Des juifs «innocents» ou la caution juive des antisémites, par Brigitte Stora

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Pour certains groupes de «juifs antisionistes» français, la solidarité avec les juifs est suspecte d’être une défense du pouvoir et du privilège ; la dénonciation de l’antisémitisme n’est qu’instrumentalisation. C’est à ce prix qu’ils prouvent leur « innocence ».

Des sondages sont venus, hélas, le confirmer, le discours antisémite dénonçant l’élection usurpée, la spoliation, le privilège, a contaminé des gens qui, étrangement, se pensent de gauche. Ce conspirationnisme qui désignait entre tous les peuples de la terre un seul groupe humain toujours coupable, avait permis la Shoah. Il se poursuit, après elle, malgré elle…

Avec toutefois une différence ; les juifs seraient devenus nazis.

On se souvient de Simone Veil, accusée de faire « le choix du génocide » par l’extrême droite opposée à la loi sur l’IVG. Issue d’une longue histoire qui l’a vue naître dans les milieux fascistes négationnistes, migrer vers la propagande stalinienne, le nationalisme arabe, l’islamisme, cette infamie, toujours présente chez les suprémacistes blancs, a désormais contaminé une partie d’une prétendue gauche déboussolée.

« L’étoile de David est devenue un symbole de suprématie et de fascisme » peut-on lire dans un texte publié sur le site de l’UJFP. Cette phrase résume le propos répété partout par des groupes de « juifs antisionistes » (parmi lesquels l’UJFP, l’Union juive française pour la paix et Tsedek, collectif juif décolonial). A l’heure où les agressions antisémites ont augmenté de 300 % depuis l’an dernier, la criminalisation délibérée de ce symbole qui orne les synagogues, la mémoire mais aussi les tombes juives est une claire mise en péril des juifs.

Il faut sans doute réaffirmer la légitimité d’une critique, fut-elle radicale, de la politique israélienne. L’écrasement de Gaza et de ses habitants, l’occupation militaire et les implantations illégales font l’objet d’une condamnation sans appel de la part de nombreux groupes juifs et non juifs qui combattent à la fois le racisme et l’antisémitisme. Mais ni Golem, ni le RAAR ou JJR n’ont jamais eu la moindre accointance avec l’antisémitisme et son discours (1).

Ceux qui dédouanent ?

Les militants antisionistes professionnels qui ne s’expriment « en tant que juifs » qu’à la condition expresse de dénoncer ce nom, sont bien peu représentatifs. Car si nombre de Juifs en Israël et ailleurs désapprouvent Netanyahou et sa politique criminelle, ils sont bien peu à trouver des vertus au Hamas et au Hezbollah (2). Très peu parmi les 14 millions qui peuplent la planète, considèrent le 7 octobre comme un acte de « résistance » ou voient une quelconque parenté entre Yahya Sinouar [chef armé de la branche du Hamas, architecte des massacres de civils israéliens perpétrés le 7 octobre 2023, mort en octobre] et Missak Manouchian.

La place médiatique et privilégiée qu’occupent ces juifs « exceptionnels » devrait interroger. Par leur référence obsessionnelle à l’extermination des Juifs, ne sont-ils pas ceux qui dédouanent et autorisent l’affranchissement antisémite en soulageant la mauvaise conscience occidentale ?

Ils sont aussi les plus féroces procureurs contre les autres juifs qu’ils somment de condamner le pays où vivent la majorité des Juifs du monde. Telle est, selon ces inquisiteurs, le seul moyen pour les juifs de prouver leur « innocence », leur seule expiation possible.

Bien sûr, la dénonciation de l’antisémitisme n’est pour eux qu’instrumentalisation (3) et la solidarité avec les Juifs est dénoncée comme suspecte, complice d’un agenda caché ; celui de la défense du Pouvoir et du Privilège voire de la criminalité intrinsèque d’Israël.

