Lyon, capitale de la gastronomie, est-elle devenue celle de la malbouffe ?

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Que se passe-t-il dans la ville des bouchons, de la quenelle et de Paul Bocuse ? Depuis plusieurs mois, l’arrivée de plusieurs grandes enseignes de fast-food a suscité une levée de boucliers d’élus et de commerçants lyonnais.

Des burgers et des tacos à la place des bouchons ? L’installation récente d’un KFC rue de la République, au cœur de Lyon, à deux pas de la mairie, est venue grossir l’offre de fast-food (Quick, McDonald’s, Five Guys, Prêt à Manger) dans l’hypercentre de la ville. L’omniprésence de ces symboles de la «malbouffe» a fait monter au créneau le député écologiste Boris Tavernier, qui propose d’armer les villes contre l’arrivée de ces multinationales du sandwich rapide. Lyon, ville des Bouchons, reconnue comme «capitale mondiale de la gastronomie» en 1935 par le critique culinaire Maurice Edmond Sailland, alias Curnonsky, serait-elle devenue la «capitale de la malbouffe» ?

«Dans le centre de Lyon, comme ailleurs, le choix se réduit de plus en plus avec une invasion de fast-foods. Il y a désormais plus de fast-foods que de restaurants traditionnels, c’est un grand basculement, s’inquiète Boris Tavernier, déplorant une “uniformisation” du centre-ville. Or, moi, je suis pour que les gens puissent choisir ce qu’ils mangent». Un constat partagé par Christophe Marguin, patron des Toques blanches lyonnaises et élu LR à la métropole : «Si l’arrivée de certaines chaînes est nécessaire, on ne peut pas ouvrir la porte à tout parce que ça ne tire pas la Presqu’île vers le haut». Côté chiffres, les différents classements qui regroupent le nombre d’enseignes par habitant ne font pas particulièrement ressortir Lyon. Reste qu’en 2023 le chiffre d’affaires de la restauration rapide a dépassé celui du service à table. 

Des loyers impossibles pour les indépendants ?

La troisième ville de France représente un marché de choix pour les poids lourds du secteur, capables d’absorber les loyers commerciaux élevés du centre-ville. Yves Hecker a créé Les Burgers de Papa à Lyon en 2013. Le patron de cette enseigne de «burgers premium» a assisté à l’arrivée de ces «majors» du monde du fast-food dans le centre de Lyon. Rue de la République, à côté du nouveau KFC, il loue ses 120 m2 10.000 euros par mois. Un local dans lequel il s’est installé en 2017. «Mon prédécesseur le louait 2500 euros. Dès mon arrivée, le bailleur l’a passé à 7500. À ce prix, aucun indépendant ne peut s’installer», assure le chef d’entreprise.

La valeur des biens empêche également les pouvoirs publics de préempter les lieux. «Personne ne comprendrait que nous mettions des millions pour éviter l’installation d’un KFC», abonde Gautier Chapuis (EELV), adjoint du maire de Lyon chargé de l’alimentation, qui admet une certaine impuissance des collectivités face à ce phénomène, à l’endroit où l’immobilier est le plus cher. Quelques leviers existent toutefois selon Boris Tavernier : «Encadrement des loyers commerciaux, interdiction de la présence de commerces de vente à emporter à proximité des écoles, comme au Québec. Il y a des choses à faire».

Guerre des prix et baisse du pouvoir d’achat

L’implantation des ogres de la restauration rapide répond aussi à des critères purement économiques assure Yves Hecker : «On fait face à ces majors qui aujourd’hui se font une guerre féroce sur les menus à 5 euros». Cette guerre sur les menus à prix bas est symptomatique d’une baisse générale de pouvoir d’achat. Dans le même temps les coûts à la hausse dans la restauration traditionnelle depuis deux ans font grimper les prix à la carte. «La difficulté des restaurants va de pair avec la difficulté du monde économique. Il n’y a pas que la restauration lyonnaise qui souffre», analyse Christophe Marguin.

Selon l’observatoire Fiducial de la restauration, 45% des Français fréquentent au moins une fois par mois une enseigne de restauration rapide, séduits par la rapidité, le prix et la proximité. «On fait tous les jolis cœurs à dire que c’est de la merde, mais tout le monde y va parce que ça excite nos papilles. Si tout le monde se souvient de son premier McDo, c’est parce que le produit est pensé pour. Il est sursaturé en gras, en sucre et en acidité», détaille le patron des Burgers de Papa. Médecin attaché au lien entre nutrition et santé, qu’il a promu dans le projet de Cité de la Gastronomie, l’ancien maire de Lyon Georges Képénékian pousse lui aussi les portes de l’enseigne américaine, à regret. «Les gens mangent et consomment autrement. Mes petits-enfants me font la fête pour aller de temps en temps chez McDonald’s. Ils me tordent le nez pour que j’accepte. Ils ont 7 ans et ce réflexe de consommation est déjà ancré en eux».

Quenelle ou tacos, qui est le plus mauvais pour la santé ?

