En Israël, caricaturer la religion a peut-être encore plus de sens qu’ailleurs. Rencontre avec Amos Biderman, dessinateur pour le journal de gauche Haaretz.
Amos Biderman a reçu Charlie Hebdo dans son appartement de Tel Aviv, près des toiles de son petit atelier où il prépare ses caricatures pour Haaretz, le célèbre journal de centre-gauche en Israël. On lui a posé des questions simples face à une situation compliquée. Comment traite-t-on de la religion en Terre Sainte, dans un pays déchiré où le sujet est si inflammable ? Peut-on rire de tout dans une société traumatisée ? Rencontre.
Comment critique-t-on la religion en Israël ?
Le sujet est complexe et se pose différemment qu’en France. Le débat ne porte pas sur la religion en soi mais sur la place qu’elle occupe très concrètement dans la sphère politique. Ici, la religion est imbriquée avec l’État. Les partis ultra-orthodoxes et les sionistes religieux sont au gouvernement. Sans eux, pas de coalition. Dans mes dessins, je me moque d’eux et de la politique : se moquer de la politique, c’est se moquer de la religion. Et vice-versa.
Pourquoi est-ce que cette minorité des ultra-orthodoxes vous inquiète ?
Cette partie de la population ne fait pas l’armée, ne paie pas d’impôt et perçoit énormément d’aides financières. Le ministre des finances a même réussi à contourner la Cour suprême pour continuer à financer les écoles religieuses. Ces personnes s’opposent aux droits des LGBT. À cause d’eux, on suspend les autobus pendant shabbat. Ils prient sur la place publique pendant Kippour, ce qui crée des confrontations avec les personnes qui veulent occuper ces espaces. Démographiquement, ces ultra-orthodoxes se multiplient très rapidement et leurs enfants vont à leur tour voter en faveur des partis religieux. C’est un cercle vicieux.
Est-ce que le blasphème est un débat ici ?
On ne m’a jamais censuré : pour l’instant, il est possible de critiquer les religieux et j’espère que cela va durer. Il m’est même arrivé de dessiner Dieu, alors que sa représentation est interdite dans la religion juive. Certes, je me fais traiter parfois de nazi, on me dit que je suis antisémite. Sous mes dessins, les commentaires peuvent être durs. Mais je ne reçois pas de menaces. Je suis d’ailleurs étonné que vous, en France, soyez aussi l’objet d’autant de violences lorsque vous caricaturez la Vierge Marie. Je pensais que dans votre pays des Lumières, la critique des religions était acceptée.
Peut-on rire de tout dans ce pays ? Y compris du 7 octobre ?
Je ne fais pas de caricature sur les gens qui se font assassiner, je ne ris pas des victimes, notamment celles des attentats. Je me moque des puissants et surtout de ceux qui font le mal, ceux à cause desquels tout cela est arrivé. J’ai fait beaucoup de dessins sur le 7 octobre et sur les hommes du Hamas, mais aussi sur les colons.
Le sujet des religions est trop sensible en Israël ?
Je ne suis pas à l’aise avec l’idée de caricaturer des gens ou des religions qui ne me représentent pas. C’est pourquoi je ne fais pas de caricatures du prophète ou même de la Vierge Marie. En revanche, sur le clergé juif, je n’ai aucune limite, même si le sujet est sensible ou que cela déplaît. Mais quand je représente Dieu, ce qui m’arrive, je préfère ne pas le faire de manière dégradante.
Propos recueillis par Coline Renault.