Observateur éclairé du conflit israélo-palestinien, le journaliste Charles Enderlin a coréalisé une série documentaire factuelle précieuse. Rencontre.
Pendant près d’un demi-siècle, d’abord pour une radio israélienne puis pour France 2 (de 1981 à 2015), le journaliste franco-israélien Charles Enderlin, 79 ans, a rendu compte depuis Jérusalem du conflit israélo-palestinien. Auteur de nombreux ouvrages et de films sur le sujet, il signe, avec le réalisateur Dan Setton, Israël/Palestine, l’impossible coexistence ? Une chronologie ultra documentée et factuelle en trois parties pour connaître et comprendre l’origine d’un conflit, source de nombreuses interprétations. Une somme historique précieuse, indispensable, réalisée et montée en à peine six mois, essentiellement en Israël. L’ancien correspondant de guerre en délivre les coulisses.
Comment le projet du film s’est-il imposé ?
Les massacres du 7 octobre 2023 ont ramené le conflit israélo-palestinien en tête de l’actualité mondiale, alors qu’il avait pratiquement disparu des écrans depuis près d’une quinzaine d’années. Il n’était plus couvert par les principaux médias ou très ponctuellement, en cas d’affrontements particulièrement sanglants. Pour ma part, au fil des ans, je voyais l’évolution quasi inexorable des deux sociétés vers une crise que je craignais catastrophique. Le Hamas se renforçait avec le soutien indirect des gouvernements israéliens, d’Ariel Sharon et surtout de Benyamin Netanyahu. En Israël, la montée du fondamentalisme messianique conduisait à un renforcement de la colonisation. Il fallait donner aux téléspectateurs les clés pour comprendre comment ce conflit — à l’origine national et territorial — s’est transformé en une forme de guerre de religion, et pour cela rappeler les points de repère historiques.
Pourquoi avoir choisi ce parti pris très factuel ?
Les extrêmes, qu’il s’agisse des islamistes ou de la droite annexionniste israélienne, vous diront que ces films ne sont en fait que ma vision personnelle. Pour les uns, Yasser Arafat n’était qu’un terroriste dont le but était la destruction d’Israël et ils revendiquent une terre qui ne peut appartenir qu’au peuple juif. Pour les autres, le Hamas est un mouvement de libération, il n’y a pas place pour un État juif en Palestine, terre d’Islam. Et tous vous expliquent qu’un accord est dangereux. La série le raconte assez clairement.
Qu’espérez-vous ainsi apporter aux téléspectateurs ?
Quelques clés de compréhension. Un contexte, des faits permettant de battre en brèche les éléments de communication et de propagande des uns et des autres. Il est important de montrer que ce conflit provient du développement des deux fondamentalismes. Si on réussit à expliquer cela, je crois que nous aurons gagné.
Comment équilibrer les propos dans un conflit qui divise autant ?
En l’occurrence, nous n’avons pas cherché à équilibrer, mais à présenter les témoignages les plus proches de la réalité, telle que nous l’avons vécue et la vivons encore au quotidien, en Israël et en Palestine. On peut très bien entendre un Israélien raconter des événements qui correspondent tout à fait à la vision palestinienne, et le contraire. Nous n’avons été guidés que par la seule volonté d’avoir les intervenants les plus pertinents possibles.
Comment êtes-vous parvenu à convaincre ces témoins israéliens et palestiniens de se livrer ?
Il n’a pas été nécessaire de les convaincre. Nous avons essuyé très peu de refus. Tous les intervenants qui apparaissent voulaient témoigner. Par exemple, les anciens patrons des services de renseignements palestiniens qui s’expriment pour la première fois. Il faut dire qu’après mon départ du bureau de France 2 à Jérusalem en août 2015, j’avais gardé le contact avec mes sources tant israéliennes que palestiniennes. En Cisjordanie mais aussi à distance, avec mes connaissances et amis à Gaza.
Le temps. En nous confiant le défi de réaliser trois heures de film, sur un tel sujet et en un délai aussi court, France Télévisions a fait preuve d’une marque de confiance envers tous les participants à ce projet, les équipes à Jérusalem, Tel-Aviv, Ramallah et Paris. Pas simple, d’autant plus que cela s’est passé dans un pays en guerre, avec des alertes régulières qui nous ont fait parfois perdre des journées de tournage. À deux reprises, l’accès à la Cisjordanie nous a été bloqué. Enfin, il a fallu faire des choix, renoncer à des faits qui, bien qu’importants, n’apportaient pas d’éléments indispensables pour comprendre le fil de l’histoire.
Depuis le 7 octobre 2023, a-t-on basculé dans un nouveau chapitre de ce conflit ?
Nous avons intitulé le troisième épisode « La descente aux enfers ». C’est exactement cela. C’est cette histoire-là qu’il va falloir décrypter, analyser et raconter. Le drame des otages encore détenus par les islamistes à Gaza. L’immense tragédie des dizaines de milliers de morts civils à Gaza, le nettoyage ethnique de certains secteurs de l’enclave. Sans parler du combat mené par les mouvements pro-démocratie en Israël, face au gouvernement le plus à droite, le plus annexionniste, le plus religieux de l’histoire du pays.
Que vous inspire le mandat d’arrêt émis contre Benyamin Netanyahou par la Cour pénale internationale ?
Les dirigeants israéliens savaient parfaitement qu’ils pouvaient éviter une telle décision en traduisant en justice les militaires soupçonnés de crimes de guerre, et surtout en mettant sur pied une commission d’enquête judiciaire indépendante qui aurait examiné les circonstances dans lesquelles s’est déroulée la guerre à Gaza, avec ce nombre épouvantable de victimes civiles. C’est ce que l’on attend d’une démocratie en état de fonctionner. Ce n’est pas le cas en Israël. Benyamin Netanyahou ne veut pas d’une enquête indépendante qui pourrait révéler comment, pendant près de quinze ans, sa politique envers la Palestine et le Hamas a mené aux massacres du 7 octobre 2023. En 1982, la commission d’enquête sur les massacres de Sabra et Chatila a obligé Ariel Sharon à démissionner du ministère de la Défense. Autre temps.
Cette série documentaire pose la question d’une « impossible coexistence », mais n’est-elle pas devenue une réalité ?
C’est malheureusement le cas. Une majorité au sein du gouvernement israélien et de sa coalition parlementaire est en faveur de l’annexion du nord de Gaza afin d‘y reconstruire des colonies. Pendant ce temps, en Cisjordanie, la colonisation se développe alors que la politique israélienne vise à affaiblir l’autorité autonome de Mahmoud Abbas. Tout dépendra désormais des décisions que prendra l’administration Trump. Je ne suis pas optimiste.
À lire
Dernier livre : Le Grand Aveuglement. Israël face à l’islam radical, réédition du livre paru en 2009, enrichi d’analyses et de témoignages post-7 Octobre.
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