Le grand rabbin de France, Haïm Korsia, inlassable artisan de la fraternité entre juifs et chrétiens, cultive avec la cathédrale une émotion particulière.
Grand rabbin de France, Haïm Korsia sera présent, ce samedi 7 décembre, dans la cathédrale Notre-Dame de Paris pour célébrer la réouverture de l’édifice après cinq ans de travaux. Très investi sur la question de la fraternité entre juifs et chrétiens, il cultive une émotion particulière à l’idée de retourner dans cette cathédrale qui renaît littéralement de ses cendres. Il en fait part aux lecteurs du Point.
Le Point : Qu’est-ce qu’évoque pour vous Notre-Dame de Paris ?
Haïm Korsia : Notre-Dame, c’est une part essentielle du patrimoine de l’humanité. Ce n’est pas la cathédrale des Parisiens ou des Français, mais celle du monde entier. Notre-Dame de Paris est le lieu emblématique de l’émergence d’une espérance pour l’humanité. L’art gothique, c’est l’art d’envoyer les prières des hommes vers les cieux. La mobilisation mondiale qui a eu lieu après l’incendie de Notre-Dame pour sa reconstruction fait écho au verset d’Isaïe, au chapitre 57 : « Car ma maison sera une maison de prière pour tous les peuples. »
Que retenez-vous dans l’histoire de Notre-Dame ?
Notre-Dame, c’est bien entendu l’action de grâce après la libération de Paris. Mais c’est aussi pour moi la cérémonie du 4 juin 2009, où nous étions réunis pour rendre hommage aux victimes du vol Rio-Paris : tous les cultes étaient rassemblés dans une même émotion, sans syncrétisme, mais avec une humanité partagée. Notre-Dame, c’est l’histoire de France, et de sa littérature. La cathédrale de Victor Hugo…
Et du cardinal Jean-Marie Lustiger, qui en avait fait un lieu central…
Comme tous les archevêques de Paris. Mais Jean-Marie Lustiger, en dédoublant avec son grand projet du collège des Bernardins, a donné encore plus de rayonnement à la cathédrale.
Peut-on dire que Notre-Dame est l’église de la nation, du rassemblement ?
Le culte catholique en est l’affectataire. Mais, comme toutes les cathédrales, elle est factuellement la propriété de l’État. Notre-Dame appartient à tous les Français. D’ailleurs, d’une manière symbolique, le kilométrage de nos routes démarre sur son parvis. L’émotion suscitée par son incendie et sa reconstruction dit aussi quelque chose d’un appel à la transcendance que ressent notre société.
Quand Paris a été libérée des nazis, le peuple a voulu se rassembler d’abord sous l’Arc de Triomphe, sur la tombe du soldat inconnu, puis, après avoir descendu les Champs-Élysées, il s’est rendu à la cathédrale de Notre-Dame de Paris. Comme s’il s’agissait d’établir un pont humain entre l’espérance républicaine et l’espérance spirituelle.
Des images circulent sur les réseaux sociaux montrant qu’il resterait des inscriptions antisémites sur la façade de Notre-Dame. Quelle est votre réaction ?
N’exagérons rien. Tous les rois d’Israël sont représentés sur la façade de Notre-Dame. Il y a, il est vrai, deux statues, l’une représentant l’Église dominante et rayonnante, l’autre, une synagogue avec les yeux bandés, la couronne de travers et le sceptre brisé. On retrouve cette vision sur d’autres monuments, par exemple sur la cathédrale de Strasbourg. C’est pourquoi nous développons avec l’archevêque de la ville le projet d’une œuvre artistique du peintre Garouste, qui incarne la nouvelle donne entre juifs et chrétiens, une donne de fraternité depuis la déclaration Nostra ætate de 1965.
Je n’ai jamais voulu briser le symbole du passé. Je ne suis pas dans la cancel culture. Il faut rappeler l’historicité de nos relations pour montrer le chemin parcouru jusqu’à aujourd’hui, où nous clamons ensemble, juifs et chrétiens, notre fraternité. Après l’effervescence de la réouverture de Notre-Dame, je ne désespère pas de pouvoir proposer ce projet à Paris. Le poids symbolique en serait plus important encore.