« Huit ans que j’attends d’exposer la vérité » : Netanyahou devant la justice

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Le Premier ministre israélien, qui crie à la persécution politique, est inculpé pour corruption, fraude et abus de confiance dans trois affaires pénales.

Ce mardi, au tribunal de Tel-Aviv, l’accusé est le Premier ministre d’un pays en guerre, Benyamin Netanyahou. C’est la première fois qu’un chef de gouvernement israélien en exercice comparaît à la barre des témoins dans un procès pénal. Pour des raisons de sécurité, il a donné son témoignage dans une salle d’audience située dans le sous-sol du palais de justice.

Le rythme prévu pour ces audiences – dont environ une quinzaine devrait être nécessaire, selon les experts – est de trois par semaine. À chaque fois, de 10 heures à 16 heures. Comment l’homme qui supervise les opérations militaires qui se poursuivent sur plusieurs fronts peut-il mener les affaires de l’État, urgentes et courantes, alors qu’il est appelé à répondre tous les lundis, mardis et mercredis, dix-huit heures par semaine, aux questions du parquet et de ses avocats ? Ces derniers ont demandé aux juges de prendre en compte « les contraintes supplémentaires et spécifiques qui surgiront lors de l’audition du témoignage ». Ces derniers ont statué que « tant qu’il sera nécessaire d’arrêter temporairement l’audience, sur une base justifiée, l’affaire sera examinée au moment où surviendra le motif de l’interruption ».

Des changements sont déjà prévus. Mercredi, par exemple, dès le deuxième jour de témoignage, Netanyahou a obtenu que l’audience se tienne plus tard, de 14 h 30 et 20 heures, ce qui lui permettra d’être présent à la Knesset (le parlement), à Jérusalem, en l’honneur du président du Paraguay en visite en Israël.

L’été dernier, Netanyahou avait demandé au tribunal de reporter son témoignage de huit mois, invoquant sa nécessité de gérer la guerre. Les juges avaient accepté un report de près de six mois. Le mois dernier, ses avocats ont déposé une demande de délai supplémentaire, refusée. Cette semaine encore, à l’approche de l’échéance, les ministres du cabinet de sécurité ont demandé à la conseillère juridique du gouvernement, Gali Baharav-Miara, de retarder le témoignage en raison de la chute du président syrien Bachar el-Assad. Sa réponse : « Il est interdit au cabinet de débattre du sujet. Il s’agit là d’une ingérence politique. »

Pas d’improvisation devant les journalistes

À la veille de se retrouver à la barre, Netanyahou a tenu à ce que le public israélien le voie derrière son podium de Premier ministre. Il a organisé une conférence de presse, où il a d’abord détaillé les défis et le développement sécuritaire de la région, évoqué les otages israéliens encore retenus à Gaza (au nombre de 100, selon le chiffre officiel). Puis il a répondu aux questions des journalistes, toutes envisagées à l’avance. Ses réponses étaient prêtes, écrites avec soin et lues. Pas d’improvisation.

« J’attends ce jour depuis huit ans. Cela fait huit ans que j’attends d’exposer la vérité. Huit ans que j’attends de faire enfin exploser les accusations délirantes et infondées portées contre moi », a déclaré Netanyahou. « Cela fait huit ans que j’attends de révéler comment fonctionne le système. La méthode est celle d’une chasse brutale, ces enquêtes sont nées dans le péché. En l’absence d’infraction, ils en ont cherché une ; ils n’ont pas pu en trouver, alors ils en ont inventé. » L’homme à la tête du pays et de ses institutions accuse clairement la justice de le persécuter injustement, à des fins politiques. Ce n’est pas la première fois.

« Son affirmation victimaire et erronée selon laquelle il aurait attendu huit ans pour enfin témoigner est une mauvaise plaisanterie », a réagi le chef de l’opposition, Yaïr Lapid. « La raison pour laquelle cela a pris si longtemps est que, comme le dernier des criminels, Netanyahou a utilisé toutes les ruses possibles […] pour repousser l’échéance encore et encore. La justice ne le persécute pas. La conseillère juridique du gouvernement ne le persécute pas. La seule chose qui le hante, c’est son passé. Il a enfreint la loi. Il doit payer pour cela. »

Le procès de Netanyahou a commencé il y a près de quatre ans, le 24 mai 2020. Il est inculpé de corruption, de fraude et d’abus de confiance dans trois affaires pénales distinctes.

  • Affaire 4000 : Le Premier ministre est accusé d’avoir accordé de lucratives et illicites concessions réglementaires gouvernementales au géant des télécommunications Bezeq en échange d’une couverture médiatique favorable sur le site d’information Walla, alors propriété de Bezeq. L’actionnaire majoritaire de Bezeq à l’époque des faits, Shaul Elovitch, est coaccusé dans cette affaire.
  • Affaire 2000 : Netanyahou est accusé d’avoir tenté de négocier une couverture médiatique favorable auprès du coaccusé Arnon Moses, propriétaire du quotidien Yedioth Ahronoth, le plus grand tirage d’Israël, en échange d’une législation qui aurait affaibli un quotidien rival, Israel Hayom.
  • Affaire 1000 : Il est accusé de fraude et d’abus de confiance concernant des cadeaux (cigares et champagne de prix) qu’il aurait reçus pendant plusieurs années du magnat hollywoodien Arnon Milchan et du milliardaire australien James Packer. Au cours du procès, des témoins ont raconté les tentatives de Netanyahou de convaincre Packer d’acheter le quotidien Yedioth Ahronoth. Quant à Milchan, Netanyahou aurait envisagé la possibilité qu’il achète une des principales chaînes de télévision, Channel 10 (devenue depuis Reshet 13).

L’affaire 1000 est considérée comme la plus solide, présentée par l’accusation comme un cas « classique » d’acceptation de cadeaux tangibles en échange de faveurs politiques ou financières, contrairement aux deux autres affaires de corruption dans lesquelles les faveurs prétendument accordées par Netanyahou l’étaient en échange d’une couverture médiatique positive, ce qui est plus difficile à quantifier.

Selon la loi israélienne, la peine maximale pour une condamnation pour corruption est de dix ans de prison, mais cela est très peu probable, les juges ayant recommandé au parquet l’abandon des poursuites pour ce chef d’accusation, pointant les faiblesses de l’affaire 4000. La peine maximale pour fraude et abus de confiance est de trois ans de prison.

Par Emmanuelle Elbaz-Phelps, correspondante en Israël

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