1660 juifs sont allés s’installer en Israël, départs de France…

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Ces 1660 Français juifs se sont installés en Israël après le 7 octobre, craignant la hausse des actes antisémites. Rencontre avec ces nouveaux israéliens.

Il y a foule, ce mardi, sur la place des Otages à Tel-Aviv, en Israël, juste en face du QG de l’armée. Comme chaque soir depuis les attaques terroristes du Hamas, le 7 octobre 2023, les proches des 97 Israéliens encore retenus à Gaza sont venus dire leurs espoirs. Leurs souffrances, aussi.

Un espace improvisé comme un sanctuaire, où une table de shabbat a été dressée avec une chaise vide pour chaque otage — deux petites étant dédiées à Ariel et Kfir, 4 ans et 13 mois, où l’on a posé leurs nounours. Ici, on vend des tee-shirts barrés des mots « Bring Them Home » ( « Ramenez-les à la maison ») pour financer la médiatisation du drame. On se soutient, on se prend dans les bras. Il flotte un indéfinissable sentiment de cohésion.

« Ici, on sait », souffle Johanna. La jeune femme blonde de 36 ans, un accent londonien accroché à sa voix depuis ses années en Angleterre, habite à quelques minutes d’ici. Elle a tenu à nous recevoir sur cette place, pour que, nous aussi, « on comprenne ».

Johanna a quitté la France, le pays où elle est née, et est arrivée ici en février. Elle a fait son alya — « la montée », en hébreu — qui consiste, pour les juifs, à quitter leur pays pour s’installer en Israël. Une décision prise juste après le 7 octobre. « J’ai compris que le quotidien deviendrait impossible pour les juifs, se souvient la désormais Franco-Israélienne. Que cela libérerait une parole antisémite. »

Ils sont nombreux à avoir la tentation du départ : au 31 août, l’Agence juive de France (AJF), l’instance chargée d’accompagner les démarches, dénombrait 3 200 dossiers déposés depuis le 7 octobre, une hausse de 510 % ; 1 660 personnes sont parties, soit le double par rapport à l’année précédente. Les profils sont variés : jeunes, familles, retraités…

On dépassera sans doute, en fin d’année, le cap des 2 000. Plus que lors de la seconde intifada (1 700) et pas loin des 2 500 comptées en 2012, après l’attaque de l’école Ozar Hatorah de Toulouse. « On n’atteindra pas les 7 900 alyas post-attentats de Charlie et l’Hyper Cacher, en 2015. Car Israël est en guerre et cela génère une crainte. Mais beaucoup se posent la question », décrypte le directeur de l’AJF, Emmanuel Sion.

« J’ai remis l’étoile de David, après l’avoir enlevée à Paris »

« États-Unis, Canada ou Angleterre, traditionnelles terres d’émigration, ne sont plus des refuges, commente Yonathan Arfi, président du Crif. Il y a désormais là-bas la même problématique qu’en France avec l’importation du conflit. » Si l’antisémitisme n’est pas la « cause unique » du départ, il peut être « un déclencheur », observe Emmanuel Sion.

« Après le 7, dans le bus, un homme a dit à ma sœur : Tiens, il en reste des gens comme vous ? Je pensais que Hitler avait terminé le travail », raconte Johanna. Terrible écho à sa première rencontre avec l’intolérance, à 9 ans, quand un élève de son école privée catholique lui a lancé : « Sale juive, ta mère est morte parce qu’elle est juive ! » Son regard s’embrume.

À Paris, les tags « Mort aux juifs » la sidèrent. Le slogan « From the river to the sea », interprété par certains comme un appel à la destruction de l’État hébreu, aussi. Il est, selon elle, scandé, lors de manifestations propalestiniennes, par des étudiants qui n’ont « aucune culture historique ». « J’ai changé de nom sur Uber pour un autre moins connoté », révèle celle dont la famille a été déportée.

Des proches ont enlevé la mézouzah (objet de culte juif apposé au chambranle de l’entrée). « Beaucoup ont fait ça », confirment David et Yaël, croisés à Jaffa, quartier de Tel-Aviv hérissé de vieilles maisons et de cafés qui semblent ne jamais fermer. Ils sont arrivés en Israël le 17 mars. « C’est la date où j’ai remis l’étoile de David, après l’avoir enlevée à Paris dès le 7 octobre », rembobine Yaël.

Le 7 octobre, « mon monde s’est effondré »

L’autre cause du départ, c’est la « solitude » ressentie par la communauté en France. Un mot que Jessica, 27 ans, aimerait qu’on retienne. Arrivée en Israël en janvier, elle nous reçoit sur la plage, non loin de son appartement. Elle a choisi l’horaire : 18 heures, quand le soleil se couche, embrase le front de mer et colore Tel-Aviv d’un incroyable orange. Chaque soir, des centaines d’Israéliens viennent observer le spectacle en méditant ou en sirotant une bière.

