Charlélie Couture : « Le judaïsme m’a autorisé à croire en l’invisible »

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L’artiste aux multiples talents se confie sur la relation profonde qu’il entretient avec les spiritualités. Une quête de vérité indissociable du processus de création.

Chanteur, compositeur, peintre, photographe, designer… On sait que Charlélie Couture, né en 1956 à Nancy, qui a vécu longtemps aux États-Unis, n’est pas seulement l’inoubliable auteur de « Comme un avion sans ailes », mais un artiste aux talents multiples, qu’il n’aime rien tant, depuis trente ans, que les entremêler – ce qu’il défend sous le concept de « multisme ». On sait moins – même si l’on peut s’en douter à le suivre – que l’homme est un grand chercheur d’absolu. Charlélie Couture a accepté de se confier sur cette part secrète de sa personnalité, son feu intérieur, dans un échange profond et sincère.

Le Point : Votre palette d’artiste est large. Trouvez-vous de l’inspiration dans les spiritualités ?

Charlélie Couture : L’art est une manière de formaliser l’invisible des sentiments. Si l’artisanat est d’abord la maîtrise d’un savoir-faire, l’art est avant tout un esprit. Depuis toujours, l’art a pris pour moi le sens que l’on donne à Dieu. Une œuvre est une quête de vérité.

La spiritualité compte-t-elle dans votre vie ? De quelle manière ?

Je suis artiste depuis toujours, c’est comme ça. C’est un sacerdoce, un devoir. Je travaille tous les jours, même quand je ne suis pas inspiré, comme un mineur qui descend dans sa mine, stimulé et excité par le rêve de découvrir une veine nouvelle. Sur un steamer quand la roue aube se met en marche alors le bateau se met à bouger, tout commence par le fait de se mettre en marche. Ressasser la création, c’est comme ressasser une prière. Aux États-Unis où j’ai vécu pendant une quinzaine d’années, on m’a dit : « Find your mission. » Alors, voilà, je suis en mission. Je défends le « multisme » et la pluridisciplinarité, comme les triathlètes qui se donnent aussi bien dans l’eau, sur leur vélo ou à la course…

Ressentez-vous de la curiosité spirituelle ?

Oui, bien sûr. Dans les années 2000, j’avais besoin d’absolu, je me suis converti au judaïsme. J’avais la foi, persuadé que je pouvais m’approcher de cet Esprit Saint, au centre de toutes les sublimations. Vingt ans plus tard, j’ai compris que cela ne dépendait pas que de moi. Au fond, je ne suis pas religieux dans le sens où ma vie ne s’organise pas autour de la pratique des rites dictés par l’interprétation des textes sacrés.

Pourquoi avez-vous choisi de vous convertir au judaïsme ?

Quand j’entends la phrase « Dieu s’est fait homme », je n’arrive pas à l’entendre au singulier. En respect pour sa grandeur au mieux, peut-on admettre que Dieu s’est fait « LES hommes » ? Et si l’on a la foi, et si l’on croit qu’il est en chacun de nous, pour autant chacun de nous ne peut se targuer d’être LUI. L’anthropomorphisme qui veut que ce concept de sublimissime infini soit incarné par UN seul homme (et son allégorie à travers l’image du « fils »), me paraît aussi dangereux que le culte des idoles. Pour certains, Dieu est un Père, pour d’autres, un Sauveur, un Prince, un Seigneur, un Guide. Si l’on admet l’unicité de Dieu (bien plus simple à prier que les complexes arcanes du panthéon polythéiste), le même seul Dieu prend un sens différent selon chacun de nous. En refusant la figuration de l’Idéal, le judaïsme me semblait répondre aux questions que je me posais. Le judaïsme m’autorisait à croire à l’invisible. Je n’avais pas ni le temps ni la structure de pensée qui me permettait d’assimiler la culture zen et le bouddhisme. Car même si je n’ai pas eu à proprement parler d’éducation religieuse, j’ai néanmoins été élevé selon les principes des Dix Commandements. Mais rien n’est vraiment simple…

Comment s’est passée votre conversion ?

J’ai suivi les cours de Rivon Krygier de la communauté Massorti. J’ai beaucoup lu. J’ai fait mon chemin.

Qu’est-ce que cette religion vous a apporté ?

Elle m’a donné la conscience de l’insondable profondeur de l’Esprit. Ma pratique religieuse, si maladroite et incomplète qu’elle fût, m’a néanmoins apporté de l’autorité dans ma pensée et l’occasion de prendre une certaine distance par rapport à moi-même. Oui, c’est ça, j’ai appris à relativiser et à prendre du recul par rapport à mon ambition.

