« Comment faire pour ne pas être antisémite quand on voit les dégâts de l’armée israélienne à Gaza ? » demande Bernard Kouchner. Rien ne saurait justifier l’antisémitisme, répond Marc Knobel.
C’est une phrase presque prononcée avec une certaine candeur par Bernard Kouchner, ancien ministre de la Santé et des Affaires étrangères, cofondateur de Médecins sans frontières et de Médecins du monde. Lors d’un entretien accordé à Radio J, le 20 octobre, Kouchner déclare : « Et vous savez comment faire pour ne pas être antisémite quand on voit les dégâts de l’armée israélienne à Gaza ? Contemplez Gaza, c’est un champ de meurtres, de désastres. C’est l’éclatement des familles. Bien sûr qu’il y a eu [les attaques du Hamas] le 7 octobre [2023]. Et Dieu sait si cela m’a révolté. Mais se venger par 40 000 morts, si le chiffre est vrai… » Il est ensuite interrompu par le journaliste Frédéric Haziza qui lui demande : « Vous dites que, avec ce qui se passe à Gaza, c’est normal qu’on soit antisémite ? » À quoi Kouchner répond : « Ce n’est pas normal, mais la réaction peut être celle-là. »
Il est compréhensible que Bernard Kouchner dénonce les horreurs de la guerre entre Israël et le Hamas. Les bombardements intensifs menés par Tsahal et les incursions terrestres ont causé des destructions massives dans la bande de Gaza, entraînant des pertes humaines considérables. La souffrance des civils palestiniens est indéniable. Il est donc important de souligner que les violences contre des civils, qu’elles soient perpétrées par l’un ou l’autre camp, soulèvent des préoccupations profondes, car chaque perte humaine est tragique. L’inquiétude exprimée par Bernard Kouchner peut ainsi trouver un écho légitime, et son appel à la responsabilité et à l’action pour protéger les civils est essentiel.
Cependant, en évoquant une vengeance israélienne, Bernard Kouchner simplifie-t-il un conflit complexe ? Cela peut donner l’impression qu’il ne prend pas en compte les responsabilités du Hamas et de ses soutiens (l’Iran) dans ce contexte. Ce conflit oppose une armée régulière (Tsahal), dotée de ressources militaires significatives, à des groupes armés terroristes, comme le Hamas et le Jihad islamique, qui ont perpétré un massacre de type génocidaire, le 7 octobre 2023. Ces groupes exploitent la densité de population (5 935 habitants au kilomètre carré) dans cette petite bande de terre (362 kilomètres carrés) pour mener leurs opérations, se dissimulant au sein de la population civile qu’ils sacrifient et utilisant des infrastructures, telles que des hôpitaux, des mosquées et des écoles, pour stocker des missiles et les tirer sur le territoire israélien.
L’antisémitisme a atteint des niveaux sans précédent
Affirmer, comme le fait Bernard Kouchner, que, en raison de cette guerre, l’on pourrait devenir antisémite est très grave. En s’avançant sur un terrain miné, il semble minimiser la portée de l’antisémitisme en le liant à des événements tragiques. Une telle justification pourrait alimenter les stéréotypes millénaires dont les Juifs ont été victimes et encourager ceux qui cherchent à s’en prendre aux Juifs pour diverses raisons. Cela donnerait l’impression qu’il suffirait de trouver un prétexte pour justifier une montée de l’antisémitisme, légitimant ainsi cette haine tenace et déculpabilisant ceux qui y cèdent facilement.
Il est crucial de rappeler que nos compatriotes juifs vivent dans un climat de peur et d’insécurité. Les statistiques révèlent que les actes antisémites ont considérablement augmenté, atteignant des niveaux sans précédent. Depuis 2000, les Français juifs ont été confrontés à des vagues de violence, avec 13 091 actes recensés entre octobre 2000 et fin 2022. En intégrant les chiffres de 2023 (1 676 actes) et du premier trimestre 2024 (366 actes), ce total atteint désormais 15 133 actes, illustrant une réalité alarmante qui perdure dans notre société depuis plus de deux décennies. Cette situation met en lumière l’ampleur croissante de l’antisémitisme en France, qui n’est pas un phénomène récent mais une problématique profondément ancrée. Cette tendance inquiétante souligne la nécessité d’une vigilance accrue et d’actions concrètes pour protéger les victimes et combattre plus efficacement l’antisémitisme.
L’antisémitisme ne peut trouver aucune justification ; il ne peut être légitimé sous aucun prétexte. Dans ce contexte, entendre Bernard Kouchner me cause une profonde consternation. Chaque jour, mes collègues et moi-même luttons contre cette haine et en mesurons la dangerosité. Il est crucial de maintenir notre engagement à dénoncer l’antisémitisme sous toutes ses formes, car il constitue une menace non seulement pour les victimes mais également pour l’ensemble de notre société.