En Israël, l’euphorie nationale suscitée par l’assassinat de l’ennemi Nasrallah n’est pas entière. Les habitants du Nord ne peuvent toujours pas rentrer chez eux, 101 otages sont encore aux mains du Hamas et la menace d’une guerre de grande envergure plane toujours au-dessus des têtes.
« Si quelqu’un vient pour te tuer, lève-toi et tue-le en premier. » Pour sa première réaction à l’assassinat stupéfiant du chef du Hezbollah, Benyamin Netanyahou a pioché dans le Talmud babylonien. Le Premier ministre israélien assume pleinement, fièrement même, la responsabilité de cette frappe réussie sur le quartier général de l’organisation terroriste, vendredi 27 septembre, dans la banlieue sud de Beyrouth. « L’État d’Israël a éliminé hier le grand terroriste Hassan Nasrallah. Nous avons réglé nos comptes avec celui qui était responsable du meurtre d’innombrables Israéliens et de nombreux citoyens d’autres pays, y compris des centaines d’Américains et des dizaines de Français », déclare-t-il depuis le quartier militaire israélien situé au cœur de Tel-Aviv. « Nasrallah n’était pas juste un terroriste… Lui et ses hommes étaient les architectes du plan d’anéantissement d’Israël. »
Face à la volatilité de la situation et aux éventuelles répercussions régionales, Netanyahou met l’Iran en garde : « Au régime des ayatollahs, je dis : celui qui nous frappe, nous le frapperons. Il n’y a aucun endroit en Iran ou au Moyen-Orient que le long bras d’Israël ne peut atteindre, et aujourd’hui vous savez à quel point c’est vrai. » Il a repris là, mot pour mot, l’avertissement qu’il avait lancé vendredi du haut de la tribune onusienne. Personne, ou presque, ne savait alors qu’il avait donné son feu vert à la mission que le 69e escadron de l’armée de l’air allait bientôt exécuter. Une fois l’opération menée à bien, il insiste sur l’emploi de la première personne : « J’ai conclu que les puissants coups que Tsahal a infligés au Hezbollah ces derniers jours ne suffiraient pas. […] J’ai donc donné l’ordre – et Nasrallah n’est plus parmi nous. »
Netanyahou a été le dernier à s’exprimer. Non seulement le président américain, Joe Biden, et sa vice-présidente et candidate à la présidentielle, Kamala Harris, ont fait des déclarations avant lui mais, plus surprenant encore, il a laissé champ libre plusieurs heures au ministre de la Défense, Yoav Gallant, avec lequel il entretient des relations tendues, pour employer un euphémisme. « L’État d’Israël a éliminé Hassan Nasrallah, le chef du Hezbollah », déclare Gallant en anglais. « À nos ennemis, je dis : nous sommes forts et déterminés. À nos partenaires, je dirais : notre guerre est votre guerre. Et au peuple libanais, je dis : notre guerre n’est pas contre vous. Il est temps pour un changement. » En hébreu, il ajoute que l’armée « ne s’arrête pas là et continue d’agir pour atteindre les objectifs de la guerre ».
« Des jours difficiles nous attendent »
Objectifs de guerre aussi évoqués par le chef d’état-major, le lieutenant général Herzi Halevi, après une nouvelle évaluation de la situation et l’approbation de nouveaux plans de bataille pour le front nord. « Des jours difficiles nous attendent. Les forces de Tsahal sont au maximum de leur état de préparation en matière de défense et d’attaque, dans tous les domaines – et sont prêtes à continuer », dit-il avant d’ajouter que « Nasrallah voulait que cette guerre aboutisse sur l’extermination de l’État d’Israël… Nous l’avons tué ».
Les messages officiels israéliens sont donc martelés à l’unisson : Nasrallah a mérité sa mort, la guerre continuera tant que les habitants du Nord ne seront pas rentrés vivre chez eux en sécurité, que les otages ne seront pas libérés des mains du Hamas et le régime iranien a intérêt à bien se tenir. Dans un mémo envoyé aux ministres du gouvernement et révélé par Gili Cohen, journaliste des questions politiques sur la chaîne publique Kan 11, on peut aussi lire que les ministres interrogés par les médias sont encouragés à rappeler, entre autres, que « parallèlement à l’effort militaire, Israël apprécie les efforts déployés sous la direction des États-Unis et d’autres pays pour promouvoir la stabilité et la sécurité dans la région ».
L’ennemi familier
Sur le plateau de la chaîne 12, la plus regardée en Israël, le journaliste Amit Segal lance son émission politique du samedi soir en ouvrant une bouteille d’Arak, boisson alcoolisée anisée, pour trinquer avec ses invités. Tous se joignent à lui, mais certains sont visiblement mal à l’aise. Ils s’expliquent : la victoire est belle mais loin d’être complète. Non seulement des dizaines de milliers d’Israéliens sont encore loin de retrouver leurs vies et foyers et 101 autres sont encore en captivité à Gaza, mais le Hezbollah est toujours au moins partiellement opérationnel. L’organisation chiite reste notamment dotée de missiles balistiques, capables de causer des dégâts conséquents aux infrastructures sensibles israéliennes, ainsi que des pertes civiles importantes. Pour l’heure, il est compliqué de déterminer la trajectoire qui sera choisie par le Hezbollah.
« Passé l’euphorie, il faut savoir que l’échelon militaire et les services de renseignement israéliens suivaient Nasrallah depuis de nombreuses années. Il était ce qu’on appelle “le diable que nous connaissons”, l’ennemi familier », explique pour Le Point Carmit Valensi, chercheuse à l’Institut d’études sur la sécurité nationale à Tel-Aviv (INSS), spécialiste de la Syrie et du Liban. « Nous avions un interlocuteur avec lequel nous pouvions communiquer via des intermédiaires. La situation avait certes un très fort potentiel explosif mais elle était assez claire. Tout change désormais, en son absence et sous un nouveau chef, y compris toute notre appréhension de cette organisation, les règles du jeu… Ça va donc exiger de la communauté du renseignement israélienne un travail très intense pour décrypter la logique de cette organisation, qui, au lendemain de Nasrallah, est désormais différente de tout ce que nous connaissions. »
Les prochains jours pourraient mener à une escalade des hostilités entre Tsahal et le Hezbollah, qui ont bel et bien continué à s’échanger des tirs toute la journée de samedi. Le commandement du front intérieur de Tsahal a d’ailleurs revu ses consignes à la population et interdit maintenant, dans le centre d’Israël, les rassemblements de plus de 1 000 personnes. L’armée a annoncé « accroître sa vigilance et niveau d’alerte » en Cisjordanie et autour de Jérusalem, par crainte de représailles encouragées par le Hezbollah et l’Iran.