L’ex-Première ministre, candidate à la présidence de Renaissance, fend l’armure pour la première fois, à l’occasion de la sortie de son livre, «Vingt mois à Matignon».
Peut-être que les Français qui liront Vingt mois à Matignon changeront de regard sur Élisabeth Borne. Rue de Varenne, l’ex-préfète a rempli sa mission dans la douleur : la réforme des retraites adoptée par 49.3, la pantalonnade de la loi immigration, une majorité relative et des oppositions déchaînées, les trente et une motions de censure, les émeutes, un président qui continue de se mêler de tout (contrairement à ce qu’il lui avait dit !), des ministres plus ou moins bienveillants.
À plusieurs reprises, elle a hésité à jeter l’éponge. Il y a une part de ressentiment et surtout beaucoup d’humanité sous la plume incisive de l’ex-Première ministre, députée du Calvados, qui raconte dans le détail le sexisme, l’antisémitisme, les coups bas et les coups de mou. Ce livre est aussi une libération et le signe d’une mue politique pour cette femme de devoir et dure au mal, une énigme aux yeux de nombre de ses pairs, qui brigue la présidence du parti Renaissance malgré la candidature imminente de Gabriel Attal, favori du scrutin.
Elle narre son histoire, celle d’une fille de père déporté qui finit par se suicider et d’une mère qui se retrouve dans la galère. Dans ce journal de bord captivant et édifiant, Élisabeth Borne règle ses comptes mais cherche aussi les bons points qui, jamais, ne lui ont été attribués. « Elle a fait tout le sale boulot. Et le président l’a maltraitée », rapporte une amie. A la lumière de la violence de son expérience, Borne plaide pour une démocratie plus apaisée. Sans se fermer aucune porte pour la suite.
Quand elle reçoit Le Point, elle ménage d’ailleurs Michel Barnier et ne souhaite pas commenter son gouvernement, auquel elle a refusé de participer. « Question de cohérence », balaie celle qui s’est vu proposer, une nouvelle fois, le ministère des Armées.
Le Point : Malgré les difficultés, vous racontez que, ce 9 janvier 2024, vous ne voulez pas partir de Matignon. Avez-vous compris pourquoi Emmanuel Macron vous avait remplacée ?
Élisabeth Borne : Je n’ai pas forcément compris sa décision. Je venais de rattraper un texte mal engagé [la loi immigration, NDLR], et j’avais envie de continuer en portant des sujets qui me tenaient à cœur, comme la transition écologique ou l’égalité des chances. Car je constate qu’il y a encore beaucoup de chemin à faire en la matière.
Vous avez souffert de cette image de « Madame 49.3 ». Cherchez-vous à réhabiliter votre bilan ?
Il y a eu une représentation caricaturale et mensongère sur le recours permanent au 49.3, d’autant que la plupart des textes ont été votés en construisant des majorités. Cela donne confiance sur le fait qu’on est capable de bâtir des compromis. Je raconte aussi ma découverte d’un monde politique où certains peuvent passer plus de temps dans les médias, à vous mettre des bâtons dans les roues plutôt qu’à agir. Enfin, je voulais dire qui je suis.
Vous racontez en effet votre histoire, votre enfance qui fait de vous, dites-vous, « une anomalie statistique »…
Ma pudeur a pu être caricaturée en froideur. Cette histoire, je l’ai racontée car elle me donne de la force. Je suis la fille d’un père qui a été déporté, qui est revenu des camps. Il a essayé de reprendre sa vie, de fonder une famille, et il a été rattrapé par l’horreur qu’il a pu vivre et s’est suicidé. Ma mère s’est retrouvée seule avec ses deux filles, sans revenus, avec des factures qui s’accumulaient sur la table de l’entrée.
C’est très fort dans ma construction politique. En tant que pupille de la Nation, j’ai pu faire des études, devenir préfète, puis dirigeante d’une grande entreprise [la RATP, NDLR], ministre, puis Première ministre. L’expérience que j’ai pu avoir me permet aussi d’être plus en prise avec le quotidien. Tout ça me donne une connaissance du pays, pas de quelques arrondissements parisiens. Aujourd’hui, je m’engage à fond en politique pour que cette promesse républicaine perdure.
Votre relation avec le président n’a pas été simple.