Lyon, connue pour ses bouchons a également vu sa notoriété exploser à l’international grâce à un produit plus inattendu : le tacos. Mélange, ou non, de différentes viandes (kebab, bœuf haché, poulet, cordon-bleu, merguez), frites, sauce fromage, parfois gratiné, ce sandwich, désormais proposé par différentes chaînes (O’Tacos, Chamas Tacos, etc.) est considéré comme une «bombe calorique» (1348 kcal), par l’association de consommateur CLCV. Un produit peu onéreux qui s’est rapidement répandu partout en ville au même titre que les bubble tea qui s’installent les uns après les autres au cœur de Lyon (La seule rue Victor Hugo en compte cinq).

Pointé du doigt, le tacos est-il foncièrement plus mauvais pour la santé qu’un tablier du sapeur, plat typique de la cuisine de bouchon à base de gras-double frit accompagné de sa sauce gribiche ? «Désormais les burgers peuvent être gastronomiques, oppose Yves Hecker. Le kebab a été “gastronomisé”, alors j’imagine que le Tacos le sera probablement un jour.» «Régis Marcon, le dit très bien, un jambon-beurre peut parfaitement être gastronomique», abonde Gautier Chapuis.

«Le mot malbouffe est compliqué, poursuit Maxime Michaud, responsable du groupe de recherche en sciences sociales au Centre de recherche et d’Innovation de l’Institut Lyfe (ex-Institut Paul Bocuse). Il y a de très grands plats délicieux qui ne sont pas formidables niveau nutrition. Rien n’est de la malbouffe en soi. Manger un tacos ou dans un grand restaurant, ne résume pas l’alimentation d’un individu. Ce n’est pas parce que l’on va chez McDo de temps en temps, que l’on mange mal le reste du temps».

«Admirable cholestérol»

Tout est question de produit, répond le chef étoilé Christian Têtedoie. «Si on parle de bouchon, on n’est pas dans la malbouffe. C’est une cuisine de mère et grand-mère. Cuisine intelligente qui valorise des produits peu utilisés. Un foie de veau n’a rien de mauvais pour la santé, bien au contraire. Oui c’est une cuisine riche, qu’on ne mange pas forcément tous les jours, mais elle travaille des produits bruts», analyse le président de l’association des Maîtres Cuisiniers de France.

Version moderne du «Quand on mange sain, sans produits chimiques, il n’y a jamais de contrindication» de Jean-Pierre Marielle, dissertant devant une table de charcuterie face à Jean Rochefort dans le film Calmos . Une phrase pas dénuée de bon sens rebondit Georges Képénékian : «La question de l’art de vivre, du temps passé à table est très importante dans la nutrition. Dans l’obésité, il y a ce qu’on mange mais aussi la façon dont on le mange. Si l’on mange vite, il n’y a pas l’effet de satiété. Ce qui compte, c’est de rompre le pain ensemble. Et, à Lyon, on a conservé cette tradition».

Quelle cuisine demain à Lyon ?

Une tradition pourtant malmenée par la modification des rythmes de vie, assure Yves Hecker évoquant «une américanisation de notre culture». «En trois décennies, le temps consacré au repas du midi a été divisé par trois pour atteindre 35/40 minutes. Forcément tu ne manges plus les mêmes choses». Émeric Richard, fondateur du Lyon street food festival observe également la création d’une «cuisine à deux vitesses» : «Il y a une partie de la population qui a les moyens de consommer raisonnable et engagée et ceux qui ne peuvent pas.» Pour autant, pas question pour lui «d’amalgamer street food et malbouffe». «La street food peut être tout à fait qualitative, parce qu’on ne peut pas tricher quand on cuisine devant les gens. Et elle est désormais portée par une génération de chefs engagés sur les problématiques d’approvisionnement, de saisonnalité, etc.», assure-t-il.

Paul Bocuse, Anne Sophie Pic, Dominique Crenn, César Troisgros ou encore Régis Marcon ont participé à son festival, où se rencontrent régulièrement cuisine de rue et gastronomie étoilée. Une façon pour ces chefs de s’ouvrir à un public nouveau grâce à des prix plus abordables mais également de profiter de ce marché en pleine expansion. La cuisine lyonnaise a aussi évolué avec son temps. Même le temple de la gastronomie locale, le restaurant Paul Bocuse, a su faire sa révolution en allégeant ses plats et en respectant mieux les saisons, après la mort du célèbre chef lyonnais en 2018. «Il y a toute une nouvelle génération qui a repris le flambeau, commente Christian Têtedoie. Et honnêtement, je pense que globalement on mange de mieux en mieux à Lyon.»

La ville conserve également un nombre de marchés de plein air record dans un département de forte production agricole et une région en tête dans la course aux labels de qualité (AOP, AOC, Label Rouge, IGP, AB). «Plus que la malbouffe, Lyon est aujourd’hui la capitale des dynamiques alimentaires avec de nombreuses initiatives comme la cité de la gastronomie ou le Lyon street food festival. Il y a peu d’équivalents», conclut Maxime Michaud. De quoi mériter encore pour un moment son statut de capitale de la Gastronomie.

Par Justin Boche, Antoine Sillières, Le Figaro Lyon

source lefigaro