Aveuglé par le Hamas il y a un an, le renseignement israélien a connu des mois agités, entre doutes profonds et défis historiques. Avant de multiplier les exploits opérationnels ces dernières semaines.
Rarement les chefs des services de renseignement israéliens avaient été si bavards. En septembre 2023, il y a un an, les leaders du Mossad, du Shin Bet et de Tsahal se bousculent à la tribune pour commémorer les 50 ans de la guerre du Kippour et tirer les leçons de ce qui constitue alors la plus grande faillite sécuritaire de l’histoire d’Israël. A l’époque, en 1973, l’armée israélienne avait été surprise dans son sommeil par une attaque conjointe de l’Egypte et de la Syrie, dont les armées avaient pu avancer presque sans résistance pendant deux jours. Une humiliation historique pour les services de renseignement de l’Etat hébreu.
Mais, cinquante ans plus tard, l’atmosphère a changé. « L’armée israélienne se tient désormais sur ses gardes, prête à affronter n’importe quelle menace », triomphait ainsi Herzi Halevi, le chef d’état-major de Tsahal, dans un discours du 28 septembre 2023. Le directeur du Mossad, David Barnea, soulignait, lui, à quel point Israël s’était doté d’un « appareil de renseignement compétent et d’une puissance remarquable », avec comme maîtres mots « humilité et scepticisme ». Une semaine plus tard, des centaines de terroristes du Hamas surgissaient de la bande de Gaza pour assassiner près de 1 200 Israéliens et en capturer plus de 200.
Le 7 octobre, comme Pearl Harbor ou le 11 Septembre
Comme en 1973, les renseignements israéliens ont été aveuglés par leur ennemi, ou plutôt ont commis l’erreur de rester aveugles. Ils pensaient Israël à l’abri de la menace du Hamas, derrière l’imposante barrière bourrée de nouvelles technologies qui les séparait de la bande de Gaza. Ils croyaient, surtout, que l’organisation terroriste avait trop à perdre en s’attaquant à l’Etat hébreu. « Tous ces discours revenaient sur les erreurs d’autrefois : l’excès de confiance, l’hubris, la sous-évaluation de l’ennemi, la nécessité de neutraliser ses capacités militaires avant qu’il ne frappe, énumère Assaf Orion, ancien directeur stratégique de l’armée israélienne. Ils auraient pu — et ils auraient dû — conjuguer ces errances au présent. Le 7 octobre, ce ne sont pas des étoiles qui se sont alignées, mais des trous noirs, qui ont révélé des années de dysfonctionnement de nos services de renseignement. »
Les chefs des services de renseignement sont les premiers à reconnaître leur responsabilité dans le 7 octobre. Même si le Mossad n’a pas la charge de la question palestinienne, considérée comme relevant de la sécurité intérieure, l’agence admet avoir été « surprise » par l’attaque du Hamas et partage les torts. Seul le directeur du renseignement militaire, Aharon Haliva, a démissionné pour l’instant, mais le directeur du Shin Bet et le chef d’état-major devraient quitter leurs postes à la fin de la guerre. « L’establishment sécuritaire israélien est resté le même depuis le 7 octobre, pointe Assaf Orion. Réformer et se reprendre en main exige du temps : moi-même, j’ai rejoint le renseignement israélien en 1984, et nous vivions encore avec le traumatisme de la guerre du Kippour de 1973, on nous enseignait la honte de cet échec, mais aussi les leçons à en tirer. Il faut des dizaines d’années pour se remettre d’un tel événement. »
Le mythe terni d’un Mossad tout-puissant
Ce long et titanesque travail a déjà commencé derrière les lourdes portes closes du siège du Mossad, en banlieue de Tel-Aviv, dont la maxime reste « le gardien d’Israël ne dort jamais ». « Les agences de renseignement ont déjà mené des enquêtes internes approfondies, et les réformes commencent à se mettre en place, sans annonce publique évidemment », pointe Chuck Freilich. Pour l’instant, aucune commission d’enquête nationale n’a été mise sur pied, faute de volonté politique. « C’est pourtant le seul moyen d’obtenir des avancées majeures en Israël, mais Benyamin Netanyahou la repousse sans cesse par crainte d’être mis en cause », poursuit l’ancien conseiller à la sécurité nationale.
Tant que la guerre se poursuit, les réformes doivent attendre. Dans son offensive à Gaza, l’armée israélienne a montré la puissance destructrice de ses armes, faisant plus de 40 000 morts, dont une majorité de civils. En parallèle, ses services secrets montrent l’efficacité de leurs assassinats ciblés. En un an, le Hamas et le Hezbollah ont vu leurs commandements décapités. « Le Mossad s’était bâti une réputation de l’ordre du mythe, mais cette légende d’une agence de renseignement toute puissante a été sévèrement ébranlée par le 7 octobre, relève Clara Broekaert, analyste au Soufan Center, un think tank américain spécialisé dans la sécurité. Les Israéliens ont pris conscience qu’ils ne pouvaient plus se reposer sur la cybersurveillance et sur les systèmes automatisés, mais qu’au contraire ils devaient revenir au renseignement humain, aux sources physiques. L’assassinat d’Ismaïl Haniyeh constitue d’ailleurs un modèle en la matière. » Le 31 juillet, les services israéliens réussissent à éliminer le leader du Hamas au cœur même de Téhéran, dans le palais réservé aux chefs d’Etat étrangers, avec des complicités indispensables au sein du régime iranien. Un avant-goût de la rédemption du Mossad.
Le 17 septembre, les services israéliens font exploser des milliers de bipeurs de membres du Hezbollah à travers le Liban et jusqu’en Syrie, illustrant une autre leçon du 7 octobre : renverser à son avantage l’utilisation par ses ennemis de technologies anciennes. « Le Hamas avait mené son attaque en utilisant des technologies primitives, comme des parapentes pour survoler la barrière, ce qui a pris au dépourvu les Israéliens, remarque Clara Broekaert. L’armée israélienne a retourné ce système contre le Hezbollah, en montrant qu’elle peut aussi exploiter les moyens de communication à faible technologie, comme des bipeurs et des talkies-walkies, en remontant les chaînes d’approvisionnement. »
Cette série d’opérations a aussi fait changer la peur de camp. En dix jours, fin septembre, Israël a éliminé l’ensemble du commandement du Hezbollah, dont son leader Hassan Nasrallah, par des frappes aériennes. Une prouesse qui montre la profondeur de l’infiltration israélienne au sein de la milice libanaise et qui sème la paranoïa de Beyrouth à Téhéran. Dans une interview surréaliste accordée à CNN Türk le 30 septembre, l’ancien président iranien Mahmoud Ahmadinejad a affirmé que le responsable d’une unité anti-Mossad en Iran avait été démasqué comme un agent… du Mossad. « A 100 %, le régime iranien est autant infiltré que le Hezbollah par des agents israéliens, assure Yonatan Freeman, spécialistes en relations internationales à l’université hébraïque de Jérusalem. Israël avait de bonnes relations avec l’Iran avant la Révolution islamique de 1979 et s’appuie sur les très nombreux opposants au régime pour ses opérations. Les prochaines attaques pourraient viser à déstabiliser le régime avec des exécutions ciblées. »
Signe que la menace est prise au sérieux par Téhéran, la sécurité du Guide suprême, l’ayatollah Khamenei, a encore été renforcée depuis la mort de Nasrallah. Couper « la tête de la pieuvre », comme l’avait surnommé l’ex-Premier ministre Naftali Bennett : sans doute l’ultime rédemption pour les gardiens d’Israël.
Corentin Pennarguear