Et nous revoilà dans l’embarras. C’est qu’on ne voudrait pas gâcher la fête : le grand Bachar – dentiste de formation, dictateur de profession – s’en est allé.
« Damas outragé ; Damas brisé ; Damas libéré », qu’on nous raconte même à la télé. Faut dire qu’il était pas commode, le Bachar: des cachots parmi les pires de la planète, de la torture en veux-tu en voilà et même des attaques chimiques sur sa population. Alors on serait tenté de se réjouir pour les Syriens. Même qu’on était plutôt content pour eux, au départ. Mais voilà : on y croit plus trop, aux promesses d’un nouveau monde.
Suffit de regarder les prochain locataires – potentiels squatteurs à durée interminée – qui vont vivre dans les meubles des al-Assad. Des « rebelles », titrent la presse francophone. « Des rebelles islamistes », précisent tout de même les canards plus sérieux. Vous la sentez, cette hésitation des médias face au rebattage des cartes dans la région ? Les journaleux ne savent plus quoi penser – en même temps, pas évident de se forger un avis sur une situation qui n’intéressait plus personne depuis des années jusqu’à la semaine dernière. « C’est qui les méchants maintenant ?», s’enquiert certains auprès des experts du sujet. « Est-ce que les nouveaux sont aussi méchants que les anciens ? », s’inquiètent d’autres.
Sur le plateau de C Politique, sur la cinquième chaine, un grand reporter du Monde nous explique qu’il faut juger Abou Mohammed al-Joulani, le patron d’Hayat Tahrir al-Sham (HTS), le regroupement de barbus qui vient de « délivrer » Damas, sur ses actes. « Car il a une expérience de pouvoir, il faut voir comment il a géré la région d’Idlib depuis 2016-2017 », détaille-t-il. On est content d’apprendre que « les minorités y avaient leur place » ; que « les opposant à Bachar et à al-Joulani » aussi, avec quelques passages par la case prison tout de même, précise-t-il. Qu’en définitif : le patron d’HTS « fait de l’autoritarisme islamique mais pas de la dictature, pas de l’extermination », que ce n’est « pas une grande démocratie mais qu’on ne meurt pas pour ses idées ».
Faut dire qu’il a presque une bonne bouille, le Abou Mohammed al-Joulani, dans son treillis militaire avec sa casquette façon Che Guevara ou Fidel Castro. Force est de constater qu’il fait des efforts pour se notabiliser et plaire à l’Occident, faire douter les gouvernements et la presse sur son potentiel criminel. « Car ce n’est pas la moitié d’un djihadiste », rappellera, Hugo Micheron, spécialiste du sujet, sur le plateau de France 5. Avec des passages remarqués chez al-Qaida en Irak, l’État islamique d’Irak et le Front al-Nosra, al-Joulani aurait été le premier à tenter de « djihadiser la rébellion syrienne », détaillait le spécialiste.
Pour son administration de la région d’Idlib, le « pas une grande démocratie » de notre confrère du Monde apparait comme un doux euphémisme. « C’était plus ouvert que ce à quoi ressemblait Daesh, et encore heureux, mais on était quand même sur un système qui reposait sur une interprétation hyper stricte de la charia », détaillera Hugo Micheron.
Il s’agit donc de ne pas tomber dans le panneau : l’enjeu, pour al-Joulani, c’est de nous convaincre, avec de grands sourires, que tout va bien se passer. Promis, nous dit-il, le méchant, ce n’est plus lui.
« Dentiste de formation » ? Non ! Bachar est ophtalmo.
Oui, il est censé avoir une bonne vue, ce qui est surprenant pour quelqu’un qui jure n’avoir jamais VU de tortures ni d’armes chimiques sur son territoire.