confisquée par les puissances régionales et occidentales, écrit-elle. Cet avenir politique qui se dessine, aussi incertain soit-il à l’heure actuelle, nous oblige après 14 années de dictature et d’impasse qui ont sacrifié la vie de millions de civils syriens. »
La chute du régime d’Assad marque une nouvelle page pour le peuple syrien dont la révolution a été confisquée par les puissances régionales et occidentales. Cet avenir politique qui se dessine, aussi incertain soit-il à l’heure actuelle, nous oblige après 14 années de dictature…
— Rima Hassan (@RimaHas) December 8, 2024
Après plusieurs mois de silence, s’agit-il d’une posture ? Ses détracteurs rappellent à la juriste en droit international que la dictature des Assad a duré 53 ans, non 14, et lui reprochent de ne jamais avoir évoqué l’utilisation d’armes chimiques par Assad. Pas un mot, non plus, des près de 100 000 morts (pourtant palestiniens) du camp de Yarmouk, bombardé par le régime syrien en 2013. En réponse, la députée LFI cite simplement une conférence confidentielle en juin 2022, où elle présentait le film Little Palestine, et qui a pour sujet Yarmouk.
Ressort aussi une interview de Rima Hassan le 1er février, keffieh autour du cou, par la chaîne Al Mayadeen, décrite par les spécialistes du Moyen-Orient comme le mégaphone du Hezbollah et du régime d’Assad. Elle affirmait alors auprès de Libération ne pas « avoir été au courant » du positionnement de cette chaîne, où la mort du chef du Hezbollah Hassan Nasrallah y a récemment été annoncée par une présentatrice en larmes…
Quand Jean-Luc Mélenchon relativisait les crimes de Bachar el-Assad
Piquée sur la Syrie, Rima Hassan n’a jamais vraiment répondu, y compris lorsque Le Point l’a questionnée lors d’une longue enquête en mai dernier. Craint-elle des représailles pour sa famille en Syrie ? C’est ce qu’elle laisse entendre, sur la défensive, ce 8 décembre. « Aucun de vous ne mesure le poids sur nos épaules, nous Palestiniens, doublement exilés quand on sait que le camp de sa propre famille est contrôlé par le régime et qu’ils risquent à tout moment d’être arrêtés », répond Rima Hassan, sous le feu des critiques. Sans évoquer son ascendance familiale avec la grande bourgeoisie syrienne.
Plusieurs spécialistes de la Syrie soulignent néanmoins des ambiguïtés sur le régime Ces derniers jours, les sorties relativistes, voire complaisantes de Jean-Luc Mélenchon avec le régime d’Assad ressortent en ligne. En 2015, le leader Insoumis remettait presque en cause l’existence des bombardements russes sur des populations civiles en Syrie. « Vous connaissez une guerre où les civils ne reçoivent pas de bombes ? » relativisait-il aussi sur le plateau de Public Sénat. En 2016, Mélenchon félicitait encore Poutine pour avoir « réglé le problème en Syrie ». Ce 8 décembre, l’Insoumis a retourné sa veste et s’est « réjoui à 100 % de la chute du régime d’el-Assad en Syrie ».
La chute d’Assad va sans doute permettre d’ouvrir les archives secrètes du régime. Peut-être en saura-t-on plus sur les voyages de certains députés français, comme celui de l’eurodéputé RN Thierry Mariani, qui sirotait avec indécence du vin rouge français à Saidnaya à l’été 2019, près de la prison où des milliers d’opposants au régime d’Assad étaient torturés et exécutés. En 2016, Thierry Mariani était accompagné de députés LR, dont Valérie Boyer. On pense aussi à ce séjour tout sourire de Dieudonné, Alain Soral, du complotiste Thierry Meyssan et de l’ex-président du GUD Frédéric Chatillon au pays d’Assad au début des années 2010. Et d’autres visites de Français pro-Assad dont les zones d’ombre restent encore à éclaircir…
le journal ‘Le Point’ est moins bavard sur la présence de Assad à la… tribune présidentielle lors du défilé du 14 juillet 2008