Le premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, estime qu’Emmanuel Macron se livre à «une affligeante distorsion de l’histoire».
LE FIGARO. – Le 11 octobre, Emmanuel Macron a, contre Israël, appelé à un embargo international des armes utilisées à Gaza et au Liban. Quelle est votre réaction ?
BENYAMIN NETANYAHOU. – Israël estime que ses amis en Europe, comme la France, devraient se tenir à ses côtés. Car c’est notre civilisation commune que nous défendons dans la guerre sur sept fronts que nous menons contre l’axe iranien de la terreur. Dans notre lutte contre le Hamas, contre le Hezbollah, contre les houthistes, contre le régime iranien, nous combattons des gens qui haïssent toutes les valeurs que défend l’Europe.
Au moment même où l’Iran s’assure que ses supplétifs terroristes du Moyen-Orient soient bien approvisionnés en armes, voici que la France appelle à un embargo sur les armes à destination d’Israël. Bien que nous ne recevions pas d’armes de la France, je trouve cet appel honteux. J’espère que la France va modifier sa politique, afin que nous puissions travailler ensemble à la stabilité du Liban, ainsi que sur d’autres dossiers régionaux.
Dans une vidéo le 8 octobre, vous vous êtes adressé directement au peuple libanais, l’invitant à reprendre le contrôle de son pays. N’avez-vous pas peur que votre stratégie d’affaiblissement du Hezbollah ne relance une guerre civile au Liban ?
Une nouvelle guerre civile au Liban serait une tragédie. Ce n’est certainement pas notre but d’en provoquer une. Israël n’a pas l’intention de s’ingérer dans les affaires intérieures du Liban. Notre seul objectif est de permettre à nos citoyens vivant le long de la frontière libanaise de pouvoir rentrer chez eux et de s’y sentir en sécurité. J’estime que le peuple libanais mérite un avenir de prospérité et de paix. J’espère que l’affaiblissement actuel du Hezbollah, mouvement piloté par Téhéran et qui a pris progressivement le Liban en otage, donnera l’occasion aux Libanais de reprendre en main leur destin.
Quand et comment finira votre guerre au Liban ?
Je répète que notre objectif de guerre est simple, qu’il s’agit pour nous de faire rentrer chez eux nos 60.000 réfugiés de Galilée et de démanteler au Sud-Liban tous les réseaux terroristes capables de menacer à nouveau notre frontière du nord. Le Hezbollah doit être repoussé au-delà du fleuve Litani. Nous allons détruire toutes les infrastructures terroristes qu’il a bâties au cours des deux dernières décennies. En tant que premier ministre d’Israël, je dois m’assurer que les Juifs ne subiront plus jamais, de la part de quiconque, d’attaque génocidaire, du type de celle qu’a commis le Hamas le 7 octobre 2023. Plus jamais nous ne tolérerons qu’une organisation génocidaire s’installe à nos frontières.
La France, l’Espagne et l’Italie vous reprochent de maltraiter la Finul (Force intérimaire des Nations unies au Liban), il y a eu plusieurs incidents avec des blessés légers…
Nous n’avons strictement rien contre la Finul. Il est vrai que le Hezbollah se cache souvent derrière des postes de la Finul pour lancer des missiles contre nous. Je regrette que les mécanismes décidés par la résolution 1701 du Conseil de sécurité de l’ONU, après la guerre Hezbollah-Israël de l’été 2006, n’aient pas été mis en place. Je vous rappelle que la résolution exigeait que les seules armes présentes au sud du Litani fussent celles de l’armée libanaise. Or, dans cette zone, le Hezbollah a creusé des centaines de tunnels et de caches, où nous venons de trouver quantité d’armements russes du dernier cri. En presque vingt ans, combien de missiles du Hezbollah la Finul a-t-elle arrêtés ? Zéro, hélas !
