En Israël, le tourisme religieux est frappé par la guerre

Abonnez-vous à la newsletter

Les touristes ont totalement déserté Israël comme la Cisjordanie. Les conséquences économiques sont catastrophiques pour les communautés vivant, le plus important dans la région.

Situé près de la porte de Jaffa, le restaurant Versavee est une institution de la Vieille Ville de Jérusalem. Avant la guerre dans la bande de Gaza, les habitants du quartier chrétien y côtoyaient des voyageurs du monde entier. C’était un lieu de rendez-vous pour les diplomates ou les employés d’organisations humanitaires ; un point de passage inévitable pour les groupes de pèlerins chrétiens. Mais, par cette claire matinée de septembre, la cour du restaurant est vide.

Depuis le début de la guerre, il y a bientôt un an, les touristes ont déserté le pays. Le tourisme religieux, qui représente l’essentiel de l’activité du secteur pour Israël et la Cisjordanie, est à l’arrêt. Dès l’attaque terroriste du 7 octobre 2023, les groupes originaires des États-Unis, d’Europe, des pays orthodoxes – Russie, Grèce, Balkans… – ont annulé leurs réservations. Aucune reprise n’est en vue.

Une catastrophe économique

Pour les communautés chrétiennes de la Terre Sainte, c’est une catastrophe économique. « Je n’ai jamais vu pareille situation », s’inquiète Marie-Armelle Beaulieu. Rédactrice en chef du journal Terre Sainte Magazine, cette observatrice avisée vit à Jérusalem depuis vingt-cinq ans. Directeur du Bureau des projets de développement du Patriarcat latin de Jérusalem, Georges Akroush partage cette inquiétude. Il occupe un poste clé, depuis lequel il voit la situation économique se dégrader, notamment pour les habitants de Jérusalem-Est – la partie palestinienne de la ville – et pour ceux de Bethléem, toute proche mais en Cisjordanie occupée. « Tout le monde ici souffre économiquement de la guerre, juifs, chrétiens, musulmans, reconnaît-il. Les chrétiens ne représentent que 1 % de la population, mais ce sont eux qui en pâtissent le plus. L’immense majorité du tourisme en Israël et en Cisjordanie est un tourisme chrétien, et 72 % des chrétiens locaux vivent du tourisme. »

En Cisjordanie, le secteur perdrait environ 2,5 millions de dollars par jour, selon le ministère du Tourisme de l’Autorité palestinienne. La ville de Bethléem, lieu de naissance du Christ dans la tradition chrétienne, est particulièrement affectée. En temps normal, elle accueille environ 1,5 million de touristes par an. Depuis le début de la guerre, l’économie du tourisme y aurait enregistré une perte de 67 %, d’après l’Autorité palestinienne.

Les ruelles de la Vieille Ville sont désertes

Le Versavee n’échappe pas à la crise. Dans un coin de la cour, des chaises sont empilées. La table où Gabi Hani dépose une tasse de café a pris la poussière. Le propriétaire ne cache pas son appréhension : cela fait onze mois que son activité est quasiment à l’arrêt. L’automne, habituellement d’intense activité, s’annonce morose. « Nous avons totalement fermé pendant les mois qui ont suivi le 7 octobre. Depuis le printemps, nous sommes ouverts deux jours par semaine. Les revenus générés me permettent tout juste de maintenir le restaurant en ordre de marche », explique-t-il.

Le Saint-Sépulcre, basilique construite sur le lieu où, dans la tradition chrétienne, Jésus est mort et a ressuscité, se trouve à quelque pas de là. Dans les ruelles qui mènent à ce site incontournable de la Vieille Ville, on vend des souvenirs religieux, des céramiques arméniennes, des jus de fruits : la plupart des boutiques sont fermées. Parfois, un marchand, mélancoliquement assis sur sa chaise, alpague les rares passants, sans trop y croire lui-même.

Quand le Quai d’Orsay déconseille les voyages

Les agences de voyages aussi doivent faire face. En France, Routes bibliques, spécialiste de l’organisation de voyages religieux depuis quarante ans, a vu son activité fondre radicalement. « En temps normal, les voyages en Terre sainte représentent 50 % à 60 % de notre activité. Du jour au lendemain, tout s’est arrêté », explique Guilhem de Vasselot, son directeur général. Depuis, il tente d’organiser des groupes de « visitation », qui viennent en signe de soutien : pour l’instant, deux ont fait le déplacement. Il compte sur d’autres destinations spirituelles pour prendre le relais.

Fabien Safar ne peut pas en faire autant : fondateur de l’agence Terra Dei, installée à Jérusalem depuis 2013, ce Franco-Palestinien travaille entre Israël et la Cisjordanie. L’activité de son entreprise, qui employait une quinzaine de personnes avant la guerre, est quasi nulle. « Nous devions recevoir deux petits groupes cet été, mais ils ont annulé à cause des tensions avec le Hezbollah et l’Iran. Là, je n’ai aucune perspective. Ce matin, j’ai parlé avec des retraités qui prévoyaient de venir : ils vont sans doute annuler ; leurs enfants sont inquiets. Ils disent : le Quai d’Orsay déconseille de venir. Je sais bien que ça n’est pas si dangereux ici, à Jérusalem, mais qui suis-je par rapport au Quai d’Orsay ? »

Son entreprise souffre durement : il a dû se séparer de près de la moitié de ses employés. « J’en emploie encore à mi-temps, je sais que j’aurai besoin d’eux quand l’activité reprendra et c’est long de les former », précise-t-il. Il a aussi vendu un car de tourisme, acheté juste avant le début de la guerre ; il craint de devoir se séparer bientôt de ses deux autres véhicules. Il n’est pas sûr de pouvoir continuer à payer le loyer de ses bureaux. « Nous ferons du télétravail », lance-t-il, résolument optimiste. Sans savoir de quoi l’avenir sera fait. « Nous avons tenu onze mois comme ça, on ne tiendra pas onze mois de plus. »

Des milliers de familles sans revenus

Ce ne sont pas seulement les entreprises touristiques qui sont touchées. Déjà frappées par la crise du coronavirus, des milliers de familles de Jérusalem ou Bethléem se retrouvent sans revenus. Les parents ne peuvent plus payer l’école de leurs enfants. Les chrétiens sont généralement scolarisés dans les instituts gérés par le Patriarcat latin de Jérusalem : on en compte 44, pour 20.000 élèves. « Pas question de refuser un élève dont les parents ne peuvent pas payer, affirme George Akroush. Le Patriarcat prend en charge leur scolarité. » Mais cela représente un trou de 15 millions d’euros dans les finances de l’institution, d’après lui. Pour les communautés religieuses, les pertes aussi sont sévères. À Bethléem, plus un sou dans les troncs de la basilique de la Nativité : l’argent collecté permettait de faire vivre une dizaine de frères franciscains chargés d’accueillir les pèlerins.

La situation pourrait-elle s’arranger ? Fabien Safar et Gabi Hani l’espèrent. « Il suffit qu’un cessez-le-feu soit conclu entre Israël et le Hamas pour que les réservations reprennent », assure Fabien Safar. « Les voyageurs ont-ils plus peur de voyager aujourd’hui qu’autrefois ? », s’interroge toutefois le directeur de Routes bibliques. Devant la volatilité de la situation, certains groupes pourraient hésiter, même en cas de cessez-le-feu. Au Patriarcat latin de Jérusalem, aucune amélioration n’est espérée avant au moins un an.

Source lesoir

Soyez le premier à commenter

Poster un Commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*