Un an après ce massacre monstrueux, la région a basculé dans le cycle sanglant des représailles, la société israélienne est fracturée, et l’impuissance de la communauté internationale flagrante.
Le paysage est biblique, son sable est gorgé de sang depuis des millénaires. Arrivant de Berlin en 1936, le poète hébraïque Nathan Zach y compte «cinq couches de tombes», constatant que si «nous avons lu les inscriptions en écriture cunéiforme /elles parlaient de nous, aussi n’avons-nous pas compris». Peut-on comprendre davantage aujourd’hui ?
Les massacres du 7 octobre 2023 ont aussitôt été désignés par leur date tant ils paraissaient inqualifiables. Assassiner pendant toute une journée des centaines de civils en les débusquant chambre par chambre de toute cachette possible, en les poursuivant voiture par voiture sur une autoroute, en les incendiant pavillon par pavillon dans leurs chambres fortes, en les encerclant dune par dune sur les lieux d’un festival pour la paix, témoigne certes d’un acharnement sadique mais aussi d’un choix stratégique du Hamas d’annihiler toute chance de solution politique dans les décennies à venir. La date indique donc aussi l’inéluctabilité de la bascule qui allait déstabiliser la région tout entière.
Ainsi, deux des conséquences les plus graves de ce conflit étaient claires quelques heures après l’attaque : l’explosion des actes antisémites en France et dans le monde, et la férocité des représailles israéliennes. «Nous voulions des résultats immédiats, nous n’avons eu que des conséquences éternelles», avouait le secrétaire d’Etat américain Robert McNamara trente ans après la guerre du Vietnam.
Libération y reviendra longuement dans les jours qui viennent, mais il nous faut d’abord regarder en face le 7 Octobre même. Comme par exemple cette photo d’une jeune Israélienne fuyant les attaquants du Hamas lors du Festival Nova, le 7 Octobre au matin. Elle avait été proposée par le service iconographique de Libération pour la une du 8 octobre il y a un an mais avait été écartée par une double gêne : celle de donner l’impression de se servir de la beauté de cette jeune femme anonyme pour illustrer un événement abject, et celle d’ignorer tout de son destin.
Un an après, nous connaissons son histoire : Vlada Patapov, 25 ans, était au festival avec son conjoint et leur fille de trois ans. Tous les trois dormaient sous la tente quand les fusillades ont commencé. Séparée de sa famille dans la cohue, poursuivie par des terroristes déguisés en soldats israéliens, elle ne doit son salut qu’à sa forme physique et sa chance ; ce sera aussi le cas de son compagnon et de leur fille, alors que 250 corps calcinés ont été retrouvés sur place le lendemain.
Elle illustre donc aujourd’hui en une cet instinct de survie et cette soif de paix et de musique ; et pourtant, nous avons encore une fois hésité, même un an après, entre son image et celles des corps dispersés de ceux qui n’ont pas eu sa chance.
Nos journalistes sont ainsi revenus sur les lieux des massacres, ont interrogé témoins et rescapés, ont documenté la fracture de la société israélienne, visible chaque week-end, quand près de 400 000 Israéliens bloquent les routes et l’accès au domicile du Premier ministre, Benyamin Nétanyahou.
Tenu pour responsable – entre autres par sa tactique de soutenir financièrement le Hamas pour mieux affaiblir l’Autorité palestinienne – de la tragédie du 7 Octobre par 80 % de la population et par 65 % de ses électeurs, Nétanyahou n’arrive pas à redresser sa cote de popularité et doit toujours faire face à trois chefs d’accusation pour corruption dès que son cabinet d’urgence cessera d’être reconnu par le Parlement israélien. Avec un cynisme politique sans égal, il a donc tout intérêt à continuer la guerre.
Son allié d’hier se terre toujours dans ses tunnels de Gaza : Yahya Sinwar, terroriste en chef du Hamas, préparateur méticuleux d’une attaque qui devait avant tout exterminer tout ce qui représentait la possibilité de vivre ensemble, incarnée par ces juifs de gauche dont beaucoup s’étaient engagés dans des ONG et des mouvements civils pour venir en aide aux Palestiniens de Gaza. Son indifférence à l’immense perte de vies palestiniennes à Gaza lui permet d’exercer une influence certaine sur l’opinion mondiale, qui s’est progressivement retournée contre Israël au fur et à mesure que tant d’enfants palestiniens étaient tués. Nos journalistes ont aussi parlé à des Gazaouis, dont la vie a également basculé le 7 Octobre et qui sont à la merci de ce tandem infernal, qui n’a aucune raison de changer de cap, menacés qu’ils sont tous deux, par ailleurs, de poursuites devant la Cour internationale de justice.
Mais le 7 Octobre est aussi la date des illusions perdues, celles de la communauté internationale qui est bien forcée d’admettre qu’elle n’a que peu d’influence sur les événements, et se contente donc d’essayer de contenir cette guerre pour ne pas en subir de conséquences financières. Dans cette situation, le désert biblique risque donc d’être encore largement abreuvé de sang. De 7 octobre en 7 octobre.
