L’influenceur d’extrême droite est mis en cause pour une vidéo diffusée durant l’épidémie de Covid, où il multipliait les injures et les menaces contre les Juifs. Il invitait notamment ses adeptes à l’insurrection violente.
«On fait la révolution en prenant le pouvoir par les armes», clamait Alain Soral, dans une vidéo diffusée sur internet au printemps 2020. L’idéologue et influenceur antisémite appelait aussi ses partisans à «s’armer» pour la «guerre» contre les Juifs, qualifiés de «parasites pervers prédateurs satanistes» dirigeant l’Etat en sous-main. Selon les informations de Libération, confirmées par le parquet de Paris, le sexagénaire réfugié en Suisse a été notifié, vendredi 22 novembre, de son renvoi devant le tribunal correctionnel pour ces propos à une date encore non fixée. Il est notamment poursuivi pour «provocation publique non suivie d’effet, en appelant directement à commettre l’un des crimes et délits portant atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation» suite à cette diatribe aux allures d’appel à l’insurrection. Il devra aussi répondre des chefs d’injure publique raciste et de provocation publique à la haine raciale, en récidive.
Au printemps 2020, la France vit le premier confinement, décidé par les autorités en raison de la flambée de coronavirus. Cette mesure drastique suscite des peurs et des questionnements vite récupérés par les complotistes, notamment Alain Soral, antisémite obsessionnel qui voit la main de la «communauté organisée» derrière tous les maux de la terre. «La France est plutôt en train de crever d’une épidémie de Juifs», lance-t-il par exemple sur le réseau social russe VKontakte le 4 avril. Le 4 mai, il publie sur son site une longue vidéo, également diffusée sur YouTube, où il prétend décrypter les ressorts cachés du «couillonavirus».
Intitulée «Soral a (presque toujours) raison – couillonavirus la suite», c’est une logorrhée de plus d’une heure trente. Dans un chapitre intitulé «La communauté organisée qui tient la France», il lance notamment, selon le compte rendu cité dans l’ordonnance de renvoi signée par un juge d’instruction : «Je vais quand même citer les gens aujourd’hui en charge de la médecine d’Etat, hein ? Nous avons donc Levy, Buzyn, Hirsch, Guedj, Deray, Jacob, Salomon, enfin je veux dire c’est la liste de Schindler». «Et eux visiblement, ajoute-t-il, invoquant les grands totems complotistes, sont tous des agents de Big Pharma, le complexe pharmaco-chimique, en plus d’être des agents du Nouvel Ordre mondial. Et on voit effectivement que leur but est quand même double : faire du pognon sur le dos du peuple français, soumettre le peuple français, voire l’affaiblir par le nombre de morts.»
Pêle-mêle, citant notamment le juriste nazi Carl Schmitt, Soral invoque même une «guerre», un «combat terminal» contre cet «ennemi» qu’il faut «avoir le courage de nommer». «Comme le maréchal [Philippe Pétain, ndlr], dit-il aussi, j’ai fait depuis longtemps don de ma personne à la France […]. Le combat a commencé, plus nous le commencerons tôt en nommant l’ennemi et en y allant franchement et plus nous gagnerons vite.» Dans la même vidéo, il se fait plus précis sur la nature de ce «combat» : «Ce qu’il faut c’est s’armer […] on fait une constitution après avoir fait la révolution et on fait la révolution en prenant le pouvoir par les armes.» Assurant qu’un «M16 c’est plus efficace pour exiger ses droits démocratiques qu’un gilet jaune».
Un chef d’inculpation rare
Interrogé par les enquêteurs concernant la phrase diffusée sur VKontakte, Alain Soral a expliqué que ce compte ne lui appartient pas, mais que ces «propos étaient drôles et justes», précise l’ordonnance. Il a par ailleurs reconnu avoir tenu les propos de l’autre vidéo, celle que vise la procédure, mais contesté qu’ils puissent constituer une provocation à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation. Dans l’attente de son procès, il reste présumé innocent.
Ce chef est «une rareté», confie à Libé un magistrat antiterroriste qui n’a pas participé aux investigations. «Il est prévu par le nouveau train de loi post-attentats de 2015, visant à lutter contre les appels à la commission d’actes violents et le terrorisme, l’atteinte à la sécurité de l’Etat», détaille-t-il. Qu’il soit invoqué ici pourrait matérialiser que «l’objectif du juge d’instruction est de souligner que ces propos ne sont pas seulement antisémites mais visent aussi à déstabiliser la société à travers le renversement du pouvoir. Or, de plus en plus, la justice travaille également sur les réseaux d’influence dont la production peut participer pousser à l’acte des “loups solitaires”.»
Contactée, maître Ilana Soskin, avocate de l’organisation antiraciste Licra, partie civile dans ce dossier, se dit satisfaite que ce délit a été retenu. «C’est reconnaître que les gens comme Alain Soral, qui ont une audience, une communauté de fidèles qu’ils abreuvent de haine, contribuent à armer idéologiquement le bras de ceux qui pourraient basculer dans l’action violente», dit-elle. Egalement contacté, l’avocat du Mrap, qui est aussi partie civile, maître Jean-Louis Lagarde, reconnaît un motif peu couramment invoqué dans ce type de dossier. Il ajoute : «Il appelait à prendre les armes. Or, certains de nos concitoyens rêvent d’en découdre… Et si la liberté d’expression est sacrée, les abus doivent être poursuivis car le passé l’a démontré : on peut tuer avec une plume, on peut pousser au crime avec des paroles.»