Guillaume de Tonquédec, le gentil homme

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Le comédien de 57 ans poursuit sa carrière hyperactive et s’interroge sur le temps qui passe et sur sa finitude.

Planqué dans le décor. Imperceptible, mais il est là, et c’est l’essentiel. Guillaume de Tonquédec a ramassé ce galet gris orné d’un étrange halo blanc sur une rive de l’archipel des Sept-Iles en Bretagne. Un galet qui respire la région de ses parents, les embruns dont le comédien ne peut se passer. Un caillou-grigri pour le protéger sur cette scène de théâtre qu’il aime tant arpenter. A chaque pièce, le même rituel. «Il faudrait que je pense à les remettre à leur place», dit-il en souriant. Comme s’il fallait ne pas trop troubler l’ordre des choses.

Lucide

Garder le contrôle et s’autoriser une part d’irrationnel. Situation que Guillaume de Tonquédec condense avec lucidité en une formule : la folie et le raisonnable. Sorte d’adage qui résume en partie sa vie, et la nouvelle pièce dans laquelle il tient le rôle principal, Mon Jour de chance. Comédie ultra rythmée et maligne où un coup de dé décide du sort de trois copains d’enfance. Hasard. Destin. Les mots claquent, et lui répète qu’il faut travailler et savoir saisir sa chance. Il serre le galet dans sa main. Laisser délicatement glisser ses doigts dessus comme pour mieux en sentir chaque grain. L’astigmatisme et la presbytie troublant sa vue, il raconte avoir développé ses autres sens. Un flou qui nourrit son seul regret, celui de «ne pas avoir vu le monde tel qu’il est». Mais comment voit-il le monde, lui ?

Ebloui

Alors que le rideau est encore tiré, il écoute le public. Cette rumeur qui lui rappelle le bruit des vagues. Et puis la lumière. Eblouissante. «On ne voit pas les gens mais on les sent respirer. Une scène est réussie quand on respire au même rythme. C’est organique.» Les pieds ancrés dans le sol, le goût de sa salive, de cette eau qu’il a bue avant d’entrer sur scène, Guillaume de Tonquédec cultive sa mémoire sensorielle. Il a bien essayé le verre de vin d’avant-représentation. «Pour chercher un truc, mais tu ne trouves jamais rien. C’est à chier !» s’exclame-t-il en riant. Organique. Il répète le mot à l’évocation des émotions artistiques jalonnant sa vie.

Organique

Préférer la poésie d’une toile de Renoir à Picasso, qui le laisse de marbre. S’enthousiasmer pour la sensualité de Goya et replonger dans son adolescence au souvenir de la Nuit étoilée de Van Gogh, découverte au MoMA à l’âge de 15 ans. Il s’imaginait déjà comédien, avait entamé son parcours classique, du conservatoire au cours Florent, et rêvait de l’Amérique. Le garçon étant du genre déterminé, il multiplie les baby-sittings, économise et s’offre le voyage. Les taxis jaunes, les gratte-ciel le laissent sans voix. Il voit encore les lignes architecturales des buildings et se remémore un concert à la Philharmonie. Organique. Le voilà dissertant sur cette musique omniprésente dans son quotidien, provocatrice d’émotion aux premières notes des Nocturnes de Chopin ou aux mots de Gainsbourg, «fuir le bonheur de peur qu’il ne se sauve».