Un an après, que sont devenus les 251 otages du 7 Octobre ?
Soixante-trois personnes officiellement considérées comme vivantes, ainsi que les corps de trente-trois autres, restent entre les mains du Hamas et de ses alliés.
Il y a un an, à l’issue des massacres du 7 Octobre, les assaillants du Hamas prenaient en otages 218 hommes et femmes vivants, civils ou militaires, et 33 corps sans vie – soit un total de 251 personnes. Le nombre de captifs a toutefois longtemps été incertain. Des familles de victimes ont cru à tort, pendant parfois des semaines ou des mois, que leur proche, introuvable, faisait partie des otages emmenés à Gaza. Ainsi, en croisant les différentes listes diffusées par les familles de victimes, les proches ou les associations, CheckNews avait dénombré 268 «otages et présumés otages». Au fil des mois, pourtant, 17 d’entre eux ont été retrouvés : ils figuraient, non identifiés, parmi les victimes du massacre du 7 Octobre. Leur identité a pu être établie à l’issue d’un long travail mené par des anthropologues légistes. A l’instar de Dolev Yehud, présumé otage pendant presque huit mois parce que disparu, alors que son corps, identifié en juin dernier seulement dans le kibboutz de Nir Oz, n’avait en réalité jamais quitté Israël.
Sur les 251 personnes effectivement emmenées à Gaza le 7 octobre 2023, 33 étaient déjà mortes, selon les sources officielles. Leur corps a été emporté comme monnaie d’échange par les membres du Hamas, ou d’autres groupes palestiniens. 218 personnes étaient vivantes au moment de leur enlèvement, parmi lesquelles 90 filles et femmes, et 128 garçons et hommes. 35 d’entre eux étaient âgés de moins de 18 ans. Un grand nombre avait vu des proches assassinés le 7 Octobre.
A ce jour, 33 des 35 mineurs (9 garçons et 24 filles) ont été libérés, en vie. Deux enfants, Kfir Bibas et Ariel Bibas, âgés de 8 mois et 4 ans lors de leur enlèvement, sont encore présumés otages. Si la mort du plus jeune avait été annoncée par le Hamas en novembre 2023, Israël n’a jamais confirmé l’information. Le Hamas ayant déjà annoncé à tort des décès parmi les otages, les deux enfants sont donc toujours considérés comme vivants par les autorités israéliennes.
Au cours de l’année, 155 noms ont été ôtés de la liste des otages. Outre les 33 mineurs, 49 femmes et 35 hommes adultes vivants ont recouvré la liberté, libérés à l’issue de négociations ou au cours d’opérations militaires. Soit 117 ex-otages vivants. A ce nombre s’ajoutent 38 corps sans vie retournés en Israël. Ceux de 2 femmes et 12 hommes tués le 7 Octobre, et de 6 femmes et 18 hommes tués en captivité. Cinq d’entre eux – Alon Shamriz, Yotam Haim, Elia Toledano, Nik Beizer et Ron Sherman – ont été tués par erreur par l’armée israélienne lors d’interventions à Gaza.
Il reste donc, à ce jour, 96 noms sur les listes d’otages. 33 sont ceux de personnes dont le décès est confirmé par Israël. Ceux de 18 hommes et d’une femme tués le 7 Octobre, et ceux de 12 hommes et de 2 femmes morts en captivité. Outre 30 Israéliens, on compte parmi eux 1 Tanzanien et 2 Thaïlandais.
Restent les noms de 63 otages officiellement présumés vivants, dont on peut craindre qu’une partie ne soient plus en vie. Le 22 septembre, lors d’une réunion à huis clos de la commission des affaires étrangères et de la défense de la Knesset, relatée par différents médias israéliens, Benyamin Nétanyahou aurait déclaré que «la moitié des otages» seraient encore en vie. Laissant entendre qu’environ 15 otages officiellement «présumés vivants» étaient déjà morts. Contactée par CheckNews, Tsahal n’a pas commenté l’estimation communiquée par le Premier ministre.
Les 63 otages présumés vivants sont 9 femmes – 5 militaires et 4 civiles, âgées de 18 à 32 ans – et 54 hommes, dont le plus jeune aurait donc un peu plus d’un an, et le plus âgé 85. Parmi ces derniers, on compte 4 militaires pour 50 civils. Deux hommes otages sont franco-israéliens (Ohad Yahalomi et Ofer Kalderon), l’un israélo-américain, un autre népalais et six thaïlandais.
L’annonce, le 29 août, de la découverte des corps de six otages, avait provoqué une crise en Israël, fragilisant le gouvernement Nétanyahou, et provoquant des manifestations de grande ampleur. Alors que les négociations en vue d’une trêve sont toujours à l’arrêt, Benyamin Nétanyahou est accusé par des familles d’otages et une partie importante de l’opinion d’abandonner les captifs à leur sort.
