Un an après le 7-Octobre, les survivants du festival pansent leurs plaies dans l’action

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« 7-Octobre, un an après ». Groupes de parole, conférences, expositions à l’étranger… Sur les 1 195 victimes de l’attaque terroriste perpétrée par le Hamas en Israël, le 7 octobre 2023, 364 étaient des participants du festival Tribe of Nova. Depuis, ces rescapés multiplient les initiatives et forment une communauté soudée.

Depuis le jour où ils ont échappé à la mort, le 7 octobre 2023, Yaniv et Anita Meoded possèdent deux chaînes en argent. La première affiche « Nova », en lettres capitales calligraphiées. Elle rappelle leur attachement à ce festival de trance, un sous-genre de la musique électronique, organisé dans le désert israélien, près de la bande de Gaza. Pour le plombier de 42 ans, longtemps fan de métal, ces soirées lui avaient enfin permis de trouver un terrain d’entente musical avec son épouse, professeure de piano de 45 ans, formée au conservatoire. Le second bijou représente le pick-up à bord duquel le couple a réussi à fuir l’attaque terroriste, lors de laquelle 364 festivaliers, sur quelque quatre mille participants, ont été tués par le Hamas.

Ce matin-là, Yaniv, atteint de nécrose avasculaire, une grave maladie des os, profitait de la musique sur une chaise surélevée et ne se déplaçait qu’à l’aide de béquilles, soutenu par sa femme. Quand les premières roquettes ont lézardé le ciel, à 6 h 29, ils s’imaginaient condamnés sur ce coin de sable, loin de leurs trois enfants, Thea (20 ans), Barak (13 ans) et Lahav (12 ans). Longtemps cachés dans des buissons et tétanisés par les coups de feu toujours plus proches, Anita et Yaniv n’ont dû leur survie qu’à ce véhicule qui a réussi à zigzaguer à travers « l’horreur », avant de les récupérer avec quinze autres personnes. « Avec ce petit groupe, nous partageons désormais un destin commun », glisse Yaniv Meoded. Pour « ne jamais oublier », plusieurs d’entre eux se retrouvent souvent autour de barbecues et de bières, à leur domicile ou, comme ce 31 juillet, près d’un lac artificiel au sud de Tel-Aviv. Et désormais, ces dix-sept survivants portent tous les mêmes chaînes argentées.

Au bord du plan d’eau, plusieurs centaines de rescapés se réunissent chaque semaine pour une « journée d’entraide ». Pantalon à carreaux et dreadlocks sur les épaules, Yaniv Meoded confie avoir hésité avant de se rendre à ce festival Tribe of Nova miniature. Il espérait pouvoir mettre un peu de distance avec ce 7 octobre et ses 1 195 morts, reprendre le cours de son existence. Mais tout le ramène sans arrêt à ce jour sombre. Même le bruit de la chute d’une branche d’arbre lui rappelle le son tranchant des tirs de fusil d’assaut. Il a beau calmer ses angoisses en fumant des joints « toute la journée », le souvenir du drame s’infiltre dans n’importe quelle conversation, surtout après quelques bières.

En plus de longs sets de musique électronique et d’alcool à volonté, les participants peuvent profiter de séances avec un psychologue, d’un stand d’accompagnement pour les démarches administratives permettant d’obtenir l’aide financière du gouvernement réservée aux victimes, ou encore de cours de yoga et de bains glacés. Elevés dans des familles plutôt laïques, quelques-uns confient avoir trouvé du réconfort auprès de rabbins, qui sont d’ailleurs parfois invités entre deux concerts. A côté d’un large buffet de nourriture, une pancarte résume, en anglais, le but de ces rassemblements hebdomadaires : « We’ll get through it together » (« Nous traverserons ça ensemble »).

Des vies en suspens

Les proches des disparus et les trois mille six cents rescapés, dont plusieurs ex-otages du Hamas libérés ces derniers mois, composent la grande famille des survivants du festival Tribe of Nova. Cette communauté partage de multiples initiatives et des élans de tendresse. Pour la majorité des festivaliers, dont la vie est encore souvent en suspens, rester actif permet de ne pas sombrer. Une équipe a ainsi travaillé sur un documentaire conçu à partir des vidéos filmées avec les smartphones de victimes du 7-Octobre. D’autres se prêtent à une grande étude médicale sur les effets des drogues psychédéliques sur le traumatisme, à l’université de Haïfa. Les frères Daniel et Neria Sharabi, qui ont sauvé une trentaine de personnes, organisent des retraites thérapeutiques…

Le noyau le plus actif, avec environ un millier de personnes, s’organise sous la bannière de la Fondation Tribe of Nova, dirigée par Omri Kohavi. Cet entrepreneur dans l’immobilier et le BTP l’a créée moins de deux semaines après l’attaque du Hamas. Il fallait « apporter de la lumière » et atténuer la douleur, témoigne le trentenaire, dont un employé a été tué, avec son épouse, après avoir couru pendant des heures pour échapper aux balles. Tourmenté par un syndrome de stress post-traumatique, Omri Kohavi, jeune marié, a préféré vendre ses sociétés pour se consacrer à son œuvre caritative. Il la gère comme une société.