Vous en parlez au passé. Vous l’avez quitté ?

Oui et non. Disons que je ne pratique plus, vraiment. Je crois que j’en suis incapable. Pour un homme religieux, les contraintes sont précises et spécifiques, elles obligent à une soumission aux lois. Mais celles-ci ne faisaient pas vraiment partie des habitudes qui m’ont été enseignées aussi, même si j’avais sincèrement le sentiment de me donner sans retenue et ainsi m’identifier à ceux qui m’entouraient, pour autant on me faisait régulièrement sentir, et même entendre, que je n’étais qu’un invité… Après une vingtaine d’années, j’ai admis que mes peurs n’étaient pas les mêmes que celles de mes coreligionnaires.

Avez-vous été attiré par d’autres religions ?

Non. Même si je comprends bien les raisons qui animent le cœur de mes amis protestants et catholiques. Pour autant, je me trouve en communion avec le monde, à travers la pratique des choses de l’art.

D’autres formes de spiritualités vous tentent-elles ?

La spiritualité, c’est le fait de chercher à donner du sens à tout ce qui nous entoure. C’est pour cela que j’oppose la matière sans âme à tout ce qui est animé, tout ce qui vit, dans le sens latin d’« animus », et qui a donc une âme.

Avez-vous été élevé dans la foi ?

Pas vraiment. De ce point de vue, je suis un autodidacte… Ma mère avait vécu durement la guerre, elle se disait non pas athée mais agnostique. Je l’ai plusieurs fois entendue dire, comme pour se justifier : « Puisque D. nous abandonne, alors je ne vois pas pourquoi je le vénérerais. »

Vous m’aviez dit que votre père antiquaire croyait que les objets parlaient… Pensait-il que les objets ont une âme ?

En quelque sorte oui, mon père considérait que les objets étaient des liens qui nous unissaient au passé (ou tout du moins à ceux qui les avaient ou fabriqués, ou utilisés.) Les objets lui parlaient, comme ce que l’on dit de la transmission, il y avait quelque chose de sacré dans sa relation aux « beaux » objets.

Est-ce une forme de spiritualité ?

On peut dire cela comme ça, mes parents étaient deux intellectuels qui se plaisaient à la discussion.

Pouvez-vous nous en dire plus sur votre côté « autodidacte spirituel » ?

Une phrase est une suite de concepts. Tels qu’ils sont dits, énoncés, les mots sont une proposition. D’où ils viennent, les mots ne me suffisent pas (sinon pour ceux qui acceptent le dogmatisme). Alors je m’autorise à discuter, remettre en question les idées, jusqu’à ce qu’ils me convainquent de leur véracité. Sous-entendu, je gère seul mes doutes.

Croyez-vous en Dieu ?

Oui, je crois dans cet « Absolu-Qui-N’existe-Pas », comme je vous l’ai dit, je crois que D. s’est fait art. D. est comme la beauté ou comme l’amour qui n’apparaissent (éventuellement même) qu’à ceux qui les cherchent.

Comment est née votre dernière chanson « Il n’a Dieu que pour elle » ?

L’expérience vous incite à faire des choix, et ceux-ci vous mènent à avoir une relation presque abstraite avec tout ce qui nous entoure. À un certain âge, les choses et les êtres ne sont plus seulement ce qu’ils sont mais ils en deviennent l’incarnation. Du coup, on ne voit plus l’Autre, le compagnon ou l’épouse comme un « conjoint », mais comme une « entité spirituelle ». C’est ce que j’ai voulu évoquer dans cette chanson.

L’avez-vous conçu comme une ode à l’amour inspiré d’une présence divine… ?

Oui, absolument. Cette chanson me dépasse.

« Tous les mots du monde chantent en eux quand ils prient », écrivez-vous. De quelle manière avez-vous trouvé cette phrase ?

À la différence de beaucoup d’autres que j’ai écrites en m’inspirant de détails puisés dans le quotidien, je voulais que cette chanson évoque cette sensation d’infinitude qu’on ressent quand on cherche à se mettre en symbiose avec les autres (comme on le fait quand on prie). Comme une plongée en abîme, une manière de dire qu’à l’intérieur de chacun de nous il y a l’Autre. Et j’ai, pour cela, choisi des mots simples, qui appartiennent à tout le monde…

Vous avez dû vous battre contre le cancer. Dieu vous a-t-il aidé dans cette épreuve ?