Ainsi, bien avant les massacres de Gaza, ils ont dénié presque chaque meurtre antisémite (Ilan Halimi, Mireille Knoll, Sarah Halimi). Alliés au PIR [Parti des Indigènes de la république], ils furent chaque fois appelés à la barre pour soutenir et pétitionner pour la défense de Tariq Ramadan, René Balme, Houria Bouteldja, …

D’où vient l’exceptionnelle indulgence dont ils bénéficient alors même que leur discours, s’il stigmatisait par amalgame toute autre minorité, serait clairement dénoncé comme raciste ? De quelle tradition se réclament ces Juifs dont l’exceptionnelle « innocence » ne se fonde que sur la désignation des autres Juifs désignés coupables ?

Il n’y a hélas rien de nouveau à ce que des opprimés adoptent sur eux-mêmes le discours et le regard de l’oppresseur. « Lorsque le colonisé adopte ces valeurs, il adopte en inclusion sa propre condamnation. Pour se libérer, du moins le croit-il, il accepte de se détruire. Le phénomène est comparable à la négrophobie du nègre et à l’antisémitisme du juif. Beaucoup de juifs, s’ils le pouvaient s’arracheraient l’âme ; cette âme dont on leur dit qu’elle est mauvaise irrémédiablement » écrivit Albert Memmi.

L’histoire de l’antisémitisme est ainsi jalonnée de ces cautions juives, qui dans une perversion prophétique, sont venues témoigner contre leur nom, apportant à l’entreprise antijuive la légitimité qui lui manquait. L’Eglise catholique fit régulièrement appel à d’anciens juifs convertis pour ses célèbres controverses religieuses. Qui mieux qu’eux pouvaient venir proclamer leur nécessaire abolition (Voir Alain Badiou, « Circonstances. Portées du mot juif », Leo Scheer, 2008) ?

L’antisémitisme stalinien s’en fit plus tard l’héritier ; des commissaires politiques juifs, infaillibles dans la chasse aux « trotskistes cosmopolites » jusqu’aux dénonciateurs – au moment du « complot des blouses blanches » des « médecins sionistes, empoisonneurs », accusés d’avoir « créé les conditions d’un renouveau de l’antisémitisme » –, ils furent nombreux à « s’arracher l’âme »… Ces méthodes sont toujours monnaie courante dans la mouvance antisioniste et jouèrent un rôle dans le naufrage négationniste d’une partie de l’extrême gauche (ainsi après avoir témoigné pour Faurisson en 1984, Noam Chomsky récidivait, en 2010, prenant la défense du néonazi Vincent Reynouard).

Tous coupables sauf un

Pourtant, à seulement évoquer la lâche allégeance voire la « haine de soi », on risque de passer à côté de l’essentiel. Car nombre de ces Juifs exceptionnels ne se détestent pas, au contraire ils s’adorent. Ils se mirent et s’admirent dans le miroir de l’antijudaïsme chrétien, ils sont les Juifs innocents, témoins à charge contre les « leurs ».

Il n’y a hélas rien de nouveau à ce que des opprimés adoptent sur eux-mêmes le discours et le regard de l’oppresseur. « Lorsque le colonisé adopte ces valeurs, il adopte en inclusion sa propre condamnation. Pour se libérer, du moins le croit-il, il accepte de se détruire. Le phénomène est comparable à la négrophobie du nègre et à l’antisémitisme du juif. Beaucoup de juifs, s’ils le pouvaient s’arracheraient l’âme ; cette âme dont on leur dit qu’elle est mauvaise irrémédiablement » écrivit Albert Memmi.

L’histoire de l’antisémitisme est ainsi jalonnée de ces cautions juives, qui dans une perversion prophétique, sont venues témoigner contre leur nom, apportant à l’entreprise antijuive la légitimité qui lui manquait. L’Eglise catholique fit régulièrement appel à d’anciens juifs convertis pour ses célèbres controverses religieuses. Qui mieux qu’eux pouvaient venir proclamer leur nécessaire abolition (Voir Alain Badiou, « Circonstances. Portées du mot juif », Leo Scheer, 2008) ?

L’antisémitisme stalinien s’en fit plus tard l’héritier ; des commissaires politiques juifs, infaillibles dans la chasse aux « trotskistes cosmopolites » jusqu’aux dénonciateurs – au moment du « complot des blouses blanches » des « médecins sionistes, empoisonneurs », accusés d’avoir « créé les conditions d’un renouveau de l’antisémitisme » –, ils furent nombreux à « s’arracher l’âme »… Ces méthodes sont toujours monnaie courante dans la mouvance antisioniste et jouèrent un rôle dans le naufrage négationniste d’une partie de l’extrême gauche (ainsi après avoir témoigné pour Faurisson en 1984, Noam Chomsky récidivait, en 2010, prenant la défense du néonazi Vincent Reynouard).

