En m’excommuniant, Clémentine Autain illustre le vertige #MeToo, par Caroline Fourest

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L’essayiste, autrice du «Vertige MeToo», voit dans la tribune de la députée de Seine-Saint-Denis un «procès de Moscou», si excessif qu’il la conforte dans le bien-fondé de son livre : dénoncer l’instrumentalisation du mouvement féministe par «la gauche Mediapart» et l’incapacité de celle-ci à avoir des discours nuancés.

Si vous voulez tuer votre chien, dites qu’il est réactionnaire. Il y a si longtemps que la gauche sectaire utilise ce procédé pour excommunier ceux qui, à gauche, ne pensent pas comme elle. Après Ruffin et Roussel, c’est à mon tour si j’en juge par la tribune que Clémentine Autain me consacre dans Libé : «Caroline Fourest : le vertige réactionnaire». En vrac, elle m’accuse de vouloir «casser la tête du mouvement #MeToo», de douter «des femmes» (serais-je à la fois réactionnaire et misogyne ?), et de «mettre à terre tous les soubassements de la parole libérée». Rien que ça. En réalité, ce procès de Moscou est si excessif qu’il donne tout son sens à mon livre et condense tout ce que je reproche à ce féminisme politicien et victimiste : d’instrumentaliser #MeToo et d’interdire la nuance.

Défendre les victimes de viols et de prédateurs, c’est le combat de ma vie, depuis mon premier signalement à 12 ans pour mettre à l’abri une amie violée par son père, plus tard lorsque j’ai soutenu mon amie Tristane Banon dans l’affaire DSK, les yézidies ou les victimes de Tariq Ramadan. Je le mènerai jusqu’à mon dernier souffle. Mon livre souhaite, de toute son âme, que les victimes continuent à parler, et qu’on les écoute. C’est une auditrice de France Inter qui, sans l’avoir lu, m’a opposé le ressenti au réfléchi. Pour me demander de me taire, et nous empêcher de penser ensemble l’après-#MeToo. Je crois, tout au contraire, qu’il faut réconcilier le ressenti et le réfléchi. Pour mieux nous écouter et nous protéger ensemble des retours de bâtons.

Car, bien sûr quand une victime me parle, je la crois. Ce n’est qu’au moment de médiatiser, de balancer un nom sur les réseaux, ou d’annuler socialement quelqu’un, que j’ose poser la question de la responsabilité et de la proportionnalité, en vue d’une «riposte graduée».

Saluer la révolution #MeToo et m’interroger à voix haute sur l’après

Ce dialogue intérieur, entre mon ressenti féministe et mon métier de journaliste, me sert de fil rouge pour saluer la révolution #MeToo et m’interroger à voix haute sur l’après. Car oui, contrairement à Clémentine Autain, il m’arrive de douter. De penser qu’une «gifle» dans le cadre d’un divorce ne mérite pas la même sentence sociale, ni le même principe de précaution, que droguer une collègue ou sa femme pour la violer. Qu’Adrien Quatennens n’est pas Dominique Pelicot et ne présente pas le même danger. Loin d’invalider mon propos, le procès de Mazan tombe à pic pour nous le rappeler. Tout comme le procès Bedos nous rappelle qu’un réalisateur capable de propos agressifs et de gestes intrusifs en soirée, sous l’effet de l’alcool, n’est pas Harvey Weinstein.

A l’inverse du procès qui m’est fait, je crois au «continuum» des violences sexistes et sexuelles. Je plaide simplement, comme la justice, pour un continuum des peines en retour. Mettre sur le même plan l’offense et la violence sexuelle prend le risque de banaliser les agressions les plus graves. La pédo-criminalité, en particulier, exige un débat bien plus approfondi sur ses effets dévastateurs et ses schémas reproducteurs. Il y a urgence. Et l’on doit pouvoir le mener sans renoncer aux leçons d’Outreau.

Dans le cas d’Ibrahim Maalouf, Clémentine Autain nie carrément les conclusions de l’instruction et son droit à retrouver une vie normale. Il n’est pas établi qu’il soit à l’origine de ce baiser, même s’il reconnaît le caractère «nauséabond» de cette situation. En revanche il est établi que le musicien à tout fait pour en sortir et ne plus être seul avec elle. Voilà bien ce que je reproche à la gauche Mediapart : de nier ces précisions pour refuser d’adopter un traitement plus juste et plus gradué.

Concernant Judith Godrèche, j’ai soutenu sa parole contre le «trafic illicite de jeunes filles» auquel s’est livré Benoît Jacquot. Je vais juste un peu plus loin qu’elle, en interrogeant la responsabilité de ses parents. Elle me paraît plus grave que le procès intenté à ses anciens amis de cinéma. Que pouvaient-ils faire à l’époque ? La séparer contre sa volonté ? Lui interdire de tourner ? Cette question est-elle effacée parce que j’ai dit par erreur, sur BFM, qu’elle était mariée à Jacquot, alors que je voulais dire «comme mariée» ?

Il y a un désaccord qui devrait nous mettre d’accord

Encore une fois, ce n’est absolument pas la libération de la parole que j’interroge, mais le passage au statut de procureur public, parfois intéressé et parfois disproportionné. Ce n’est pas la médiatisation des violeurs que je conteste, au contraire je la souhaite, mais le féminisme à indignation variable qui invente une fausse «sérialité» en mettant sur le même plan une proposition déplacée et une agression caractérisée, s’acharne sur quelques célébrités pour des faits anciens, mais se désintéresse de grands prédateurs contemporains dès qu’ils sont «racisés».

Dois-je rappeler à Clémentine Autain ce moment embarrassant où elle a défendu bec et ongles le militant pro-islamiste Taha Bouhafs, avant de concéder des accusations de violences sexuelles «d’une gravité que nous n’avons jamais rencontrée»… mais dont nous n’avons plus entendu parler une fois que La France insoumise a décidé de le reprendre dans ses rangs ! Comme nous n’avons plus entendu parler des accusations de comportements sexuels déplacés concernant Eric Coquerel. Dois-je mentionner que ce même camp a soutenu une campagne d’une violence inouïe contre une ministre, Chrysoula Zacharopoulou, accusée à tort de «viols» pour des examens gynécologiques pénibles ? Oserais-je rappeler que le mouvement de Clémentine Autain, Ensemble !, tenait tribune avec Tariq Ramadan après les attentats contre Charlie Hebdo, malgré mes alertes contre ce prédicateur misogyne ?

Il y a un désaccord qui devrait nous mettre d’accord : cette divergence dans le féminisme est effectivement liée à des «gauches irréconciliables». J’appartiens à une gauche Zola, Camus et Charlie. Je refuse de recevoir des leçons d’humanité de la part de robespierristes qui ne voient aucun problème à guillotiner les coupables comme les innocents. Encore moins d’une gauche capable de taire les viols du 7 Octobre au nom de la «résistance». Je souhaite de tout mon cœur qu’une autre gauche, qu’un autre féminisme puissent être lus et entendus. Et je finis en faisant miens ces mots de Camus : «Nous luttons pour cette nuance qui sépare le sacrifice de la mystique, l’énergie de la violence, la force de la cruauté.»

par Caroline FourestEssayiste, journaliste

1 Comment

  1. en toute chose le mélange des genres est à proscrire… Les critiques (parfaitement légitimes, et pour lesquelles on ne l’a pas attendue) que Caroline Fourest adresse à #MeToo et à l’insupportable Clémentine Autain ne sont que prétexte à servir la soupe à ce qu’elle appelle la… « gauche Zola, Camus et Charlie »

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