Nous avons toujours eu des relations agréables dans l’échange. Il ne fait pas de doute que nous n’avons pas le même caractère, le même vécu. Je suis d’abord une femme d’écoute et de dialogue. Je m’épanouis dans le compromis. Le président appréhende toute la complexité et prend ses décisions en ayant beaucoup écouté. Donc, ce n’est pas forcément ce que vous avez proposé qui est mis en œuvre ! Nous avons surtout un sujet sur les institutions. Un certain nombre de réformes institutionnelles sont venues brouiller les rôles respectifs du président et du Premier ministre. Je pense au quinquennat suivi des élections législatives, qui fait qu’on attend tout du président, qui pense en retour qu’on lui fera forcément le reproche de tout ce qui ne fonctionne pas.
Le budget 2025 comprend 60 milliards d’euros d’économies et des hausses d’impôts. N’est-ce pas votre échec ?
Nous devons être conscients de la situation extrêmement difficile de nos finances publiques – qui est apparue après mon départ. Comment est-il possible que Bercy ne sache plus estimer des recettes à partir d’une croissance donnée ? Je pense utile que le ministère effectue son introspection. Je ne m’explique pas non plus le dérapage des dépenses publiques ces derniers mois. Il faut trouver un chemin pour redresser nos comptes, sans avoir à sacrifier le futur au présent, ce que Michel Barnier a bien en tête. Je suis convaincue que notre cap était le bon : le soutien à l’activité et à la création d’emplois. Il faut être ferme sur l’idée de ne pas casser la croissance mais, pour autant, il ne faut pas s’interdire de taxer les rentes ou de revoir des niches fiscales, ce qui était dans notre philosophie d’origine.
Vous vantez l’esprit de coalition. Pourtant, cela n’a pas marché, le chef de l’État lui-même a fait ce constat…
J’ai eu l’occasion de dire au président que je trouvais que cela fonctionnait. Il a reconnu que l’Assemblée n’était pas bloquée, puisqu’elle votait des textes ! La logique de compromis est plus positive pour notre pays que celle du bloc contre bloc ou l’alternance droite-gauche. Il y a eu un souffle en 2017, un essoufflement en 2022 puis en 2024. Il faut donc être à l’écoute, comprendre, construire des solutions qui donnent envie et de l’espoir. Le bloc central doit être un pôle de stabilité et s’inscrire durablement dans la vie politique française.
Vous êtes candidate au congrès de Renaissance. Pour quoi faire ?
Il est temps que ce parti se réinvente et propose un nouveau projet pour les Français : ils ont du mal à nous identifier, nous devons donner les moyens à nos militants pour se former, pour produire des idées, pour préparer les élections municipales et nationales et les consulter régulièrement.
Vous consacrez une partie de votre livre au sexisme. La macronie est-elle machiste ?
La classe politique est machiste ! En tant que femme, vous êtes en permanence renvoyée à des codes masculins. Il est justement important que notre famille politique reflète la diversité des Français. La France est faite d’hommes et de femmes ; de gens jeunes, dynamiques et brillants, de gens plus mûrs, expérimentés. De gens qui vivent en Île-de-France, de gens qui vivent dans les territoires ruraux.
En ayant appelé à faire voter des candidats du NFP face au RN, vous avez contribué à faire élire des députés LFI…
LFI sert de marchepied au RN. Par son soutien à l’islamisme qui inquiète beaucoup de Français, LFI participe à la normalisation du RN. À titre personnel, je ne pouvais pas appeler à voter pour un candidat qui porte ces thèses. Ils font beaucoup de mal à notre pays. L’action clientéliste de LFI attise une partie de notre population contre les juifs. Je trouve cela insupportable.
Le gouvernement de Michel Barnier, que vous soutenez, dépend du bon vouloir du RN…
Le gouvernement est sous la menace d’une censure du RN dès lors que le NFP reste uni. Pour changer de logique, il faut que le PS puisse s’émanciper de la domination de LFI. C’est la raison pour laquelle je suis favorable à l’instauration de la proportionnelle au niveau départemental.
Vous êtes « prête à mettre toute [votre] énergie pour bâtir ensemble ». Est-ce le signe que vous pensez à 2027 ?
Ce n’est pas l’actualité du moment. Aujourd’hui, nous devons d’abord construire un projet
Propos recueillis par Mathilde Siraud.