Devant le peu de considération que l’État d’Israël, aux yeux de la France, montre à l’égard de l’Organisation des Nations unies, le président français lui a rappelé qu’il avait été créé par elle…
C’est un signe d’ignorance historique et de manque de respect. L’ONU a reconnu le droit du peuple juif à un État, mais il ne l’a certainement pas créé. Le peuple juif est attaché à la terre d’Israël depuis 3500 ans. L’État moderne d’Israël a été créé par le sacrifice des courageux combattants de sa guerre d’indépendance – parmi eux, de nombreux survivants de l’Holocauste et du régime de Vichy – qui ont su résister à l’offensive de cinq États arabes ligués contre lui, qui n’avaient pas accepté le plan de partage de la Palestine mandataire par l’ONU. L’ONU n’a pas pris part à la guerre d’indépendance de 1948. Dire que l’ONU a créé l’État d’Israël est une affligeante distorsion de l’histoire.
Un général de l’état-major israélien a dit que le Hamas avait pratiquement été détruit à Gaza. Y a-t-il un espoir de voir prochainement la libération des otages israéliens ? Pensez-vous que vous réussirez à capturer Sinwar, le chef politico-militaire du Hamas, qui a orchestré l’attaque contre Israël du 7 octobre 2023 ?
Nos objectifs de guerre à Gaza étaient clairs : détruire les capacités militaires et politiques du Hamas, libérer les otages, faire en sorte que la bande de Gaza ne soit plus jamais une menace pour la population israélienne. Nous avons aujourd’hui démantelé pratiquement toutes les brigades du Hamas. Sur les 251 innocents qui ont été pris en otages le 7 Octobre, nous avons réussi à en ramener 154, dont 117 sont en vie. Nous ne nous reposerons pas tant que nos otages ne seront pas revenus à la maison.
Le procureur de la Cour pénale internationale de La Haye a demandé l’émission d’un mandat d’arrêt international contre vous et votre ministre de la Défense, pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité à Gaza. Les dirigeants du Hamas sont également visés. On attend la réponse des trois juges de la CPI. Le principal chef d’accusation contre vous est d’utiliser la famine comme arme de guerre. Que répondez-vous à la Cour ?
Comme l’a dit lui-même le président américain, Joe Biden, cette action judiciaire est scandaleuse. En effet, elle met sur le même plan les dirigeants démocratiquement élus d’Israël et les chefs d’une organisation terroriste génocidaire. Cette prétendue symétrie est absurde. C’est comme si on avait, après la Seconde Guerre mondiale, inculpé pour crimes de guerre Churchill en même temps que les chefs nazis. Il ne peut y avoir d’équivalence morale entre une démocratie se défendant avec des moyens légitimes et une organisation pratiquant le terrorisme. J’espère que la Cour qui, en droit, n’a aucune compétence sur des citoyens israéliens, n’acceptera pas cette inculpation, qui serait comme une nouvelle affaire Dreyfus et qui relancerait l’antisémitisme dans le monde.
Mais sur le fond lui-même ?
Sans aucun fondement est l’allégation que nous pratiquerions une politique délibérée d’affamer la population. Depuis le début de la guerre, nous avons autorisé le passage à Gaza de 40.000 camions, soit 800.000 tonnes de vivres, soit 3000 calories par jour et par personne à Gaza. Nous avons construit spécialement des routes pour permettre l’arrivée des camions de vivres et nous avons permis les ravitaillements par air et par mer. Dire qu’Israël poursuit une stratégie de famine est une flagrante calomnie. Le problème est que le Hamas accapare l’aide humanitaire internationale, pour ne rétribuer que ses partisans.
Le procureur vous reproche également de cibler délibérément les civils à Gaza lors des opérations militaires, aériennes ou terrestres…
C’est également une accusation calomnieuse. Car nous faisons exactement l’inverse. L’armée israélienne est allée beaucoup plus loin qu’aucune autre armée dans le monde pour minimiser les pertes civiles, alors qu’elle se bat contre des ennemis qui font tout ce qu’ils peuvent pour maximiser les pertes civiles. Pour nous, Israéliens, chaque mort de civil est une tragédie ; pour le Hamas, c’est une stratégie. Toutes les victimes civiles sont de la faute du Hamas. Il utilise les civils palestiniens comme des boucliers humains. Il veut maximiser les pertes civiles, à des fins de propagande.
Pourquoi utilise-t-il les hôpitaux, les écoles et les mosquées comme autant de bases de lancement de ses missiles ? C’est pour se protéger des tirs de riposte israéliens. Et quand nous ripostons, il accuse Israël de crimes de guerre contre les civils, alors que nous ne faisons que nous défendre.
