En France, le malaise existentiel de la communauté juive après les mots d’Emmanuel Macron

Abonnez-vous à la newsletter

En évoquant la possibilité de ne plus fournir d’armes à Israël puis en enjoignant à Benyamin Netanyahou de ne «pas oublier que son pays a été créé par une décision de l’ONU», le président français a perdu les faveurs de très nombreux Français de confession juive.

Coup sur coup, Emmanuel Macron a suscité l’incompréhension, le malaise et la colère d’une grande partie des Français de confession juive, heurtés en leur for intérieur. D’abord en déclarant le 5 octobre – deux jours avant la commémoration des attentats du 7 octobre 2023 perpétrés par le Hamas en Israël – que «si on appelle à un cessez-le-feu, la cohérence c’est de ne pas fournir les armes de la guerre» à l’État hébreu. Un message notamment destiné aux États-Unis. Puis, dix jours plus tard, en enjoignant au premier ministre israélien Benyamin Netanyahou de ne «pas oublier que son pays a été créé par une décision de l’ONU [et par conséquent] de ne pas s’affranchir des décisions» de l’organisation internationale. Des propos rapportés mardi dernier à l’issue du conseil des ministres et que le président a affirmé, ce jeudi, être «faux, tronqués ou sortis de leur contexte».

La première «petite phrase» du président de la République a «catastrophé» Claude, 83 ans. «Demander d’arrêter de livrer des armes à Tsahal, c’est indirectement aller vers la négation de la survie d’Israël. Au moment où il prononce ces propos, il met ce pays en guerre dans une situation insupportable. La réalité, c’est que la présidence française à son plus haut niveau ne défend pas Israël», regrette ce radiologue à la retraite, fils de réfugiés polonais. «Ce sentiment d’indifférence est très difficile à vivre. Les juifs français comme moi sont avant tout français. Alors, cette impression d’être rejeté est tout à fait épouvantable», ajoute ce grand-père préoccupé par l’avenir de ses petits-enfants en France dans un contexte d’explosion des actes antisémites.

«On ne peut pas imaginer qu’il ne nous soutienne pas»

Parmi eux, Sasha, 22 ans. «Emmanuel Macron sait que depuis le 7 octobre nous enlevons les mezzuza de nos portes et que nous vivons dans la peur permanente de nous faire agresser… Quand il suggère de ne plus donner à Israël les moyens de se défendre et de riposter, il remet en question la liberté des juifs dans le monde», estime cette étudiante en psychologie, juive ashkénaze pratiquante, qui a voté pour l’actuel président de la République en 2022. «On ne peut pas imaginer qu’il ne nous soutienne pas», juge la Parisienne qui se sent «plus» chez elle et «davantage en sécurité» en Israël, où vivent environ 180.000 ressortissants français.

La déception de Nicolas, 51 ans, vis-à-vis d’Emmanuel Macron «ne date pas d’hier»«Il m’a perdu lorsqu’il ne s’est pas rendu à la marche contre l’antisémitisme en prétextant ne pas vouloir diviser les Français. Il faut aussi admettre qu’il s’est rendu en Israël bien plus tard que beaucoup d’autres dirigeants. Lorsque la Cour pénale internationale a réclamé des mandats d’arrêt contre des dirigeants du Hamas et Netanyahou, la France a soutenu l’initiative. Et plus récemment, les entreprises israéliennes ont été interdites d’exposer leurs matériels lors du salon de défense navale Euronaval (début novembre près de Paris, NDLR)», énumère cet expatrié fondateur d’un fonds d’investissement, petit-fils de survivants de la Shoah.

«Je ne comprends pas comment il est passé de l’idée de créer une coalition internationale contre le Hamas à l’arrêt des livraisons d’armes à Israël. Yahya Sinwar a été tué par l’armée israélienne qui utilise des armes qu’on lui livre… C’est le grand écart permanent», s’agace ce macroniste de la première heure qui estime qu’«avoir un État d’Israël fort où l’on peut se rendre quand c’est difficile ailleurs est essentiel».

«Malaise semblable à celui de 1967»

Dans un communiqué, le Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif) lui-même avait «vivement déploré» cette première déclaration d’Emmanuel Macron, estimant qu’«appeler à priver Israël d’armes (…) revient à faire le jeu du Hamas et du Hezbollah». «Je constate que ces propos et ceux qui ont suivi sur la création d’Israël ont déclenché une émotion assez large dans la communauté juive, ravivant pour certains le souvenir du malaise qui avait eu lieu à l’époque de De Gaulle en 1967», analyse auprès du Figaro son président Yonathan Arfi.

En novembre de cette année-là, après la guerre des Six Jours, le premier président de la Ve République française avait décrété lors d’une conférence de presse un embargo sur les armes et apporté son soutien à la résolution 242 du Conseil de sécurité de l’ONU, qui demande la fin de l’occupation militaire des territoires palestiniens par Israël, rompant ainsi le soutien historique de Paris à Jérusalem. En qualifiant «les juifs» de «peuple d’élite, sûr de lui-même et dominateur», le Général avait suscité autant de polémique que d’émotion.

Jeudi soir, Emmanuel Macron a de son côté tenté d’éteindre l’incendie en répétant que la France n’a «jamais fait défaut et s’est toujours tenue aux côtés d’Israël». Pas assez pour rassurer ceux qui ont lu dans ses précédentes déclarations une remise en cause de l’inconditionnalité du soutien militaire et diplomatique à l’État hébreu.

Ligne rouge

Mais c’est davantage l’allusion au vote, en novembre 1947 par l’Assemblée générale des Nations unies, du plan de partage de la Palestine en un État juif et un État arabe qui a le plus ébranlé la communauté juive, indépendamment des orientations politiques et du degré de soutien aux gouvernements français et israélien. «Quelque chose est atteint dans la conscience des juifs et de ceux pour qui Israël est un État pleinement légitime dans le monde qui s’est recomposé après 1945. Pour tous ceux-là, la phrase de Macron est une offense et une faute», analyse Bruno Karsenti, directeur d’étude à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) et auteur de l’essai Nous autres Européens (éd. PUF).

«Il y a deux éléments dans cette phrase. D’abord, elle suggère qu’Israël n’existe et ne tient que grâce à une concession de plusieurs États, regroupés dans une organisation internationale, et que l’on pourrait donc être pour ou contre l’existence de cet État. Introduire cette idée, c’est donner un appui implicite au crédo de l’antisionisme», analyse le philosophe. «Le second élément renvoie à la mémoire longue de l’histoire des juifs fondée sur l’idée qu’on est passé de l’octroi toujours conditionnel de la liberté et de la sécurité par des puissances étrangères d’avant la Révolution française à un droit à la liberté et à la sécurité. En prononçant cette petite phrase, sans s’en rendre compte sûrement, Macron touche un point très profond de la conscience juive», ajoute le directeur d’étude à l’EHESS. Qui conclut : «Pour les juifs, il a franchi une ligne rouge.»

Pour l’avocat Arno Klarsfeld, fils des chasseurs de nazis Beate et Serge Klarsfeld«le manque de tact et de réflexion sur la création d’Israël a consommé le divorce avec la base de la communauté juive». Et de conclure : «Il demeure un amour déçu dans un climat d’antisémitisme qui provient de l’islam radical et de l’extrême gauche. Ce n’est pas parce qu’on divorce qu’on ne peut pas se remarier. Mais il faudra des gestes et des paroles fortes.»

Source lefigaro