« J’ai mis le pied ici pour la première fois en 2022, en touriste. J’ai su qu’un jour, quelque chose m’attendait », raconte celle qui n’a pas grandi dans une famille pratiquante. En France, la plupart de ses amis ne sont pas juifs. Jessica avait réuni son dossier de départ avant le 7 octobre, mais le drame a transformé un projet flou en ferme volonté de partir.

« J’étais en Indonésie lors de l’attaque. Les infos arrivaient au compte-goutte. Quand j’ai réalisé ce qu’il se passait, les centaines de morts, les otages, les viols… Mon monde s’est effondré », raconte-t-elle, les larmes aux yeux, tripotant le ruban jaune qu’elle porte autour du cou, symbole en faveur de la libération des otages.

Ce « moment monstrueux », Jessica le vit seule. « Mes potes de voyage poursuivaient leur trip dans l’insouciance, comme s’il ne s’était rien passé, raconte-t-elle. De mes amis en France, je n’ai reçu que trop peu de messages de soutien. Ceux qui me tenaient la main pendant les cours sur la Shoah n’ont pas compris la douleur que nous ressentions. »

L’impression de « ne pas avoir sa place »

« Certains amis ont arrêté de me parler, abonde Johanna, en référence aux oppositions propalestiniennes et pro-israéliennes qui minent l’Hexagone. Chacun s’est improvisé expert géopolitique ! » Une situation qui révolte les « olim » — les nouveaux arrivants.

« Dès le 8 octobre, il y a eu des oui mais quand il s’est agi de condamner l’attaque du Hamas, complète Jessica. Il n’y avait rien à relativiser ce jour-là ! » Sur Instagram, elle poste une story comme un appel à l’aide, demandant pourquoi ses amis ne l’appellent pas. On lui rétorque : « Ne commence pas à diviser ! » Alors, à Bali, elle cherche un Chabad (un centre juif), prise d’une irrépressible envie d’être « avec des gens qui comprennent ».

À Jaffa, David, après avoir égrené ses passions — l’AS Saint-Étienne, la blanquette de veau et Bordeaux —, résume le sentiment de beaucoup : « Il n’y a pas plus français que moi. Mais on a eu le sentiment qu’il fallait choisir, qu’on était citoyens de seconde zone… »

L’impression, en somme, de « ne pas avoir sa place », renchérit Jessica. Pourtant, la jeune femme veut « garder un esprit de cohésion », espérant que « la majorité silencieuse va enfin se dire que c’est anormal que la peur habite les juifs ».

« Ma voisine m’a donné les codes de son abri antibombardements »

En Israël, elle est passée de minorité à majorité religieuse, avec qui on est solidaire. « Ma voisine m’a donné les codes de son abri antibombardements, sourit-elle. Et la réceptionniste de ma salle de sport me dit qu’elle est réserviste dans l’armée pour que ma famille soit en sécurité… Elle fait bouclier pour défendre tous les autres juifs. »

De quoi motiver une intégration express. En six mois, Jessica a été volontaire comme vendeuse du merchandising dédié aux otages, trouvé un appartement, démarré ses « oulpan », les cours d’hébreu organisés pour les nouveaux arrivants, et trouvé un job dans la tech. Elle réfléchit à la façon d’« aider » son nouveau pays.

« Car, derrière de nombreux projets d’alya, il y a la volonté de participer à la reconstruction d’Israël post-7 octobre », éclaire Emmanuel Sion. Pourtant, « on ne part pas en Israël sur un coup de tête », prévient-il en rappelant que c’est ici que « le plus de juifs sont tués depuis 1939-1945 ». En réalité, aucun olim interrogé n’idéalise la situation, surtout depuis le regain de tension avec l’Iran.

D’ailleurs, alors que Johanna raconte son histoire, une sirène retentit sur la place. Stupeur, elle lève les yeux, puis se rassure : c’est un chofar, une trompette religieuse dans laquelle un monsieur s’époumone. Ouf. « Il y a un risque, je le sais », rebondit-elle, en montrant une vidéo prise depuis son appartement, où des roquettes survolent la ville. « J’ai souvent un sac prêt, au cas où il faut partir dans l’abri, dit-elle. Au début, je prenais même des calmants ! »

Un « risque » que Naïla est prête à prendre. On la croise à l’aéroport, en partance pour la France, son premier aller-retour depuis son alya, en avril. « Oui, j’ai peur de la guerre. Mais je préfère avoir peur la tête haute ici que de m’entendre dire, tous les jours en France : sois discrète. »

Source leparisien 

1 Comment

  1. certes le slogan slogan « From the river to the sea » est un appel implicite et à peine voilé à la destruction d’Israël mais les intéressés n’ont hélas fait qu’ici reprendre un slogan de la droite israélienne, avec ses fantasmes d’annexion des Territoires occupés…

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