Par millions, Israël parachute des tracts, envoie des SMS, passe des coups de téléphone pour prévenir les civils palestiniens de s’éloigner des prochains champs de bataille. C’est pourquoi le ratio de morts civils par rapport aux combattants tués à Gaza est le plus bas du monde dans ce type de guerre. Le plus grand expert mondial du combat en zone urbaine, le colonel John Spencer, professeur à West Point (le Saint-Cyr américain, NDLR), affirme qu’Israël prend des mesures pour protéger les civils qu’aucune autre nation n’a prises dans le combat moderne en zone urbaine.
Cet acte du procureur de la CPI vous paraît donc illégitime ?
Totalement. Je pense que tous les États européens responsables devraient s’insurger contre ce travestissement de la justice internationale. Certains d’entre eux ont, fort heureusement, déposé des avis judiciaires auprès de la CPI expliquant qu’une inculpation des dirigeants d’Israël irait contre le principe de complémentarité, reconnu par la Cour. Ce dernier dit qu’un éventuel crime de guerre doit être en priorité jugé sur place, s’il y a un système judiciaire indépendant et fonctionnel. Or c’est précisément le cas de l’État d’Israël.
Quel est votre plan concernant l’avenir de la bande de Gaza ?
Nos trois objectifs pour construire une paix durable à Gaza sont : 1) le démantèlement des capacités militaires et politiques du Hamas – c’est pratiquement chose faite ; 2) la démilitarisation de la bande de Gaza – elle sera réalisée dans tout arrangement politique futur ; 3) la déradicalisation de la société palestinienne à Gaza – il est important qu’on n’y apprenne plus, dès son jeune âge, à haïr et à massacrer les Juifs. Cette déradicalisation sera obtenue avec l’aide, sur place, de partenaires internationaux ayant réussi dans ce domaine. Et c’est cela qui garantira un avenir de paix, aux Palestiniens comme aux Israéliens.
Vous êtes notoirement hostile à la solution à deux États pour régler le problème palestinien. Mais que préconisez-vous donc ?
Depuis des décennies, ma solution est la suivante : les Palestiniens devraient avoir tous les pouvoirs pour se gouverner eux-mêmes, mais aucun pour menacer Israël. J’ai toujours pensé que donner aux Palestiniens des pouvoirs militaires souverains pourrait constituer une menace pour Israël. Pour moi, c’était évident dès avant le pogrom du 7 Octobre. Aujourd’hui, la très grande majorité des Israéliens partagent mon avis : Israël doit conserver le contrôle sécuritaire de la mer Méditerranée jusqu’au Jourdain.
Le fait que l’Autorité palestinienne (issue des accords d’Oslo de 1993 entre Israël et l’OLP de Yasser Arafat, NDLR) continue à verser des indemnités aux familles des terroristes tués par Tsahal et qu’elle n’ait toujours pas dénoncé les atrocités commises le 7 octobre 2023, est, pour le moins, décevant. Leur accorder aujourd’hui un État équivaudrait à accorder une prime au terrorisme.
Je sais que vous n’allez pas me dire quand et comment Israël va répondre à l’attaque par missiles balistiques de l’Iran du 1er octobre 2024. Mais n’y a-t-il pas une solution diplomatique possible ?
Vous avez raison. Je ne vais pas discuter avec vous de la riposte militaire d’Israël. En ce qui concerne la diplomatie, comment en faire avec ceux qui réclament notre destruction ? Devons-nous discuter avec eux de la manière dont Israël devrait être rayé de la carte ? C’est absurde…
Mais je dois rappeler que le grand peuple iranien n’est pas notre ennemi. C’est seulement son régime dictatorial. Le jour où le peuple iranien aura repris le contrôle démocratique de son gouvernement, les nations perse et juive reprendront leurs excellentes relations de naguère.
Croyez-vous que vous allez parvenir à signer un traité de paix avec l’Arabie saoudite, à ouvrir des relations diplomatiques et économiques avec ce royaume débouchant, comme Israël, sur la mer Rouge ?
Absolument. Et cela arrivera plus tôt que vous ne le pensez. Cela provoquera un fabuleux bond économique pour toute la région. Mais, surtout, cela entraînera une réconciliation historique entre les Juifs et les Arabes, entre le judaïsme et l’islam, entre Jérusalem et La Mecque.
Par Renaud Girard