Grâce à des levées de fonds auprès d’entreprises, par exemple la compagnie aérienne nationale El Al, la structure a récolté l’équivalent d’un peu plus de 3 millions de dollars. Elle a recruté une dizaine d’employés et fait appel à un réseau de soixante-dix volontaires, dont une trentaine de « guides » chargés de se renseigner sur les besoins des survivants. Tous les trois mois, le groupe planifie une grande conférence, où des dizaines de participants peuvent partager leurs émotions, leurs incertitudes voire leurs reproches. « Une victime du Nova m’a un jour accusé d’avoir personnellement engrangé des dizaines de millions de dollars à travers la fondation, rapporte Omri Kohavi. Devant toute l’assemblée, j’ai pu détailler les montants disponibles et les dépenses effectuées pour le groupe. » Cette équipe est aussi à l’origine de la journée d’entraide hebdomadaire au bord du lac, d’abord organisée quotidiennement les trois premiers mois de la guerre.

Comme un symbole de sa volonté d’aller de l’avant, la fondation a proposé une nouvelle édition du festival, le 27 juin, dans un parc de Tel-Aviv. « Le concert de la guérison », a réuni trente mille personnes ainsi que des artistes déjà présents sur scène le 7 octobre 2023, comme le DJ Omri Sasi. Face à une foule en larmes, Mia Schem et Moran Stela Yanai, deux otages libérées au cours de l’échange de prisonniers entre Israël et le Hamas en novembre 2023, ont plaidé pour une plus grande mobilisation en faveur des quatre-vingt-dix-sept personnes toujours détenues, dont vingt-deux kidnappées lors du festival. Pour commémorer le 7-Octobre, la fondation prévoit une performance de sons et lumières intitulée « L’arbre de vie », à Tel-Aviv.

Mais ce n’est pas tout. Omri Kohavi tient à lister ses dernières trouvailles en date. Il aimerait emmener des groupes de rescapés pour nettoyer et entretenir le site du festival Tribe of Nova, transformé en mémorial improvisé depuis l’attaque. Il souhaiterait ensuite ouvrir des « maisons de Nova » en Israël, mais aussi au Costa Rica et en Thaïlande, où certains festivaliers voyagent pour tenter de retrouver goût à la vie. Après un an de guerre, il imagine ces lieux comme des refuges. Le directeur de la fondation pense que les victimes du festival ont besoin de pouvoir se retrouver partout dans le monde, alors qu’elles continuent de recevoir de terribles nouvelles. Le 2 septembre, le groupe a ainsi appris que parmi les six otages israéliens retrouvés morts dans un tunnel de la bande de Gaza, cinq venaient de Tribe of Nova.

Hantée par les morts

En plus d’être obsédés par l’horreur du 7-Octobre, beaucoup de survivants se sentent coupables d’être restés en vie. Au lendemain de l’attaque, Anita Meoded ne peut plus penser à la musique sans être hantée par tous les morts qu’elle a vus. Elle est incapable d’enseigner son instrument sans sombrer dans de violentes crises de panique et a dû annuler ses cours. De façon mystérieuse, une seule chanson, qu’elle écoute en boucle, réussit à l’apaiser : la ballade soul Both Sides of the Moon, de l’artiste britannique Celeste. Elle a aussi perdu l’odorat. Il n’est revenu qu’au bout de trois mois, après de longs soins.

Cheveux rasés sur un côté et sourire doux, elle raconte cette période douloureuse dans un parc de Raanana, une banlieue cossue et religieuse de Tel-Aviv, où elle vit depuis dix ans avec Yaniv. Anita constate aussi que ce trauma en a réactivé un autre, plus ancien. Née au Kosovo d’une mère chrétienne des Balkans et d’un père juif aux origines espagnoles, elle doit son nom de jeune fille, Fetahi, à son grand-père turc. Dans un contexte de tensions ethnoreligieuses qui mèneront à la guerre du Kosovo, en 1998, son patronyme aux sonorités orientales l’isole de ses amis, qui finissent par arrêter de lui adresser la parole.

