«Ils subissent un lavage de cerveau» : en Israël, cet athée veut sauver les jeunes ultra-orthodoxes

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En Israël, beaucoup de juifs ne croient pas. Mais rares sont ceux à critiquer ouvertement les extrémistes religieux, qui représentent pourtant un habitant sur trois dans le pays. Un jeune homme s’est mis au défi d’aider les « craignants » à sortir de l’embrigadement.

Naor Narkis se souvient parfaitement du jour où il a compris qu’il était athée. Il a 4 ans et porté par une inspiration soudaine, il trace des croix au crayon de couleur sur une feuille blanche. Sa mère s’épouvante : « Mais qu’est ce que c’est que ça ? Ce n’est pas notre religion ! » Haut comme trois pommes, il se dit tout bas : « Mais je n’ai pas de religion. » Plus tard, il cherche à esquiver sa Bar-mitsvah. « Que tu croies ou pas, ça nous est bien égal. Mais tu fais ta bar-mitsvah », lui répondent ses parents. « Pour moi, un Dieu ou un monstre dans le placard, ça a toujours été la même chose », s’amuse-t-il aujourd’hui.

On le retrouve vingt-quatre ans plus tard, dans son appartement de Tel-Aviv, devenu un de ces jeunes citadins laïques comme la jeunesse israélienne en compte des centaines de milliers. Mais là où la plupart s’en tiennent à un athéisme plutôt mou ou une tolérance pseudo-progressiste envers les différences croyances, lui vient tout juste de revendre sa boîte pour s’adonner complètement à son nouveau combat : aider les jeunes orthodoxes à sortir de la religion. Son mouvement s’appelle « Israël éclairé ». « Je ne cherche pas à faire de mes congénères des athées », prévient-il. « Je me fous qu’ils croient ou  ne croient pas. Ici, à Tel-Aviv, je n’ai jamais ressenti de difficultés avec la façon dont chacun vit sa foi. Ce qui m’inquiète, en revanche, ce sont les extrémistes.»

Dans le centre même de Tel-Aviv, ces longues silhouettes noires, vêtues de long manteau et d’un grand chapeau, sont quasiment inexistantes. À Jérusalem, c’est une autre paire de manches, et ce, bien au-delà de Mea Shearim, le quartier historique de ces ultra-religieux. Pour cause : on compte aujourd’hui plus de 3 millions d’haredim dans un pays qui compte 10 millions d’habitant.

« Les dinosaures n’ont jamais existé »

Et leur présence hérisse le poil du reste de la population… et on comprend pourquoi. Non seulement ces orthodoxes sont-ils dispensés de travailler au motif qu’ils étudient la Torah toute la journée, non seulement bénéficient-ils de toutes sortes d’aides sociales pour se nourrir et se loger, non seulement évitent-ils gracieusement le service militaire là où tous les autres sacrifient trois ans de leur jeunesse pour défendre leur pays, mais ils ont aussi la fâcheuse tendance de faire en moyenne 7,5 enfants par famille, qui deviendront à coup sûr eux aussi des Haredim.

Lors de la création d’Israël, Ben Gourion a accordé ces faveurs aux ultra-religieux car ils représentaient à l’époque une infime minorité : à peine une centaine dans tout le pays. Aujourd’hui, c’est un enjeu démographique, économique, éducatif, et, aux yeux de beaucoup d’Israéliens, sécuritaire dans la mesure où ils ne protègent pas le pays. Le problème va même au-delà : car ces Craignants-Dieu, comme on les appelle en hébreu, sont au gouvernement. Benyamin Netanyahou compte sur eux pour maintenir sa coalition au pouvoir. « C’est comme ça qu’on a eu une ministre de l’éducation qui expliquait à la télévision que les dinosaures n’ont jamais existé », rage Naor Narkis.

Son déclic à lui date d’il y a dix ans. Sa sœur s’est convertie à l’ultra-orthodoxie lorsqu’il avait 18 ans. Depuis, elle a rejoint une ville ghetto et a fait 8 enfants. Naor a perdu contact avec elle, mais lorsque sa mère cherche à rendre visite à son aînée, elle revêt une longue abaya et des gants noirs. Ainsi, Naor Narkis s’est mis au défi de distiller petit à petit le doute chez ces enfants dispensés d’éducation : « 24% des élèves de CP n’étudient ni les mathématiques, ni l’anglais. Ils subissent un lavage de cerveau. Il y a un énorme enjeu éducatif. Mon but est de leur donner les outils pour non seulement les amener à douter, mais à ouvrir leurs horizons. »

Pas les codes

Il a commencé par une levée de fonds, qui lui a permis de distribuer sous le manteau 1 500 téléphones portables. Il se rend la nuit dans les quartiers ultra-orthodoxes pour distribuer des flyers qui renvoient vers sa chaîne YouTube. Là, il publie des vidéos sur le darwinisme, mais prodigue aussi des conseils pratiques pour s’en sortir – « Comment éviter un mariage forcé ? » ou « Que faire si je suis attiré par quelqu’un du même sexe ? ». Tâche complexe, d’autant qu’il faut publier les vidéos également en Yiddish, ces religieux ne parlant souvent pas l’hébreu.

Il a ensuite consulté, des heures durant, des anciens Haredim pour comprendre comment ils sont parvenus à sortir de leur secte. Naor a découvert le fossé infranchissable qui mène au monde normal. « Ces gens-là ne connaissent rien de la vie des laïques. Ils pensent que nous sommes des drogués qui font l’amour toute la journée. Ils n’ont aucun code. Ils ne savent pas comment se comporter, pas comment s’habiller, pas comment chercher un travail », explique-t-il.

Pour l’instant, Naor Narkis est un des seuls qui réussit, grâce à ses vidéos,  à s’introduire dans un monde inaccessible pour qui n’est pas ultra-orthodoxe. « Aujourd’hui, 45% des jeunes Haredim ont internet et connaissent notre mouvement », assure-t-il. Le lendemain de notre rencontre, nous l’avons entendu à la radio. Car le jeune activiste porte un combat qui répond à l’exaspération montante de la population laïque d’Israël.

Pour autant, une telle initiative n’est pas au goût de tout le monde dans un pays dont l’identité juive porte deux significations : culturelle pour certains, religieuse pour d’autre. « Israël n’est pas un pays laïque », rappelle Naor. « En France, vous avez la culture de douter. On n’a pas cette histoire. Quand j’appelle certains à douter, certains me reprochent de vouloir faire disparaître les Juifs. Pourtant, la plupart d’entre eux dans le monde ne croient pas en Dieu. Et on me traite de nazi ! » Récemment, il a trouvé le slogan de son mouvement. Les religieux appellent le retour à la foi « retour à la réponse », « Hozrim Betchouva ». Lui l’a appelé : « Hozrim Betvouna » : retour à la raison.

Coline Renault

Source charliehebdo