Michel Hazanavicius présente « La Plus Précieuse des marchandises »

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Avec « La Plus Précieuse des marchandises », à découvrir en salle le 20 novembre, le réalisateur fait ses premiers pas dans ce format avec lequel il adapte un conte émouvant, traitant de la Shoah.

Il avait déjà surpris tout son monde avec le chef-d’œuvre muet et en noir et blanc, The Artist, avec lequel il avait remporté l’Oscar du meilleur réalisateur en 2012. Cet automne, Michel Hazanavicius dévoile son premier film d’animation, La Plus Précieuse des marchandises. Un défi dans lequel il s’est lancé « non pas pour être là où on ne m’attend pas, mais parce que j’ai été touché par cette histoire qu’on m’a proposé d’adapter« .

Ainsi, le cinéaste s’est plongé dans le conte écrit par Jean-Claude Grumberg, dès sa sortie en 2019. Six ans de travail plus tard, l’histoire prend vie au cinéma : celle d’un nourrisson jeté d’un train emmenant des déportés dans les camps de concentration, et recueilli par des bûcherons. Des destins avec lesquels Michel Hazanavicius retranscrit à l’écran le meilleur et le pire chez l’être humain, non sans émotion. Un sujet sur lequel il s’est confié lors de sa venue à Marseille, à l’occasion d’une avant-première ce vendredi.

Vous connaissez Jean-Claude Grumberg de longue date. Qu’a apporté cette relation au film ?

Beaucoup de confiance : il a une légitimité sur ce sujet car il écrit depuis soixante ans autour de cette question. Au-delà de ça, il sort cette histoire que j’ai trouvée magnifique, et j’ai décidé de m’engager dans ce film avec cette confiance car le premier geste, c’est lui qui l’a fait. Moi je prends l’élan de ce geste pour le prolonger au cinéma, en le respectant au maximum. Et avec un projet sur six ans, où il y a du doute tout le temps, vous avez besoin de confiance.

Des doutes liés à cette première fois dans le film d’animation ?

Entre autres oui… Sur un film d’animation, vous naviguez à vue, vous passez d’une étape à l’autre sans avoir de résultat. Les premiers plans que vous voyez arrivent vraiment à la toute fin du processus, et vous les finissez un peu tous en même temps, mais dans un créneau assez court avant la fin de la production. Certaines étapes, comme le son, se font une fois que l’image est finie. Par exemple je ne peux pas envoyer à un monteur son un plan où l’on voit quelqu’un marcher dans la forêt si on ne sait pas ce qu’il y a au sol : si c’est de la neige, des feuilles ou des branches, il n’aura pas la même chose à faire.

Le film parle de la Shoah, mais les mots « juif », « déportés » ou « nazi » ne sont jamais mentionnés. Pourquoi ?

Parce que dans les contes, les personnages n’ont jamais de nom, on se met un tout petit peu au-delà de la réalité. Un conte, c’est une espèce de réalité augmentée. Quand on raconte l’histoire du Petit Poucet, on ne mentionne pas la famine qui a touché les paysans au XVe siècle et les a forcés à abandonner leurs enfants. Pourtant, c’est bien de ça dont il est question. Ce qui est important, c’est de pouvoir raconter l’humain dans une situation donnée. La Plus Précieuse des marchandises me plaît car il raconte que l’être humain est capable d’organiser la mort de millions de personnes, mais il est possible qu’il soit une victime aussi. Il est capable d’être injuste et de bien se comporter. C’est un conte qui me bouleverse car il est plus solaire que tragique.

Certaines scènes fortes qui expriment de la pudeur, de l’amour ou des drames, n’ont pas de dialogue. Il y a des situations qui se passent de mots ?

Oui, mais d’une manière générale, les choses importantes, on ne les dit pas avec des mots. Quand vous allez à l’hôpital voir quelqu’un de votre famille qui va mourir, vous ne lui parlez pas vraiment. Ce qui est important, c’est de lui tenir la main, d’apporter un verre d’eau. Beaucoup de moments dans nos vies passent par des choses autres que le verbe. Au final, ce n’est pas juste un silence, mais un regard, un geste, une écoute, un sourire. Ce sont ces petites choses qui racontent l’important.

Avec ce pouvoir du silence, vous faites participer le spectateur en un sens…

Le pouvoir du silence et celui de l’imaginaire. Moins vous donnez d’informations précises au spectateur, plus il va en effet mettre de lui-même dans la narration. Et plus vous faites participer le spectateur à la narration, plus il sera touché. Vous venez d’évoquer le mot pudeur en me parlant d’une scène : si j’avais mis des mots sur cette séquence-là, vous n’auriez peut-être pas eu l’espace dans votre esprit pour le formuler, car le verbe peut rationaliser les choses autrement.

Le film était dans la sélection officielle à Cannes en mai, où il a été salué. Quelle reconnaissance !

Plusieurs fois, les gens m’ont dit que c’était encore plus réaliste qu’un film avec des acteurs. Pas en termes d’esthétique, mais pour ce que ça leur évoquait. Et c’est une force de cette adaptation dont les retours font en effet très plaisir, que ce soit à Cannes ou lors des avant-premières lancées en septembre.

Par Victor Tillet