En 1999, après un an de guerre, la musicienne décide de changer de nom. Elle adopte le patronyme Konfati, de la partie juive de sa famille, et quitte Pristina, la capitale kosovare, pour Israël. A son arrivée à Jérusalem, la réfugiée de guerre est invitée à se présenter, avec quelques autres nouveaux venus, devant Benyamin Nétanyahou, alors premier ministre depuis 1996. Ce dernier lui demande seulement si elle a bien prévu de faire son service militaire – deux ans pour les femmes. « Quand j’ai répondu que je n’avais pas quitté un conflit violent pour participer à d’autres combats. Il s’est détourné de moi, sans un mot », s’agace-t-elle, levant les yeux au ciel. L’attaque du Hamas a ravivé sa colère contre le premier ministre. Convaincue que le public du Tribe of Nova a été « abandonné » par le gouvernement, elle n’a plus voulu prononcer le nom du dirigeant israélien pendant plusieurs mois.

Pour tenter de s’en sortir, Anita se tourne d’abord vers des psychiatres. En novembre 2023, elle fait partie de l’un des premiers groupes de survivants envoyés en séjour médicalisé à l’hôtel Secret Forest, à l’ouest de Chypre. En quelques mois, le complexe de luxe situé en pleine forêt et géré par un expatrié israélien accueillera des centaines de festivaliers, tous frais payés, pour de longues sessions de yoga et d’art-thérapie. Pendant cinq jours, la musicienne participe à un programme visant à réapprendre à écouter de la musique grâce à la danse. Mais, de retour en Israël, la quadragénaire a toujours l’impression de « flotter », ne parvient pas à retrouver un quotidien paisible. « J’étais seulement devenue très douée pour survivre. Mais je voulais vivre. » Avec ses enfants, Anita Meoded décide de rejoindre son frère à Berlin où, de décembre à avril, elle échappe à la guerre et se lie d’amitié avec des Palestiniens réfugiés. Au bout de quelques semaines, elle parvient à reprendre le piano.

Durant cette période, Yaniv Meoded se concentre sur sa guérison, celle de son traumatisme et celle de sa maladie osseuse. Après avoir longtemps refusé la médecine classique, ce fils d’une famille juive yéménite très religieuse installée en Israël depuis 1949, décide de se faire opérer des jambes pour limiter les effets de sa nécrose. Le plombier ne veut plus jamais se sentir « impuissant » comme le 7 octobre. Après une intervention réussie sur une première jambe, il prévoit de traiter la seconde.

Cet été, les Meoded ont aussi entamé une thérapie familiale quand les parents ont découvert que le mot mesiba, « fête » en hébreu, déclenchait des crises d’angoisse chez leurs deux plus jeunes enfants. Récemment, Lahav, le cadet, a glissé à sa mère, submergée par la culpabilité : « J’ai compris que tu aurais pu ne pas revenir vivante du festival… » Par solidarité avec toutes les familles confrontées à ces mêmes difficultés, le couple s’est récemment porté volontaire auprès de la Fondation Tribe of Nova pour partager publiquement son histoire.

Peur d’être « oubliée »

De nombreux rescapés choisissent, comme eux, de communiquer le récit de leurs douze derniers mois, pour tenter d’aller mieux. Millet Ben Haim, elle, s’est ainsi mise à parler sans relâche, de peur d’être « oubliée ». Le lendemain du 7 octobre, cette ancienne DJ de 28 ans a publié sur les réseaux sociaux une longue vidéo filmée de sa fuite désespérée. En quelques jours, les images glaçantes sont visionnées plusieurs millions de fois et la jeune femme répond à des dizaines d’interviews dans les médias israéliens et internationaux.

Mais rapidement, dans le flot d’informations et de morts du début de la guerre entre Israël et le Hamas, son téléphone sonne de moins en moins. Cette diplômée en psychologie craint alors que le destin tragique des rescapés ne suscite plus qu’un intérêt marginal. Pour l’éviter, elle sollicite des fondations, des think-tanks ou des activistes pour proposer de raconter son histoire hors d’Israël, puis elle entame une tournée de conférences aux Etats-Unis, en Afrique du Sud et en Europe.

