Cipav : franc-maçonnerie affairiste, corruption, commissions occultes…

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Quatre personnes, dont le directeur général et l’ex-présidente du conseil d’administration de la caisse des indépendants et des autoentrepreneurs, ont été mises en examen en octobre, notamment pour «corruption» ou «prise illégale d’intérêts». La vente d’immeubles à Paris est décortiquée par les enquêteurs.

Ils sont autoentrepreneurs ou traducteurs, experts géomètres, psychologues, architectes, issus d’une vingtaine de professions libérales, soit près de 600 000 assurés cotisant encore à leur caisse de retraite : la Cipav, ou Caisse interprofessionnelle de prévoyance et d’assurance vieillesse, un organisme de droit privé exerçant une mission de service public. Mais ces adhérents risquent de ne pas être ravis quand ils vont découvrir que les dysfonctionnements de leur caisse, qu’ils subissent depuis de nombreuses années, semblent s’être discrètement doublés d’une série de turpitudes dont la justice pénale a commencé à faire son miel.

La plainte déposée par une association d’assurés, Cipav.info, a déclenché une plongée inédite dans les coulisses d’une série de ventes d’immeubles parisiens, notamment dans les VIIIe, XVIe ou XVIIe arrondissements de la capitale, mis sur le marché par la Cipav en 2021 et 2022. Une information judiciaire a été ouverte par le parquet de Paris en 2021 pour «escroquerie en bande organisée» et «concussion», élargie ensuite à des faits de «corruption», «prise illégale d’intérêts» ou de «blanchiment aggravé». En octobre, le juge d’instruction a mis quatre personnes en examen, dont Marie-Laure Schneider, l’ancienne présidente du conseil d’administration de la caisse (de 2021 à 2023), pour «corruption passive», son directeur général, François Clouet, pour «prise illégale d’intérêts» et deux intermédiaires immobiliers, Pierre-Philippe B. et son associé Philippe R.pour «corruption active» et «recel de prise illégale d’intérêts».

«Informations privilégiées»

Selon une ordonnance judiciaire datée du 18 octobre, un «schéma de corruption» aurait été mis en place à l’été 2021, quand la caisse met en vente six immeubles sur les 18 qu’elle possède (la pierre et les placements financiers constituent des réserves qui lui permettent d’assurer sa mission), notamment parce que certains biens nécessitaient d’importants travaux. La présidente du conseil d’administration introduit alors Pierre-Philippe B. à la Cipav, lui adresse des informations confidentielles et les offres qu’elle reçoit d’éventuels acheteurs.

«[Ils] deviennent de très proches amis» et se rencontrent «régulièrement au cours de dîners dans de grands restaurants», note l’ordonnance du juge d’instruction, qui souligne que l’administratrice de la caisse «se comporte comme une associée» à l’égard de l’intermédiaire. Le duo semble d’autant plus en confiance que tous deux appartiendraient, souligne le juge, «à la franc-maçonnerie». C’est d’ailleurs le cas de nombre de protagonistes du dossier, promoteurs, avocat, notaire ou cadres de la caisse de retraite, dont les échanges sont parsemés de la formule «sous le maillet», caractéristique de la maçonnerie, garantissant le secret entre deux interlocuteurs. Selon l’analyse des conversations et des centaines de messages, menée au cours de l’enquête, ils évoquent ensemble des «frangins», se surnomment «frère» et «sœur», prévoient le «débrief fraternel» d’une réunion à venir…

Pierre-Philippe B. aurait mis en place, selon le juge, «un véritable système de corruption» afin d’obtenir «des informations privilégiées» et de «pouvoir se positionner» sur de «nombreux dossiers» de la cession immobilière en cours. Marie-Laure Schneider, soupçonne le magistrat, aurait «profité de sa fonction pour user de son influence» afin de permettre l’attribution des ventes à l’intermédiaire, en contrepartie de quoi elle «a bénéficié ou aurait dû bénéficier» de «commissions occultes», d’une somme de 175 000 euros. Les deux intermédiaires ont été rémunérés 2,8 millions d’euros sur deux transactions, les autres leur ayant finalement échappé. Dans l’une de ses auditions, le directeur général, François Clouet, s’est dit «abasourdi» par les découvertes de l’enquête.

«Il semblerait que l’enquête s’attache surtout pour l’instant aux dossiers immobiliers, constate Valérie Flandreau, l’avocate de l’association. Ce qui émerge aujourd’hui, c’est que les instances de la Cipav paraissent avoir laissé des personnes dont le sérieux était douteux se balader dans la caisse.» En janvier, la Cipav ainsi que des protagonistes de l’affaire ont diligenté une perquisition civile (une procédure qui permet la conservation de preuves, sous le contrôle de la justice) chez Cipav.info, stoppée in extremis par le magistrat instructeur tant elle aurait pu nuire au bon déroulement de l’instruction. Le président de l’association, bénévole depuis dix ans, est par ailleurs assigné en diffamation, injures publiques et vol de données personnelles pour un procès qui doit se tenir en février.

«Retards importants» dans la liquidation des pensions

Les avocats des mis en examen, eux, contestent les soupçons judiciaires portés à l’encontre de leurs clients. «Mme Schneider conteste fermement les faits qui lui sont reprochés, répond son avocat Paul Guis. Elle a toujours agi avec probité, dans l’intérêt de la Cipav et de ses adhérents. Beaucoup de choses inexactes ont pu être dites ou écrites. L’instruction devrait permettre de faire la lumière.» Conseil de Philippe R., Gabriel Duménil argumente que «contrairement à ce qui a pu être indiqué çà et là, la Cipav n’a subi aucun préjudice s’agissant d’opérations qui ont été validées par plusieurs organes et représentants, qui plus est à des conditions souvent supérieures au marché. Du reste, mon client est présumé innocent». L’avocat de Pierre-Philippe B., Nabil Lakhal, n’a pas souhaité commenter le cas de son client, de même qu’Isabelle Guttadauro, conseil de François Clouet, qui n’a pas répondu à Libération. Ce dernier avait assuré en garde à vue avoir été «complètement dupé».

Ces mises en examen viennent en tout cas alourdir la situation de la caisse de retraite. Deux rapports de la Cour des comptes, rédigés en 2014 et en 2017, avaient pointé les dysfonctionnements du service rendu aux assurés, les «retards importants» dans la liquidation des pensions (environ 200 000 retraités en perçoivent une de la Cipav), parfois la non-prise en compte de la totalité des points de retraite complémentaire d’un assuré, l’utilisation d’un outil informatique «défaillant». La Cipav a été mise sous tutelle de l’Etat à deux reprises, en 2020 et fin 2023 pour quelques mois, et placée sous la responsabilité d’un administrateur provisoire.

par Laurent Léger

Source lepoint

1 Comment

  1. longtemps durant je me suis défié du racisme anti-maçonnique et ce d’autant qu’il avait pour corollaire le thème du « complot judéo-maçonnique » mais ce que je j’ai pu voir de ce côté et jusque du côté du… conseil d’Etat, dépasse l’imaginable

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