Embué

Derrière ses lunettes qu’il ne quitte plus, son regard se trouble parfois. A 57 ans, celui dont les proches s’accordent à estimer qu’il ne change pas, que «le vedettariat ne l’a jamais perverti», dixit José Paul, metteur en scène et compagnon de route au théâtre, n’est toutefois plus tout à fait le même. Logique, il vieillit. Il apprend surtout, peu à peu, à prendre du temps pour lui, à rompre avec une hyperactivité professionnelle. Le sentiment de finitude se devine derrière ses mots. Il parle avec tendresse de ses parents. Son père, 87 ans, ancien ingénieur, à qui il a demandé quand le succès est arrivé : «Est-ce que ce qui m’arrive te rend heureux ?» La réponse fut «Oui, bien sûr ! Vas-y !» Et Guillaume de Tonquédec de reconnaître : «Ça m’a libéré. Je crois que j’avais besoin de cette validation.» A 83 ans, sa mère se bat contre une sclérose en plaques diagnostiquée il y a trente ans. «J’ai vu mon père devenir aidant, et répéter que c’est normal tout ce qu’il fait, qu’il est amoureux de ma mère… Leur histoire m’émeut.» Depuis des mois, il les interviewe, les filme, pose toutes les questions. Et écrit. Un récit hommage-témoignage destiné à un seul en scène. Ces moments de partage l’ont poussé à s’interroger sur qui il est. Il sourit : «Qu’est-ce qu’il restera à la fin ? Faut-il qu’il reste quelque chose d’ailleurs ?»

Profond

A la question «Est-il toujours croyant ?» la réponse a fusé dans un éclat de rire : «Je crois que je crois toujours.» Il aime les rites, les cérémonies, la religion qui relie, qui marque les moments importants d’une vie. Mais déteste les préceptes que l’on impose. «L’Eglise catholique ne peut pas s’arroger ma foi», assène-t-il. Ajoutant qu’il veut faire le bien à travers son métier. Son credo ? Toucher les gens, les faire réfléchir. Lui se nourrit de l’actualité. Le passage dans l’isoloir n’est pas optionnel, et il ne dira rien de son vote.

Clairvoyant

Il sait bien ce que l’on dit de lui. Qu’il est gentil. L’adjectif ressort de toutes les interviews. «Poli et gentil, comme dans le mot gentilhomme. C’est une arme redoutable la gentillesse. Tu ne sais pas comment attaquer quelqu’un de gentil. Mais attention, je ne me laisse pas faire. Je peux laisser croire que je me laisse faire, mais ce n’est pas le cas. En fait, je suis un pitbull.» A l’énoncé de cette phrase, on a vu dans son regard sa facétie, ce côté joueur lié à l’enfance. Une façon de dire : je suis plus déterminé que vous ne le croyez. Un bras d’honneur au conseiller d’orientation qui lui avait dit : «C’est bouché la filière comédien !» «Espèce de con, je vais y arriver», avait-il pensé. Guillaume de Tonquédec aime les gens qui s’accrochent, qui osent. Il pose un regard admiratif et tendre sur son frère et ses deux sœurs. Sur ses enfants, Amaury, journaliste à BFM Business ; Timothé, ingénieur en géologie – «le métier que j’aurais rêvé de faire» – ; et Victoire, en cinquième année d’école de commerce. Leur mère, Christèle Marchal, est décoratrice d’intérieur. En famille, ça discute environnement, politique, révolution féministe. Autant de débats qui «m’ont ouvert les yeux» dit-il, louant au passage le mouvement #MeToo. Renaud Lepic, son personnage dans la série Fais pas ci, fais pas ça déboule tel une illusion d’optique. Un rôle qui a changé sa vie, une revanche pour l’enfant dont la timidité était une souffrance, et qui, désormais, est reconnu dans la rue. Il campera de nouveau son rôle le temps d’un épisode spécial diffusé en fin d’année, dans lequel il s’enverra en l’air avec sa femme et les Bouley. Direction la Lune ! La série fut le début des succès. Acteur bankable ? Sans doute. Lui se souvient du premier voilier acheté avec le premier cachet. Sans cabine. Il a toujours un voilier. Avec cabine.

Dernier regard. José Paul a insisté pendant les répétitions : tout se joue dans l’œil. Il faut regarder ses partenaires. Etre dans le regard de l’autre. Dans le reflet des yeux bleu gris de Guillaume de Tonquédec, on devine l’océan où il se baigne. Même en hiver et «sans combinaison ! J’aime le contact de l’eau sur la peau». Organique. «Je vous ai dit que j’étais heureux dans la vie ?»

18 octobre 1966 Naissance à Paris.
2007-2017 Série Fais pas ci, fais pas ça (France 2).
Depuis septembre 2024 Pièce Mon Jour de chance au Théâtre Fontaine (Paris).

par Eva Roque