Le portrait : Artus, un p’tit trac en moins

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Porté par le succès phénoménal de sa comédie inclusive «Un p’tit truc en plus», l’humoriste entend rester fidèle à sa ligne de conduite.

Dans la campagne visuelle qui accompagne la promo de son nouveau spectacle, juste affublé du titre générique One man show, Artus a le visage fermé. Ce qui, de facto, lui confère une posture antithétique qu’on imagine préméditée. «Je plaide coupable, confirme le personnage de noir vêtu. Avec mes 140 kilos, j’avais pris l’habitude de trimballer l’image du gros mec sympa. Or, il s’agissait ici de mon premier shooting après en avoir perdu 35, et j’ai voulu me la jouer un peu mannequin, en arrêtant de sourire. Comme à Cannes, où ils font tous la gueule.»

Cannes, justement. La Mecque de la cinéphilie en surrégime où, seulement trois semaines après la sortie printanière d’une comédie qui, scores d’entrée aidant, avait déjà commuté en «phénomène de société», le néo-réalisateur, acteur, scénariste, et toute son équipe béate, costumée dans la douleur (cf la diatribe autour des marques de luxe ayant d’abord rechigné à endimancher la clique de guingois), s’étaient retrouvés conviés aux agapes… par la force des choses. Ce qui ne trompait personne.

A commencer par le premier de cordée : «Le film était déjà à cinq millions d’entrées, quand Thierry Frémaux [le délégué général du Festival, ndlr] en était encore à se renseigner pour savoir lequel de la bande était Artus. On a bien vu qu’on faisait chier tout le monde, dans un cadre où la comédie reste perçue comme une sous-culture, avec ce que cela induit d’hypocrisie lorsque la popularité atteint un niveau tel qu’on ne peut plus vous ignorer. La critique [très mitigée dans son ensemble, voire abstentionniste, dans le cas de Libé] n’aurait pas été la même si le film avait été signé Vincent Dedienne ou Panayotis Pascot, qui, eux, ont la carte. C’est ainsi. Mais j’observe également que Louis de Funès, ex-paria de l’intelligentsia, a été célébré quarante ans après sa mort à la Cinémathèque. De même que je prédis un statut “culte” à la bande à Fifi dans quinze ans !»

Le propos paraît aussi tranché que le ton, moins revanchard que serein et fataliste, au rez-de-chaussée du confortable appartement parisien tout en longueur, où la machine à laver finit son essorage, tandis que s’affaire une femme de ménage à l’étage et que la chienne, Martine, privatise le grand canapé. Avant Un p’tit truc en plus, Artus, qui fit autrefois ses classes en cuisine – dont il loue encore l’adrénaline du «coup de feu, l’esprit d’équipe et le côté bosseur» – était déjà une valeur établie de la farce. Mais, près de onze millions de tickets vendus plus tard (neuvième plus gros succès à ce jour pour un film français et record absolu pour un coup d’essai), voici donc assis sur un trône celui qui s’est choisi comme blase, acté dans le off d’Avignon, son deuxième prénom à l’état civil. Une baroquerie dégottée par «un oncle féru d’histoire» ayant établi une filiation avec Artus de la Fontaine Solaro, noble et maître de cérémonie qui, au XVIe siècle, servit quatre rois de France.

Pas avare de matière grasse, le nouveau spectacle – qui imbrique cure d’amaigrissement, trisomie, masturbation et troisième mi-temps (souvenir du poste de «centre» occupé une dizaine d’années sur les terrains de rugby) – va faire salle comble dans les mois à venir. Dans la foulée, des Zénith s’efforceront de répondre à la demande des plus de 200 000 disciples escomptés. Côté plateaux, un western parodique, dans le prolongement d’un précédent spectacle à succès, Duels à Davidéjonatown, est aussi dans les tuyaux pour 2026.

«Le succès du film m’a apaisé», savoure Artus sans ostentation, concédant, «pour être tout à fait honnête» (une locution chez lui récurrente), avoir dû atteindre le cap de la trentaine «pour ne plus être sujet aux crises d’angoisse» – comme cette «boule au ventre» longtemps alimentée par le fantasme parano que d’autres jeunes du village voulaient lui casser la figure. «Je sais pouvoir aujourd’hui m’éclipser pendant deux ans, sans qu’à mon retour on me demande qui je suis. Ça, plus la sécurité financière et les portes maintenant ouvertes pour moi et ceux avec qui j’ai envie de travailler.»

Une garde rapprochée qui comprend, entre autres, «Romain», l’ami d’enfance promu régisseur, qu’il a dans la peau : un tatouage (parmi tant d’autres) fait foi. Ou le réalisateur Antoine Chevrollier, qui lui a offert une première partition dramatique, en le dirigeant dans plusieurs épisodes de la série le Bureau des légendes. Puis une deuxième, à travers un second rôle très âpre de la Pampa, drame provincial sur fond de moto-cross, qui sortira sur les écrans en février. «Artus a un rapport suffisamment direct aux choses pour ne pas se laisser déstabiliser par le questionnement. L’acteur est à l’écoute et possède une vraie technicité qui permet à son jeu de se développer au gré des discussions et des répétitions. Et on décèle chez l’homme une intense générosité, qui se traduit par la volonté, avec sa femme Sarah, de créer, à travers des trucs simples, des moments, des souvenirs communs, qui scellent les liens», abonde le cinéaste, qui veille à qualifier d’«amicales et constructives» les «prises de tête et engueulades» jalonnant aussi une relation.

Un cercle dans lequel Victor Artus Solaro, petit dernier d’une fratrie de cinq enfants élevés dans l’Hérault par un père cadre dans l’informatique et une mère multifonctions, intègre aussi, naturellement, les personnes en situation de handicap. Un segment de la population dont, par belle-sœur interposée, il se préoccupe depuis plusieurs années, en brandissant l’étendard de l’équité, au sens où «il n’y a aucune raison de leur parler comme à des chatons ou des chiots», et qui comprend aussi, comme partout ailleurs, «son lot de cons».

«On ne peut pas embrasser toutes les causes. Il faut être focus sur une et s’y consacrer à fond, tout en veillant à la dédramatiser», pose celui qui, du Sénat à la région francilienne, continue donc de monter au créneau, la déferlante Un p’tit truc en plus et la liesse syncrétique des Jeux paralympiques à peine tues. Une préoccupation qui, de la part de celui qui déplore n’avoir «pas voté depuis fort longtemps pour quelqu’un», en masque d’autres, à propos desquelles l’amuseur se montre inversement discret. Comme lorsqu’on tente de l’entraîner sur le terrain meurtri du Liban, d’où son épouse, qui est aussi sa productrice, est originaire. Un pays si cher au couple, aujourd’hui plongé dans des ténèbres, que, pour le coup, le «clown» se sait tristement incapable d’éclairer.

1987 Naissance au Chesnay (Yvelines).
2011 Sketchs sur France 2 (On ne demande qu’à en rire).
2014 Premier spectacle, Al dente.
2017 Le Bureau des légendes.
2024 Un p’tit truc en plus et nouveau spectacle, One man show (à Paris, théâtre Edouard VII, jusqu’à fin décembre).
Février 2025 sortie en salle de la Pampa, d’Antoine Chevrollier.

par Gilles Renault

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