Tous coupables sauf un

Pourtant, à seulement évoquer la lâche allégeance voire la « haine de soi », on risque de passer à côté de l’essentiel. Car nombre de ces Juifs exceptionnels ne se détestent pas, au contraire ils s’adorent. Ils se mirent et s’admirent dans le miroir de l’antijudaïsme chrétien, ils sont les Juifs innocents, témoins à charge contre les « leurs ».

L’accusation qu’ils portent contre les autres juifs n’est pas, selon eux, vilenie ou trahison, elle vaut rédemption pour l’ensemble de l’humanité. Rien de moins.

Les luttes féministes, les combats antiracistes et anticoloniaux ont proclamé l’urgence de la désaliénation, condition d’une fierté retrouvée. Ils continuent, à juste titre, d’alerter sur la persistance de représentations et d’imaginaires qui ont validé et reconduit l’oppression. Le patriarcat, le racisme mais aussi l’antisémitisme ont structuré des visions du monde.

Comment oublier que depuis plus de 2000 ans, l’Occident chrétien s’est d’abord fondé sur une passion ; celle de l’adoration de la mort d’un Juif nommé Jésus. Car c’est bien au nom de l’amour pour ce Juif exceptionnellement innocent, mort sur la croix pour sauver l’humanité, que l’Eglise a condamné les autres à l’éternelle damnation.

L’antijudaïsme est ainsi une vertu, une réponse à ceux qui, par leur seule existence, menacent la communion universelle. Ces Juifs antisionistes « adorables » semblent poursuivre la démarche christique. Elle est sans doute là, l’« exception juive » qu’ils dénoncent et espèrent dans le même mouvement incarner.

Il fut un temps où l’étoile jaune, cousue sur le cœur valait condamnation à mort. Il fallut du temps avant de pouvoir enfin l’arborer dans la joie et la fierté. Ce symbole que désormais beaucoup de Juifs hésitent à porter, il faudrait aujourd’hui l’arracher et crier, comme à Amsterdam, « Libérez la Palestine » pour prétendre être sauvés.

Cette nouvelle inquisition antisémite offre un alibi inespéré à la droite israélienne qui en use et en abuse jusqu’à la nausée.

A l’opposé de la nécessaire solidarité avec la cause palestinienne, elle en constitue le linceul ainsi que le naufrage de tous ceux qui, à gauche, y consentent.

(1) Golem, les JJR (Juifs et juives révolutionnaires), le RAAR (réseau d’action contre l’antisémitisme et tous les racismes) rassemblent des militants antiracistes juifs et non-juifs de gauche unis dans la lutte contre l’antisémitisme, d’où qu’il vienne. Ces groupes qui entendent combattre le confusionnisme politique sont les cibles privilégiées de l’UJFP et de Tsedek.

(2) En 2006, la philosophe américaine Judith Butler juge « extrêmement important » de considérer que le Hamas et le Hezbollah se situent dans la « gauche globale ». En mars 2023, elle persiste et signe en déclarant que les attaques du 7 octobre relevaient du soulèvement d’un mouvement de résistance.
(3) L’UJFP et Tsedek ont participé à l’ouvrage « Contre l’antisémitisme et ses instrumentalisations » de Judith Butler, Ariella aïsha Azoulay, Leandros Fischer, Sebastian Budgen, Maxime Benatouil, Houria Bouteldja, La Fabrique, 2024

BIO EXPRESS :

Journaliste et documentariste, Brigitte Stora est l’autrice de « l’Antisémitisme, un meurtre intime » aux éditions le Bord de l’eau (2024)

2 Comments

    • en attendant que cette dame vous réponde si elle le souhaite c’est moi qui le fait, pour vous dire que derrière un ton d’assurance vous n’avez pas même le courage de vos opinions, et qu’en réalité n’avez pas plus de « sympathie » pour la gauche quand elle ne s’appelle pas Mélenchon, LFI ou… Rima Hassan

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