En décembre 2023, à Berlin, un représentant de la Fondation Tribe of Nova, impressionné par sa performance, lui propose de rejoindre leurs rangs. Dans cette structure aux allures de start-up, Millet Ben Haim devient resource development ­coordinator (« coordinatrice du développement des ressources ») et ambassador speakers bureau (« représentante des porte-parole »). Elle y consacre toute son énergie et, en même temps, peine à garder contact avec les proches de sa « vie d’avant ». « Les gens sont attentionnés mais ne peuvent pas comprendre ce qu’on a vécu », regrette-t-elle. Elle n’a pas réussi à dormir une nuit complète depuis un an et dit se sentir « comme un fantôme » dans son quotidien. Récemment, la jeune femme s’est rendue au mariage d’un cousin et s’est soudain mise à « chercher des terroristes dans la pièce », avant de céder à une violente crise de panique. « Mon cœur est scellé, confie-t-elle. Est-ce que je serai un jour capable d’être mère, de me marier, de simplement reprendre le cours de ma vie ? »

En attendant, la porte-parole de la fondation s’est occupée du lancement d’une grande exposition consacrée au 7-Octobre, d’abord présentée à New York, en avril. Le projet proposait une reconstitution grandeur nature de l’attaque du Hamas avec les objets des victimes et les voitures brûlées. Prévue sur cinq semaines, l’exposition a duré deux mois et a été visitée par plus de cent mille personnes.

Dans un centre culturel de Tel-Aviv gardé par un agent de sécurité armé, Millet Ben Haim prépare, en ce début du mois d’août, la nouvelle édition de l’exposition, qui doit être inaugurée une semaine plus tard à Los Angeles. Autour d’un buffet de viennoiseries, l’employée de la fondation forme douze rescapés à la prise de parole publique et médiatique. Cette petite bande composera quatre délégations chargées de partager leur histoire avec les visiteurs.

Entre quelques pauses cigarette et des caresses à un chihuahua noir, les participants prennent des notes en silence, tout en scrutant le PowerPoint projeté sur un grand écran. « Que doit-on faire face à une manifestation propalestinienne ? », demande l’une d’entre eux. La responsable du « media training » détaille les éléments de langage élaborés par la fondation. Elle souligne que l’attaque du 7 octobre concerne « toute l’espèce humaine » et pas seulement l’Etat d’Israël. Les massacres de ces « êtres humains qui dansent » devraient nous « inquiéter » collectivement, conclut Millet Ben Haim, avant d’être applaudie par son auditoire. « Il ne faut pas perdre de vue que notre propos n’est pas politique », insiste-t-elle.

Pourtant, le destin des milliers de survivants de l’attaque du festival est devenu un enjeu pour le gouvernement israélien. Lors de sa visite officielle aux Etats-Unis, où il s’est exprimé le 24 juillet devant le Congrès américain, Benyamin Nétanyahou a demandé à une rescapée, Noa Argamani, de l’accompagner. Cette ex-otage a été libérée le 8 juin avec trois autres personnes au cours d’une opération dans la bande de Gaza lors de laquelle plus de deux cents Palestiniens ont été tués. Ovationnée par les décideurs américains, elle est devenue la cible de vives critiques en Israël.

La jeune femme de 26 ans, dont le compagnon est toujours détenu par le Hamas, a été accusée par Uri Misgav, un célèbre journaliste du quotidien de gauche Haaretz, de « servir de décor » au chef du gouvernement. Comme une réponse à cette polémique, elle a écorné la communication officielle de l’Etat hébreu sur ses opérations militaires, lors du G7 à Tokyo, le 21 août. Noa Argamani y a dénoncé les blessures subies pendant sa captivité à cause des innombrables frappes aériennes israéliennes sur l’enclave palestinienne. Dans les comptes rendus de son intervention, certains médias israéliens marqués à droite, comme le quotidien Jerusalem Post, ont préféré affirmer que ses blessures étaient dues aux mauvais traitements du Hamas, obligeant Noa Argamani à rectifier.

Une société civile fracturée par la guerre

Dans les médias et sur les réseaux sociaux, les rescapés sont régulièrement la cible de fake news. Parmi ces fausses informations, un mensonge sur les prétendus suicides de plusieurs d’entre eux parasite le débat public depuis un an. Devant une commission de la Knesset, le Parlement israélien, une victime du 7-Octobre avait affirmé en avril que cinquante festivaliers s’étaient donné la mort depuis l’attaque du Hamas. Cette déclaration avait été démentie par le ministère de la santé, qui n’a, pour l’instant, répertorié aucun cas de ce type.

Fin août, la prétendue lettre de suicide d’un anonyme a été publiée sur les réseaux sociaux par quelqu’un se présentant comme sa sœur. « J’ai touché le fond. Je ne peux plus vivre », pouvait-on lire sur le message en hébreu. Partagé des ­milliers de fois, notamment par des personnalités politiques comme l’ambassadeur allemand en Israël, Steffen Seibert, le mot était en fait inventé de toutes pièces, comme l’a révélé une enquête de la chaîne 13 israélienne.