Affronter le défi de la maladie vous oblige à prendre conscience de la notion de « terme ». Il est certain que toutes les formes de soutien vous aident à tenir, à gagner du temps… Dans certaines situations dramatiques ultimes, on peut se retrouver confronté à la notion d’imminence ou d’échéances, alors plus que jamais on tente d’oublier la réalité terrestre pour élever sa conscience. La question n’est pas de savoir si D. existe, ou s’il n’existe pas, mais plutôt de savoir si nous serions meilleurs sans le rêve mystique. Personnellement, je ne le pense pas. L’espoir de D. a donné du courage à l’homme.

« Comme un avion sans ailes », la chanson qui vous a fait connaître du grand public, était-elle déjà empreinte de spirituel ?

« Comme un avion sans ailes » est une chanson sur l’enthousiasme. L’étymologie rattache le mot au grec «  enthousiasmos », « possession divine, transport divin », qui remonte lui-même à «  entheos », « inspiré par un dieu ou par les dieux » dans ce sens l’enthousiasme signifie « le feu intérieur ». La chanson dit qu’il faut aller jusqu’au bout de son rêve, continuez à chanter, même si les éléments sont contre vous…

Vous partagez toujours votre vie entre Paris et les États-Unis ?

J’ai toujours ma double nationalité franco-américaine, mais je suis définitivement rentré vivre en France en janvier 2021, après l’épisode du Covid. Néanmoins, je me dois de préciser que ce qui avait déclenché mon désir de retour en France avait été l’élection de ce fils d’ancien membre du KKK, qui continue aujourd’hui de polluer l’intelligence américaine, inondant le pays de ses discours de camelot aux relents nauséabonds, qui postillonnent toute sa bêtise crasse à chacune de ses harangues face aux candides béats. Ses menaces, ses mensonges et ses allégations violentes me débectaient et continuent de le faire. Il est de ceux qui utilisent la religion comme une arme, et quand il en parle, cela n’a rien à voir avec la spiritualité.

On entend beaucoup parler du déclin du religieux en Occident. Qu’en pensez-vous ?

C’est une vaste question. Il est certain que le rapport au spirituel a beaucoup changé depuis l’apparition de l’ère industrielle au XIXe siècle. Avec la fabrication d’objets en surnombre, la valeur des choses a pris une importance considérable dans la vie des gens. Comme si le fait de posséder des choses était une fin en soi. Ne se définit-on pas aujourd’hui en fonction de la valeur de nos biens. Dans cet Occident matérialiste, il est vrai que l’apparence et le visible ont pris l’ascendant sur l’invisible.

Ne percevez-vous pas plutôt un regain d’intérêt pour les spiritualités ?

Bien sûr qu’il y a des gens qui luttent pour défendre les utopies. De généreux humanistes qui veulent croire que la spiritualité nous élève. Bien sûr on ne peut pas se suffire de posséder des trucs, des machins, des bidules, des montres de luxe ou des voitures de course, des mètres carrés ou des spas énergivores… Bien sûr, certains refusent de rentrer dans le jeu de la consommation, considérant qu’on peut aussi être heureux dans le dénuement d’une pauvreté monastique, mais reconnaissez aussi que le pouvoir des influenceurs et des communicants est terriblement puissant. La politique et la publicité connaissent par cœur nos tendances.

Par voie de conséquence, il est très difficile de rester sourd aux arguments qui vous poussent à envier les richesses matérielles. Pendant le Covid, pendant quelques semaines, la nature a repris ses droits, mais ce ralentissement n’a pas duré. Dans les années qui ont suivi la distribution à domicile, les ventes en ligne (dont Amazon) ont explosé, ils ont même encore accru leur pouvoir, et les riches le sont encore plus… Tout cela ne va pas vraiment dans le sens de la vie infinie et de l’idéal que représente pour moi Dieu. Nous vivons dans une urgence de plaisir à court terme où l’art et la beauté n’ont que peu d’importance. Quand on parle des « seigneurs de la Bourse », on ne parle vraiment pas des mêmes valeurs que celles qu’on accorde au Seigneur…

Propos recueillis par Jérôme Cordelier

1 Comment

  1. Chalelie couture est un être exceptionnel
    Pas étonnant qu il est choisit le judaisme
    Je ne savais pas qu il avait eu un cancer
    Je suis avec lui de tout cœur

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