Israël se réjouit de la chute d’Assad mais se méfie du nouveau pouvoir islamiste

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L’armée israélienne a pris pratiquement pris le contrôle du Mont Hermon dans la partie syrienne du plateau du Golan et déployé des chars et des soldats dans une « zone tampon » démilitarisée, de crainte d’infiltrations des forces rebelles anti Bachar.

Après la chute du régime de Bachar Al-Assad, l’armée israélienne ne veut prendre aucun risque, et surtout ne pas être prise par surprise en Syrie, comme cela a été le cas dans la bande de Gaza le 7 octobre de l’an dernier. Pour y parvenir, Tsahal n’a pas lésiné sur les moyens et pris le contrôle dimanche du Mont Hermon dans la partie syrienne du plateau du Golan. Il s’agit d’une position qui offre une position stratégique qui surplombe toute la région frontière et va permettre à Israël d’anticiper toute tentative d’invasion.

L’armée israélienne avait déjà pénétré samedi dans la « zone tampon » censée être totalement démilitarisée, qui sépare les deux pays, pour la première fois depuis près d’un demi-siècle.

L’objectif de ce déploiement est d’empêcher d’éventuelles infiltrations de membres des forces rebelles syriennes, « afin de vérifier qu’elles ne se tournent pas contre Israël et assuré ainsi la sécurité de la population israélienne », a affirmé le général Herzi Halevi, le chef d’état-major. Il a ajouté, en guise d’avertissement, que toute agression « provoquera une réplique défensive très, très dure ».

Armes chimiques

L’aviation israélienne a également été mise à contribution. Des avions ont ainsi attaqué, selon des sources libanaises citées par les médias israéliens pour contourner la censure militaire, plusieurs sites où était stocké du matériel militaire qualifié de « stratégique », en particulier des armes chimiques. Tsahal veut empêcher que la coalition des rebelles mette la main dessus.

Selon des experts militaires, des dizaines de kilos de gaz sarin, qui avait été utilisé notamment en 2013 par l’armée de Bachar Al-Assad contre des populations civiles hostiles au régime, auraient été cachés depuis des années. L’aviation israélienne a également bombardé un convoi de camions, dont certains étaient blindés, qui transportaient des membres de la branche armée du Hezbollah, allié de Bachar Al-Assad. Ces derniers fuyaient la Syrie pour se réfugier au Liban.

Bref, toutes les précautions sont prises. Mais comme n’a pas manqué de le souligner la radio de l’armée israélienne, les services de renseignements de l’Etat hébreu n’ont pas été capables de prévoir l’effondrement du régime de Bachar Al-Assad, de la même façon qu’ils n’ont pas vu venir l’infiltration sanglante du Hamas le 7 octobre 2023.

Echec de la « stratégie d’encerclement »

La question qui taraude désormais les commentateurs porte sur l’après-Assad. Seule certitude : les images de la prise d’assaut de l’ambassade d’Iran, qui soutenait à bout de bras Bachar Al-Assad, à Damas, ont réjoui les responsables israéliens. « C’est toute la stratégie d’encerclement d’Israël avec l’aide du Hamas au sud, du Hezbollah au nord et de la Syrie à l’est qui s’effondre », se réjouit un diplomate israélien.

De plus, le Hezbollah, qui a accepté un cessez-le-feu avec Israël le mois dernier, perd un atout majeur. Il va lui être désormais beaucoup plus difficile de faire transiter des armes iraniennes destinées au Liban, via le territoire syrien. De même, les officiers des gardiens de la révolution, la colonne vertébrale de la République islamique iranienne et éléments les plus hostiles à Israël, ont subi un grave revers en étant, du moins pour le moment, chassés de Syrie. Sur le papier, Israël a toutes les raisons de se réjouir. Mais la prudence reste de mise.

Enigme jihadiste

La grande inconnue porte sur la personnalité et surtout les intentions d’Abou Mohammed Al-Jolani, le chef de Hayat Tahrir Al-Cham, la coalition des rebelles. Cet islamiste constitue une énigme. La radio de l’armée israélienne n’a pas manqué de rappeler son passé djihadiste, tout en soulignant que son côté « pragmatique » pourrait l’inciter à ne pas chercher d’épreuve de force avec Israël et à accorder la priorité à la gestion d’une Syrie exsangue.

Une certaine inquiétude est toutefois perceptible. « Rien ne nous dit actuellement que cette apparente modération n’est pas uniquement tactique, et que nous n’allons pas nous retrouver avec un monstre djihadiste sunnite en lieu et place d’un monstre djihadiste chiite avec Bachar Al-Assad, le Hezbollah et l’Iran à notre frontière avec la Syrie », souligne le diplomate israélien.

« Bouleversement tectonique »

« En fait, on pourrait résumer la situation en estimant que ce qui se passe en Syrie nous est favorable à 60 %, mais qu’il existe aussi 40 % de chances pour que cela constitue un danger pour Israël », estime ainsi Amatzia Baram, un spécialiste de l’histoire du Moyen-Orient de l’université israélienne de Haïfa.

« Le principal motif d’espoir est que désormais nous avons les mêmes ennemis que les rebelles syriens, notamment l’Iran, ce qui pourrait aboutir à un extraordinaire bouleversement tectonique dans toute la région », ajoute ce professeur. Un responsable du ministère de la Défense israélien évoque, pour sa part, l’énorme difficulté à laquelle va être confronté le nouveau pouvoir syrien pour unifier un pays ravagé par une guerre civile qui a fait 650.000 morts, et par les fractures entre les différentes communautés religieuses et ethniques, qui ont de très lourds comptes à régler entre elles.

Pascal Brunel (Correspondant à Tel-Aviv)