En plus de recueillir des animaux depuis sept ans, le refuge Starting Over, qui manque cruellement de moyens depuis le début de la guerre, accueille également des élèves ou des survivants du 7 Octobre.
A une heure de voiture au nord de Tel-Aviv, Sharon Cohen, fondatrice du refuge Starting Over, veille sur un millier de chevaux, ânes, chèvres, poules, chats, autant d’animaux errants, abandonnés, victimes de sévices ou de négligence, rescapés des abattoirs. Certains sont aveugles, blessés, amputés ; d’autres, épuisés par une vie d’esclavage, ne tiennent plus debout. «Une personne normale ne peut imaginer faire subir des choses pareilles», s’indigne Sharon. Silhouette déterminée, voix vibrante, un agneau collé à ses basques, la maîtresse des lieux se bat depuis sept ans pour offrir aux animaux maltraités une «seconde chance». Autrement dit, les soigner et leur redonner confiance en l’être humain. La tâche est rude, demande du temps, de l’espace, des bénévoles et des moyens. Tout ce qui, ici, manque cruellement. «Les animaux sont pucés, vaccinés et stérilisés. Pas question de faire de l’élevage, la nursery, c’est pour les femelles pleines à leur arrivée.» Pourtant, plus de 600 ânes broutent actuellement dans un champ voisin, certains devaient s’envoler pour des refuges-relais en France et en Belgique. En 2022, le refuge La Tanière, près de Chartres, a accueilli un premier troupeau d’ânes rescapés mais la guerre a tout arrêté. Depuis ? «J’appelle, je sollicite, on ne me répond plus.» «Dis-leur, me demande-t-elle, dis-leur qu’on a besoin d’eux.»
«Les animaux ne font pas de politique»
La guerre est une plaie béante qui suinte de partout. Aujourd’hui, c’est un cheval blessé, amené par de jeunes soldats. «Ils ne pouvaient le laisser dans cet état.» Me reviennent les mots de Marguerite Yourcenar : «Je me dis souvent que si nous n’avions pas accepté, depuis des générations, de voir étouffer les animaux dans des wagons à bestiaux, ou s’y briser les pattes comme il arrive à tant de vaches ou de chevaux, envoyés à l’abattoir dans des conditions absolument inhumaines, personne, pas même les soldats chargés de les convoyer, n’aurait supporté les wagons plombés des années 1940-1945.»
Sharon ne dit pas autre chose : «La non-violence envers les animaux est un gage de non-violence générale.» C’est la deuxième mission que s’est donnée le centre : faire du sanctuaire un lieu de tolérance et de compassion. Le volet pédagogique est essentiel. Des programmes ont été mis en place pour accueillir des élèves. Ils apprennent à considérer les besoins d’un âne, découvrent que les animaux aussi ressentent la faim, la peur, qu’ils nouent des liens privilégiés avec certains de leurs congénères. «C’est parfois plus facile de passer par les animaux pour comprendre comment se comporter entre êtres humains.» Sharon croit en l’éducation. Lorsque je lui demande si les écoles arabes participent aussi au programme, elle s’étonne de ma question : «Evidemment !» Et aussi : «Les animaux ne font pas de politique, ne prennent position ni d’un côté ni de l’autre, ce sont des âmes pures.»
Réhabilitation mutuelle
Des âmes guérisseuses aussi ? Ici, on y croit. Le centre accueille des jeunes fragilisés, dépressifs, violentés, des déficients issus d’institutions spécialisées. «Et que faites-vous avec eux ?» «Rien, répond Sharon. Les éducateurs sont présents mais ils interviennent à peine. Les jeunes pénètrent les enclos, entrent en relation avec les animaux. C’est très intuitif, il n’y a pas de sous-entendus, pas de jugements, ils se reconnaissent dans leurs souffrances.» Et de me raconter le parcours d’une adolescente abusée. Elle marchait comme un robot, ne souriait plus depuis des mois. Aux côtés des ânons, sa mère l’entend recommencer à rire. Ils jouent, se cajolent. Il y a aussi cet adolescent délinquant venu s’occuper des ânes pendant quatre ans. On se demande alors qui prend soin de qui. C’est comme une réhabilitation mutuelle.
Depuis le 7 octobre 2023, le refuge ne désemplit pas. On y dépose des animaux dont les maîtres ont été tués, on y accueille des survivants du festival Nova, des enfants évacués du Nord. Je demande : des ex-otages aussi ? Sharon confirme mais ne souhaite pas en dire plus. Si ce n’est un «ouah, c’est tellement difficile». Parmi les visiteurs, certains n’étaient plus capables de sortir de chez eux depuis des mois. Seule la perspective de venir en aide à des animaux maltraités les a décidés à pousser la grille du refuge. Entre âmes sœurs revenues de l’enfer.