Dans une société civile fracturée par la guerre, certains survivants assument s’être radicalisés politiquement. Joy Cohen, une maquilleuse de 29 ans, prétend par exemple, contre toute réalité, que le Hamas n’est pas le seul responsable des attaques meurtrières de l’année passée : « Au Nova, nous avons aussi été visés par de simples civils palestiniens. » Elle fait ainsi écho à certaines thèses de l’extrême droite israélienne sur une prétendue complicité de l’ensemble de la population palestinienne de Gaza. Depuis le 7 octobre, la jeune femme, venue de New York en 2016 pour s’installer à Sdérot, ville collée à la frontière avec le territoire palestinien enclavé, dit se sentir « plus israélienne » et défend le port d’armes à feu pour tous.

Face à ces discours, Yaniv et Anita Meoded s’inquiètent. Lors des rassemblements de survivants, le couple de Raanana assure entendre de plus en plus de propos intolérants et vengeurs. Yaniv, qui parle l’arabe et collaborait, avant le 7 octobre, avec d’autres plombiers originaires de Cisjordanie et de la bande de Gaza, regrette l’indifférence que suscite la souffrance des Palestiniens. Il tient alors à rappeler aux personnes les plus radicales que le chauffeur palestinien du minibus qui les emmenait au festival a, lui aussi, été abattu d’une balle dans la tête par le Hamas. « J’ai peur que nous basculions collectivement dans la haine contre les Palestiniens », se désole-t-il, après un an de guerre durant laquelle l’armée israélienne a tué plus de quarante mille Gazaouis, dont une majorité de civils.

Des excursions au cœur de la tragédie

A l’endroit où se tenait le festival Tribe of Nova, au kibboutz de Réïm, des dizaines de personnes viennent se recueillir chaque jour. Ce 18 août, elles déambulent entre quelques arbres éparpillés et pleurent en silence. Chapeau et lunettes de soleil, le guide Amit Musael ne réagit pas aux tirs d’artillerie israéliens qui tonnent à intervalles réguliers du côté de la bande de Gaza, toute proche. Il présente à un petit groupe de visiteurs venus du Royaume-Uni le site du massacre, transformé en vaste lieu de pèlerinage. Les photos des victimes sont affichées sur des piquets disposés à travers le paysage désertique. Le quadragénaire connaît bien la zone, il est lui-même un survivant de l’attaque du Hamas. « L’organisation de ces visites m’aide à dominer mon traumatisme », observe ce père de trois filles, qui confie être en pleine dépression et toujours assailli par de violents cauchemars.

Depuis avril, ces excursions au cœur de la tragédie s’adressent à des familles de victimes, à des volontaires internationaux venus soutenir l’Etat hébreu et à de rares touristes. Deux fois par semaine, pour l’équivalent d’une quinzaine d’euros par personne, Amit Musael raconte l’histoire de ce territoire autour de la bande de Gaza « de 1917 au 7-Octobre », et détaille la géographie du coin en s’attardant sur la « résilience » de ses habitants.

Quand le conférencier retrace à pied sa fuite, il évite toujours la route par laquelle il s’est échappé après avoir été séparé de trois de ses amis, assassinés dans un bunker tout proche. « Mais je finirai par me confronter à ce souvenir en retournant dans cette zone », se promet-il. D’autres survivants se rendent sur ces lieux. Omri Kohavi, le directeur de la fondation Tribe of Nova, y emmène des cadres de multinationales israéliennes susceptible de participer aux levées de fonds de la fondation. Et la porte-parole Millet BenHaim a donné plusieurs interviews aux chaînes de télévision israéliennes, entre les dizaines de mausolées improvisés.

En mai, Yaniv Meoded a tenu à montrer à son beau-frère l’étroit buisson dans lequel sa femme et lui se sont réfugiés pendant des heures, en espérant échapper à la mort. Mais Anita n’a pas encore réussi à revenir sur place. Malgré tous ses efforts, le couple, qui raconte que cette épreuve l’a beaucoup « soudé », ne s’est toujours pas mis d’accord sur la meilleure façon d’aborder l’avenir. Lui aimerait se lancer dans la construction d’un bunker sous leur maison, pour protéger ses proches. Elle répète qu’elle se sent prête à quitter le pays, définitivement, et sans regret.

Par Lucas Minisini

Source lemonde