Pourquoi Israël conserve la dépouille de Yahya Sinwar

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Le corps de l’ancien chef du Hamas, Yahya Sinwar, n’a pas été rendu à la famille. Il a été transféré dans un lieu tenu secret.

Yahya Sinwar vivait avec une cible dans le dos. Israël ne pouvait lui pardonner d’avoir échafaudé le pogrom du 7 octobre. Une patrouille l’a éliminé à Rafah – dans le sud de la bande de Gaza – mercredi. Son corps a immédiatement été transféré pour être autopsié à l’Institut médico-légal d’Abou Kabir à Jaffa – en banlieue de Tel-Aviv, puis a été remis à l’armée israélienne, selon le New-York Times . Il a depuis été transféré dans un lieu tenu secret. Son cadavre n’a pas été rendu à la famille.

La dépouille de Yahya Sinwar «pourrait servir à récupérer les corps de civils israéliens actuellement dans la bande de Gaza», estime David Khalfa, codirecteur de l’Observatoire de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient à la Fondation Jean Jaurès*. L’élimination du chef du Hamas, partisan d’une ligne dure, «offre une fenêtre d’opportunité pour un éventuel cessez-le-feu», ajoute-t-il. Le retour des otages, capturés par le Hamas, le Djihad Islamique et des civils gazaouis le 7 octobre, sera une condition sine qua non. Cent une personnes sont toujours retenues dans l’enclave palestinienne. Et au moins trente-et-une ne sont plus en vie, selon les autorités israéliennes.

Tsahal pourrait aussi conserver le corps de Yahya Sinwar pour éviter qu’il ne soit célébré comme un martyr. Pour les Palestiniens, les dépouilles servent à manifester le sacrifice des «Shahid», des morts en martyre. Leurs enterrements donnent lieu à des cérémonies importantes et mobilisatrices pour l’opinion. «Je ne crois pas que ce paramètre joue un rôle majeur», nuance David Khalfa. «Il sera de toute façon considéré comme un martyr par ses soutiens. Mais les sondages les plus sérieux et récents qui ont pris le pouls de l’opinion gazaouie montrent qu’une majorité rejette désormais le Hamas», ajoute-t-il.

La conservation de dépouilles de militants palestiniens serait au cœur d’une politique de l’armée israélienne, selon l’association palestinienne Addameer, qui vient en aide aux prisonniers arrêtés par Israël. Elle avance le nombre de cinq cent cinquante deux corps retenus par Tsahal, dont cinquante-cinq mineurs. Selon elle, l’État hébreu conserverait ces cadavres pour cacher ses sévices et les échanger en cas d’enlèvement. «C’est une pratique habituelle pour les groupes terroristes palestiniens, mais pas pour Tsahal», tranche l’historienne Frédérique Schillo, spécialiste d’Israël et auteur de La Politique française à l’égard d’Israël.

Israël recherche les dépouilles de ses citoyens

Les groupes terroristes opposés à Israël conservent régulièrement les cadavres d’otages afin de les échanger contre des prisonniers. Et pour cause, la récupération des corps est très importante pour les Juifs. D’abord, bien sûr, afin de pouvoir entamer un deuil, mais aussi pour des raisons religieuses. Le cadavre doit être purifié (la tahara, NDLR) à l’aide d’un cérémonial précis, réalisé par la Hevra Kaddisha, les pompes funèbres juives. Ce nettoyage permet à l’âme de quitter le corps avant de rejoindre l’au-delà.

En 2000, trois dépouilles de soldats et le colonel israélien Elhanan Tenenbaum avaient été échangés avec Israël contre la libération de quatre-cent trente cinq prisonniers palestiniens. Les corps des soldats Ehud Goldwasser et Eldad Reguev, capturés et sans doute tués le 12 juillet 2006 par le Hezbollah, ont été relâchés en échange de combattants du mouvement chiite. Le Hamas détient, par ailleurs, toujours les corps d’Avera Mengistu et d’Hisham al-Sayed, deux Israéliens capturés en 2014 et 2015.

Mais les autorités israéliennes voudraient «sortir de la jurisprudence Gilad Shalit (soldat franco-israélien libéré, otage du Hamas pendant 5 ans, libéré en 2011 contre un millier de détenus palestiniens, NDLR). C’était une erreur stratégique juge Israël, car ces échanges incitaient à d’autres attaques et d’autres enlèvements», poursuit David Khalfa. Parmi les détenus palestiniens libérés, un tiers était de condamnés la perpétuité pour participation à des attentats terroristes. La libération de Gilad Shalit avait été négociée par Mohammed Sinwar, le frère de Yahya Sinwar, pressenti pour être son successeur.

*David Khalfa est l’auteur d’Israël Palestine, année zéro aux éditions du Bord de l’eau.

Par Amaury Coutansais-Pervinquière

Source lefigaro