Nétanyahou, plus longue sera la chute

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Humilié par le père d’un otage exécuté, incapable d’empêcher les fuites dans ses affaires de corruption, le Premier ministre israélien bénéficie encore d’un système politique bloqué. Mais pour combien de temps ?

Le segment est passé à une heure de grande écoute sur la radio publique israélienne, lundi 9 septembre, alors que beaucoup d’Israéliens étaient bloqués dans les embouteillages. «Arrêtez de vous préoccuper des sièges et des sondages. Arrêtez !» dit une voix déchirée, celle d’Elchanan Danino, rabbin ultraorthodoxe séfarade, et père d’Ori, qui faisait partie des six otages israéliens exécutés par le Hamas et retrouvés à Gaza dans la nuit du 31 août au 1er septembre. En face, Benyamin Nétanyahou, en visite officielle à la famille, encaisse. «Je ne sais pas s’il y avait un accord ou pas… Mais mon fils a été exécuté dans un tunnel que vous avez construit, continue le père. Vous êtes au pouvoir depuis des années, le béton et les dollars sont rentrés avec votre permission.»

Derrière l’arrogant baryton de Benyamin Nétanyahou et les injonctions maladroites de sa femme Sara, derrière la colère d’Elchanan Danino, on entend clairement les sanglots d’une mère, Einav. Le rabbin en appelle aux valeurs juives, à la conscience du Premier ministre, qui doit prendre ses responsabilités. Celui-ci se défend mollement. C’est enfin Sara Nétanyahou qui contre-attaque : «Rabbin Elhanan, vous répétez des choses qu’on vous a dit de dire.» Les journalistes laissent au public le temps de digérer le message. «Comment peut-on dire au père d’un otage, dont le fils vient de mourir : “tu dis ce qu’ils t’ont dit de dire” ?» s’indigne calmement l’un d’entre eux.

Ligne inflexible

Depuis quinze ans, Benyamin Nétanyahou, l’Etat hébreu incarné, serait le seul à défendre Israël, «devant le monde, devant le président des Etats-Unis – et même devant les haut gradés ici», ajoute sa femme. Le message de victimisation est habituel, mais le manque de décence, l’attaque frontale au symbole des otages et des familles endeuillées, choque. Dans une réponse vidéo, Benyamin Nétanyahou a pourtant insisté qu’il «entendait leurs pleurs».

Le cadrage, en plongée subtile, voulait donner une impression d’humilité. Mais cela n’affecte en rien la ligne du gouvernement : la guerre continue. Ce mardi, des avions israéliens ont ciblé, selon Tsahal, trois hommes du Hamas dans une tente en pleine zone humanitaire d’Al-Mawasi, sur la côte gazaouie. Il y aurait au moins des dizaines de morts, selon les secouristes. Les images de Palestiniens creusant frénétiquement le sable à mains nues, cherchant des survivants à la lueur des torches, sont insoutenables.

Lundi fut une mauvaise journée pour le chef du Likoud. Le soir, le film The Bibi Files était projeté en avant-première au Festival international du film de Toronto. Le documentaire, presque deux heures et pas encore terminé, se focalise sur ses affaires de corruption et comporte des séquences vidéo de l’enquête. Ces fuites, jamais publiées, «font la lumière sur le personnage de Nétanyahou d’une manière extraordinaire et sans précédent», avait confié le producteur Alex Gibney au magazine Variety début septembre. Benyamin Nétanyahou a bien tenté d’interdire sa projection, en poursuivant un des producteurs, le journaliste israélien Raviv Drucker. La justice ne lui a pas donné raison. Pour l’instant, il reste impossible de le montrer en Israël. Mardi matin, toute une nation cherchait sur Internet des vidéos piratées.

«Cela ne changera rien aux calculs»

Pour les opposants à Benyamin Nétanyahou, cette mauvaise passe est une opportunité. Certains espèrent que la colère d’Elchanan Danino s’avère sismique et déloge les fans de Bibi, voire certains membres de la coalition. Découragée par le manque de résultats de la mobilisation populaire, l’opposition voudrait s’atteler à diviser la coalition. Les arguments religieux, en particulier, sont avancés pour essayer de mettre à mal l’alliance entre le bloc ultraorthodoxe et le Likoud.

«Je n’y crois pas une seule seconde», lâche Yanki Farber, journaliste pour le magazine Behadrei Haredim et commentateur hyperactif de la politique ultraorthodoxe. «Presque tout le monde en Israël est d’accord avec Danino : même ceux qui soutiennent Nétanyahou pensent qu’il a le droit et le devoir de dire ce qu’il pense. Mais cela ne changera rien aux calculs politiques.» Les politiciens haredim et Nétanyahou se tiennent par la barbichette, chacun ne pouvant vivre sans l’autre. «Parfois, les députés haredim menacent de voter contre le gouvernement. Mais s’il tombe, ils savent qu’ils basculeront dans l’opposition pour les cinquante prochaines années», assène Yanki Farber.

Cela va plus loin, analyse le journaliste, jusque dans les décisions électorales individuelles. «Le problème de la politique israélienne, c’est qu’il n’y a pas de renouveau», explique-t-il. Pour beaucoup d’Israéliens, il n’y a pas d’alternatives, seulement des choix déjà faits. «S’il y avait une élection demain, se risque à parier Yanki Farber, même la famille Danino retournerait voter Shas», le parti ultraorthodoxe séfarade dont le leader, Aryé Dery, est un allié inconditionnel de Benyamin Nétanyahou.

par Nicolas Rouger, correspondant à Tel-Aviv

Source liberation

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