Les noms des 63 otages officiellement présumés vivants sont présentés ci-dessous. Lorsque plusieurs transcriptions du nom existent en alphabet latin, seule l’une d’elles a été retenue. L’âge des otages est celui au moment de leur enlèvement.
- Kfir Bibas (8 mois)
- Ariel Bibas (4 ans)
- Liri Elbag (18 ans)
- Agam Berger (19 ans)
- Daniella Gilboa (19 ans)
- Karina Ariev (19 ans)
- Naama Levy (19 ans)
- Rom Braslavski (19 ans)
- Idan Alexander (19 ans)
- Nimrod Cohen (19 ans)
- Tamir Nimrod (19 ans)
- Matan Angrest (21 ans)
- Omer Shem Tov (21 ans)
- Alon Ohel (22 ans)
- Bar Abraham Kuperstein (22 ans)
- Guy Gilboa-Dalal (22 ans)
- Hamza Alziedana (22 ans)
- Omer Wenkert (22 ans)
- Omer Neutra (22 ans)
- Romi Leshem Gonen (23 ans)
- Eitan Avraham Mor (23 ans)
- Evyatar David (23 ans)
- Yosef Chaim Ohana (23 ans)
- Bipin Joshi (23 ans)
- Matan Zangauker (24 ans)
- Ariel Cunio (26 ans)
- Gali Berman (26 ans)
- Segev Kalfon (26 ans)
- Ziv Berman (26 ans)
- Alexander «Sasha» Trupanov (27 ans)
- Elia Cohen (27 ans)
- Bannawat Saethao (27 ans)
- Arbel Yahod (28 ans)
- Idan Shtivi (28 ans)
- Doron Steinbrecher (30 ans)
- Avinatan Or (30 ans)
- Surasak Rumnao (30 ans)
- Shiri Bibas (32 ans)
- Watchara Sriaoun (32 ans)
- David Cunio (33 ans)
- Or Levy (33 ans)
- Elkana Bohbot (34 ans)
- Yarden Bibas (34 ans)
- Sathian Suwannakham (34 ans)
- Maxim Herkin (35 ans)
- Sagui Dekel Chen (35 ans)
- Nattapong Pinta (35 ans)
- Pongsak Thaenna (36 ans)
- Eitan Horn (37 ans)
- Tal Shoham (38 ans)
- Yair Horn (45 ans)
- Omri Miran (46 ans)
- Ohad Yahalomi (49 ans)
- Tsachi Idan (50 ans)
- Ofer Kalderon (53 ans)
- Youssef Hamis Alziedana (53 ans)
- Eli Sharabi (55 ans)
- Ohad Ben Ami (55 ans)
- Keith Samuel Siegel (64 ans)
- Itzhak Elgarat (69 ans)
- Gadi Moshe (79 ans)
- Oded Lifshitz (83 ans)
- Shlomo Asad Mansour (85 ans)
Les noms des 33 personnes officiellement déclarées mortes et dont les corps restent retenus à Gaza sont listés ci-dessous.
Mortes le 7 octobre :
- Daniel Oz (19 ans)
- Shay Levinson (19 ans)
- Itai Chen (19 ans)
- Sonthaya Oakkharasri (20 ans)
- Daniel Perez (22 ans)
- Ran Gvili (24 ans)
- Tamir Adar (38 ans)
- Muhammad Al-Atarash (39 ans)
- Asaf Hamami (41 ans)
- Tal Chaimi (42 ans)
- Sudthisak Rinthalak (43 ans)
- Dror Or (48 ans)
- Aviv Atzili (49 ans)
- Eitan Levi (53 ans)
- Ilan Weiss (56 ans)
- Yair Yaakov (59 ans)
- Lior Rudaeff (61 ans)
- Judith «Judy» Lynne Weinstein-Haggai (70 ans)
- Manny Godard (73 ans)
Mortes durant leur captivité :
- Yonatan Mordechai Samerano (21 ans)
- Joshua Loitu Mollel (21 ans)
- Sahar Baruch (24 ans)
- Guy Iluz (26 ans)
- Inbar Haiman (27 ans)
- Uriel Baruch (35 ans), certaines sources évoquant sa possible mort dès le 7 octobre, il est toutefois officiellement considéré comme mort en captivité
- Itai Svirsky (38 ans)
- Yossi Sharabi (51 ans)
- Ronen «Ron» Engel (55 ans)
- Ofra Keidar (70 ans)
- Gad Haggai (73 ans), certaines sources évoquant sa possible mort dès le 7 octobre, il est toutefois officiellement considéré comme mort en captivité
- Eliyahu «Churchill» Margalit (75 ans)
- Amiram Cooper (84 ans)
- Arye Zalmanovich (86 ans)
[mise à jour du 6/10/24 : quatre noms de personnes mortes en captivité, cités par erreur dans les personnes mortes le 7 octobre, ont été déplacés dans la bonne section, et les chiffres présentés dans le corps du texte corrigés]