« J’étais une gamine » : à bientôt 97 ans, Esther Senot garde un souvenir vivace de son arrivée en septembre 1943 au camp nazi d’Auschwitz-Birkenau, où elle est revenue ce jeudi raconter sa déportation à une centaine de lycéens.
Dans la nuit glacée, la vieille dame se tient très droite devant un châlit à trois niveaux, dans une des baraques de ce camp où le régime nazi a tué un million de Juifs.
« J’avais cette idée fixe: je ne peux pas mourir à 15 ans » se souvient Esther Senot, qui raconte le réveil sous les coups à 5 heures du matin, les appels « qui pouvaient durer des heures » et les gardiens qui leur disaient : « ne vous faites pas d’illusions, vous êtes entrées par la porte vous sortirez par la cheminée ».
Au camp de femmes de Birkenau elle a retrouvé sa sœur, déportée plusieurs mois plus tôt : « je ne l’ai pas reconnue, on aurait dit un squelette ambulant » « Elle m’a dit ‘j’irai pas plus loin. Toi tu es jeune, promets-moi si tu reviens de raconter, qu’on ne soit pas les oubliées de l’Histoire' ».
Après son récit, un grand silence s’installe dans la baraque obscure. « Votre soeur avait quel âge quand elle est morte ? finit par demander un lycéen. Sa franchise bouleverse les adolescents.
17 ans. Et mon frère 20″.
« Elle avait presque notre âge ! Je ne sais pas comment elle fait pour revenir et raconter », affirme Charlotte, 16 ans. « Je ne pensais pas pouvoir rencontrer encore un rescapé. Ça me marquera toute ma vie », ajoute Raphaël, 16 ans aussi.
Ces jeunes font partie de la centaine de lycéens emmenés chaque année à Auschwitz par le grand rabbin Haïm Korsia et le Consistoire central. Également du voyage, deux pasteurs, un imam, deux prêtres, ainsi que les députés Julien Dive, Aurélien Pradié et Guillaume Lepers, et des personnels aéroportuaires.
Le voyage a commencé dans la synagogue d’Oswiecim, la dernière de cette ville qui en comptait une vingtaine avant la Guerre. « Lire la Torah dans cette synagogue est une façon de dire, on est toujours là, c’est la véritable victoire », explique Haïm Korsia, qui insiste sur la mémoire des déportés : « On a une responsabilité collective de ne pas oublier ce qu’ils ont vécu ».
« Preuve »
Deux jours avant ce voyage, la mort d’Henri Borlant, un des derniers grands témoins de la mémoire de la Shoah, a rappelé l’urgence de cette mission. En septembre, c’est un autre rescapé. Victor Perahia, qui était décédé.
D’où l’importance, explique Haïm Korsia, d’emmener des jeunes dans ce genre de voyages : « Ils deviennent des témoins des témoins ».
Dans la partie du camp transformée en musée, les adolescents passent lentement devant les photos et vitrines où s’entassent cheveux, chaussures ou vaisselle volés aux déportés tués par les nazis.
Ce qui les a le plus marqué ? Pour Bruno, 15 ans, ce sont « les cheveux, qui sont la preuve matérielle » de l’extermination. « Les livres avec tous les noms » des personnes tuées ici, ajoute son voisin.
« On se prend tout en pleine face, même si on s’est préparés en lisant des livres ou en regardant des films. Mais on n’est jamais assez préparés », estime Elena, très marquée par « les photos de femmes ayant perdu 50 kilos » dans le camp.
A la fin de la journée, les lycéens allument une bougie devant le monument aux morts, avant que retentissent le kaddish et le choffar (une corne rituelle). « Il faut absolument que ce témoignage de vie soit une force contre ceux qui prônent la haine de l’autre et contribuent à diviser la société » leur lance le grand rabbin.
Peu avant, dans la baraque plongée dans la nuit, Esther Senot leur a livré un dernier témoignage : « si nous, à notre âge, on prend le temps de vous mettre en garde, c’est en espérant que ça ne se reproduise pas. Évitez le communautarisme. Aujourd’hui tout le monde est dans son coin, ce n’est pas une solution ».