Le maire socialiste de l’une des villes les plus pauvres de France, Patrick Haddad, souhaite rénover l’image de cette commune marquée par la précarité, tout en «limitant les frais aux choses indispensables».
Lorsque «monsieur le maire» passe le pas de la porte de la salle de classe où se tient le conseil de l’école élémentaire Anatole-France de Sarcelles (Val-d’Oise), ce jeudi de novembre en fin de journée, les discussions se tendent. «On va pouvoir profiter de votre présence, monsieur le maire, pour parler de sujets qui fâchent», lance la directrice à Patrick Haddad, d’un ton sec mais cordial. Photo à l’appui, elle lui montre la fuite d’eau qui touche le plafond d’une salle depuis 2017, l’année de construction de l’établissement. En septembre 2022, une dalle du faux plafond s’est même écroulée. Si quelques rénovations ont été faites, la fuite n’a jamais été réparée. Les toilettes responsables de la fuite ont été fermées. Les enseignants pointent aussi l’état d’hygiène des sanitaires. «Budgétairement, si on doit mettre un service de nettoyage le midi, ce n’est pas possible», répond l’édile socialiste.
Depuis son élection en 2020, Patrick Haddad fait avec. A la tête de l’une des 100 villes les plus pauvres de France, marquée par la précarité et l’implantation du trafic de drogue, le maire PS de Sarcelles, qui dispose d’un budget annuel de 176 millions d’euros pour 2024 – dont 118 millions de fonctionnement et 58 millions d’investissement – cherche l’équilibre. Si le taux d’endettement de la ville est dans la moyenne régionale, en baisse même en 2023 par rapport à l’année d’avant, ses recettes sont limitées et incertaines : quand près de la moitié des foyers fiscaux sont redevables de l’impôt sur le revenu en France, ils ne sont qu’un quart à Sarcelles. En un an, les dépenses de personnel, déjà nettement supérieures à la moyenne régionale, ont augmenté de près de 2 millions d’euros, notamment à cause de l’inflation. Une situation financière sous contrôle selon le maire, mais qui ne permet pas tous les investissements nécessaires à la modernisation de la ville. Il voit d’un mauvais œil le projet de loi de finances 2025, qui réclame un effort de 6,5 milliards d’euros aux collectivités (coupes dans le Fonds vert comprises). «Une erreur», qui ne va faire «que réduire les investissements des villes», déplore le maire. «Ils sont allés trop loin sur les réductions d’impôt des grandes fortunes, ajoute l’homme de gauche. Leur demander un effort supplémentaire, c’était vite trouvé.»
«Limiter les frais aux choses indispensables»
En sortant de l’école, Patrick Haddad file à une dernière réunion avec son groupe municipal, au siège historique de la mairie. «On doit faire des choix, mais on ne peut pas arrêter d’investir», rappelle-t-il, pragmatique, en rejoignant sa voiture. Classée zone urbaine sensible, Sarcelles a bénéficié de 48,9 millions d’euros de dotations de l’Etat en 2024 pour un peu moins de 60 000 habitants, faisant d’elle la ville française la plus aidée par habitant. L’an prochain, ce montant ne devrait pas baisser autant que pour les autres villes. Mais la baisse pourrait être plus importante pour la communauté d’agglomérations ou le département, principaux partenaires financiers de la commune, qui pourraient réduire leurs subventions. Devant sa majorité, il alerte tout de même : il faut selon lui «limiter les frais aux choses indispensables». «Les fournitures scolaires, la cantine, les services directs à la population», précisera-t-il plus tard à Libération.
Ce discours d’«équilibre», le maire le répète au fil de ses rendez-vous. Quelques heures plus tôt, dans une des salles du centre administratif, le deuxième bâtiment de la mairie, Patrick Haddad a reçu plusieurs riverains, victimes des grosses pluies du mois dernier. «Mon ascenseur est mort à cause des inondations», s’est plaint une femme qui habite dans l’un des bâtiments de la rue Montfleury. L’édile a aussitôt répliqué : «On va refaire la rue Montfleury, on s’y était engagé.» Quelques minutes plus tard, il freinait en revanche les ambitions du «manager de centre-ville», chargé de développer l’offre commerciale de la commune, dans le cadre d’un projet de redynamisation du marché des Lochères.
Dans cette ville qui fut longtemps l’exemple type de la cité-dortoir, de nombreuses rénovations sont indispensables. Mais le maire doit faire des choix. Les travaux d’isolation du Grand Ensemble, ce quartier prioritaire construit en 1955, l’une des premières cités de France, pourraient être étalés dans le temps. Ces rénovations font partie du nouveau projet national de renouvellement urbain, pour lequel l’Etat a injecté 70 millions d’euros sur sept ans. «Le décalage peut aller jusqu’à deux ans pour certains projets», estime l’élu. Pour récupérer une marge de manœuvre financière, Patrick Haddad explique qu’il cherchera aussi à réduire les charges de «l’administratif», sans préciser plus ses intensions. Pas question, en revanche, de remettre en cause certains autres projets. Ce jeudi 21 novembre, dans une des grandes salles de la mairie, Patrick Haddad participe au comité de pilotage des 70 ans du Grand Ensemble. Deux mois de célébrations que la ville organisera en 2025 pour valoriser ses quartiers et animer ses rues. Elle déboursera 50 000 euros sur les 200 000 euros nécessaires. Une dépense non négociable pour l’élu, qui veut faire de cet anniversaire une vitrine pour sa commune.
par Bastien Loeuillot
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