Quand l’antisémitisme chasse les Juifs de l’école publique

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L’antisémitisme nuit jusqu’à l’enseignement public. Depuis le 7 octobre, de nombreux parents ont déscolarisé leurs enfants des écoles publiques, quitte à les inscrire dans les établissements confessionnels.

La peur ne se quantifie pas, ne s’exprime dans aucune statistique. On ne peut pas prouver que l’antisémitisme chasse les enfants de l’école publique. Mais restent les chiffres. Depuis dix ans, c’est-à-dire, depuis les attentats qui ont visé Charlie Hebdo et l’Hypercasher porte de Vincennes, le nombre d’enfants scolarisés dans des écoles juives a augmenté de 10%. Et depuis le 7 octobre dernier, trente-deux nouvelles classes ont ouvert, à en croire le Fonds social juif unifié (FSJU), chargé d’études sur le sujet. « On assiste à deux phénomènes majeurs : jusqu’à l’an dernier, les parents inscrivaient les enfants dans une école juive pour les rentrées en CP, en sixième ou en seconde, avant de commencer un nouveau cycle. Aujourd’hui, les inscriptions concernent tous les niveaux et arrivent parfois en cours d’année, ce qui atteste d’une certaine précipitation, avec un sentiment d’insécurité subi, ou en tout cas perçu, très fort, explique Richard Odier. Dans le même temps, beaucoup de parents retirent leurs enfants des écoles juives pour d’autres écoles privées, parfois hors-contrat, car ils s’inquiètent que les écoles juives soient particulièrement ciblées. »

Tout commence en 2017, quand un ancien principal d’un collège de Marseille raconte dans un livre avoir refusé d’inscrire dans son établissement un enfant juif, pour sa propre sécurité. « En l’état, je n’aurai pas pu garantir la sécurité de cet adolescent dans mon collège sans aucune mixité, où certains sont chauffés à blanc, chaque soir, via les télévisions par satellite vouant aux gémonies Israël et les Juifs », selon ses propres mots. Quelques mois plus tard, un ancien inspecteur général de l’Éducation nationale, Jean-Pierre Obin, note dans un article que « si le racisme le plus développé dans la société reste le racisme antimaghrébin, ce n’est plus le cas dans les établissements scolaires, où il a été très nettement supplanté par le racisme antijuif. »

Dès lors, le chiffre de 33% d’élèves scolarisés dans les établissements publics est égal à celui des enfants scolarisés dans des écoles juives, les autres étant scolarisés dans d’autres écoles privées. Un audit est alors annoncé par Emmanuel Macron, mais il ne sera jamais mis en œuvre, comme le raconte dans une enquête récente l’Express , car le gouvernement et l’éducation nationale seraient frileux à l’idée de s’emparer d’un sujet aussi inflammable, notamment quand il s’agit de statistiques ethniques, interdites en France. Selon le FSJU, 35 528 élèves seraient scolarisés dans des établissements juifs en 2023, avec 600 nouveaux élèves inscrits au cours de la même année scolaire. Sur une estimation de 80 000 à 100 000 enfants juifs de 3 à 18 ans vivants en France. À en croire une étude du FSJU, 9 enfants juifs sur 10 disent avoir perçu de l’antisémitisme lors de leur scolarité. « Cette génération, qui a aujourd’hui entre 10 et 20 ans, a toujours connu un climat de violence », estime Richard Odier.

Un climat intenable

Mais entre le 7 octobre et le 31 janvier 2023, plus de 184 actes antisémites ont été relevés dans le cadre scolaire. Ce qui aurait poussé nombre de parents à changer leurs enfants d’école. Julie, une habitante de Boulogne-Billancourt (92), a d’abord tenu à scolariser ses 4 enfants dans le public. Depuis le 7 octobre dernier, les choses sont devenues intenables. « Ça a commencé par les jeunes qui mettaient systématiquement le drapeau de la Palestine devant leur nom dans les groupes WhatsApp entre jeunes, et qui créaient des groupes séparés en excluant les enfants juifs. Puis il y a eu les croix gammées gravées sur les tables et les graffitis dans les toilettes », raconte-t-elle. Son fils de 17 ans n’osait plus, les soirs où l’actualité au Proche-Orient était la plus difficile, traîner devant son établissement avec ses camarades.

Bientôt, les profs s’y sont mis. Un enseignant d’histoire-géographie, le jour de la rentrée, a commencé son cours en expliquant qu’Israël « oppressait les Palestiniens », si bien que tous les camarades se sont tournés vers le jeune garçon. « Comme si j’étais un démon, j’étais exclu du groupe classe », a regretté l’élève en rentrant chez lui le soir. Si bien que Julie a finalement décidé d’inscrire son dernier, en classe de troisième, dans une école juive. « C’est une schizophrénie. Soit on choisit l’école public et l’ostracisation, soit on choisi l’école juive avec les policiers et les militaires devant le portail de l’entrée. Dans tous les cas, la situation est odieuse et dangereuse » , soupire la mère de famille.

Le groupe scolaire Chné-Or, à Aubervilliers, a constaté une hausse des inscriptions d’environ 20% en un an, de la maternelle jusqu’au bac . « Les parents témoignent d’un vrai sentiment d’insécurité à l’école publique. Cela va d’enfants qui ont peur de dire qu’ils sont juifs à d’autres qui ont vécu de réelles situations de harcèlement, parfois avec dépôt de plainte  » , raconte madame Nisilivitch, la principale. Une mère a même reçu une fin de non-recevoir de la part de l’équipe pédagogique qui minimisait des actes d’antisémitisme, avant de dire « allez voir dans vos écoles ». La tension autour de l’insécurité était telle qu’il y a quelques années, l’école a mis en place un réseau de bus qui va chercher les enfants directement chez eux dans toute la Seine-Saint-Denis pour les amener à l’école, afin qu’ils n’aient pas à s’y rendre à pied ou en transports en commun.  « Depuis le 7 octobre, la demande a augmenté, même pour des familles qui habitent à proximité de l’école. Ils ne veulent plus que les enfants traversent certains quartiers environnants à pied »,  estime-t-elle. Richard Odier nuance cette réalité propre à la Seine-Saint-Denis. « Le 93 antisémite est un faux mythe. En réalité, cela marche par îlot. Autant à Sarcelles ou à Gagny il reste des regroupements juifs, autant à Stains ou à Pierrefitte, la population juive a dû s’enfuir face à une grande précarité sociale doublée d’antisémitisme », explique-t-il. Cet essor des écoles juives est vécu comme un échec par les enseignants du public, parfois frustrés de ne pas avoir réussi à protéger leurs élèves. Christine Guimmonet, de l’association des professeurs d’histoire-géographie, n’a pas constaté d’antisémitisme directement dans ses classes, même si elle a déjà surpris un de ses élèves dessiner des croix gammées en marge de sa copie. « Cela ne s’exprime pas forcément dans l’enceinte de l’école, mais il y a un vrai travail à faire sur l’antisémitisme. C’est à l’état d’assurer la sécurité de tous ses élèves dans le public, quelque soit la religion. La solution ne passe pas par l’augmentation d’établissements privés confessionnels. Il y a des choses à faire sur le plan éducatif, et judiciairement, avec des rappels à la loi pour rappeler que l’antisémitisme est un délit. Tous les élèves doivent pouvoir étudier en toute sécurité  » s’emporte-t-elle. « Savoir que certains élèves quittent le public car ils y sont agressés, c’est intolérable »

Coline Renault

Source charliehebdo

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