En pleine guerre, l’économie d’Israël endosse les habits de la droite extrême

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L’idéologie nationaliste et conservatrice du gouvernement de Benyamin Netanyahou a aussi des conséquences sur la politique économique et sociale, au détriment des services publics, estime dans cette tribune Jacques Bendelac, chercheur en sciences sociales.

La coalition gouvernementale dirigée par Benyamin Netanyahou ne se caractérise pas seulement par des décisions politiques et sécuritaires propres aux thèses de l’ultradroite ; sur les questions économiques et sociales aussi, l’idéologie conservatrice et nationaliste marque son empreinte dans le quotidien des Israéliens. Le ministre des Finances Bezalel Smotrich, qui gère les caisses de l’Etat depuis bientôt deux ans, applique un programme économique néolibéral, laissant une large place aux principes religieux de l’orthodoxie juive, et plus rien ne l’arrête.

Ni les tensions sociales autour de la réforme judiciaire lancée au début de l’année 2023 ni la guerre à Gaza après les massacres du 7 octobre n’ont ralenti le glissement vers la droite de l’économie israélienne. Désormais, le libéralisme national prônant un non-interventionnisme de l’Etat a le vent en poupe en Israël : les dépenses sociales sont réduites à leur minimum, la pression fiscale favorise les plus riches et les privatisations vont bon train. En revanche, lorsqu’il s’agit de favoriser les intérêts de sa base électorale, le ministre des Finances n’hésite pas à prendre des mesures populistes : les subventions aux institutions religieuses ultraorthodoxes comme le financement de la colonisation en Cisjordanie bénéficient de rallonges budgétaires substantielles.

Fin de l’Etat-providence

Pour financer des dépenses militaires qui ont doublé depuis le 7 octobre 2023, le gouvernement israélien est fidèle à son idéologie ultralibérale. Alors que les recettes fiscales sont en baisse pour cause de récession depuis le début de 2024, le ministre des Finances reste réticent à des hausses d’impôts, préférant réduire les dépenses sociales : l’éducation, la santé et les services sociaux n’ont pas échappé à de sévères coupes budgétaires. Or les groupes de population touchés par le conflit, et notamment les familles déplacées des zones de guerre, sont devenus fortement dépendants de l’aide publique distribuée parcimonieusement.

Plutôt que de profiter des contraintes de la guerre pour rendre le système fiscal plus juste, Bezalel Smotrich rechigne à augmenter les recettes de l’Etat, notamment en relevant l’impôt sur les hauts revenus. Il a repoussé la proposition du service des impôts de supprimer les niches fiscales bénéficiant à certaines formes d’épargne, tout comme il refuse de mieux taxer les revenus du capital, profits et dividendes, qui continuent de s’envoler en cette période de guerre. De même, les vagues promesses de lutter contre la fraude fiscale resteront lettre morte.

Lorsqu’il s’est résolu à relever la pression fiscale, Smotrich a pris des mesures en faveur des plus riches et au détriment des plus pauvres. Il a choisi de ne pas relever l’impôt sur le revenu du travail, alors que les taux d’imposition en Israël sont parmi les plus bas des pays de l’OCDE [Organisation de Coopération et de Développement économiques]. En revanche, les impôts indirects seront fortement alourdis en 2025, comme la taxe d’habitation qui fera un bond de 5,3 %, hausse record depuis dix-sept ans. De même, le relèvement envisagé du taux standard de la TVA de 17 % à 18 % (il n’existe pas de taux de TVA réduits en Israël) touchera fortement les catégories défavorisées qui consacrent leur modeste revenu à la consommation courante, une autre façon de prendre aux pauvres pour redistribuer aux riches.

Service public minimum

La situation de guerre n’a pas interrompu, ni même ralenti, le processus de privatisation des services publics lancé en Israël il y a quelques années. En mai, le gouvernement israélien a finalisé la privatisation du service postal en le cédant au groupe Milgam, propriété de la famille Weil qui est à la tête d’un important empire financier dans le pays. Au milieu de l’été, ce fut au tour du marché de l’électricité de s’ouvrir à la concurrence. La compagnie nationale d’électricité a perdu son monopole de la distribution. Dorénavant, les familles israéliennes peuvent choisir parmi une des huit entreprises privées habilitées à fournir de l’électricité à prix réduit.

La privatisation ne s’arrêtera pas avec les services postaux et l’électricité. A Ashdod, le dernier port public israélien de la Méditerranée est en voie d’être privatisé. Dorénavant, les « travaux publics » sont réalisés par des capitaux privés qui en assurent le financement, la construction et l’exploitation sur une longue période, notamment les autoroutes, les usines de dessalement, les tramways urbains, etc. Autrement dit, la politique ultralibérale du gouvernement Netanyahou se traduit par le déclin des services publics qui sont transférés au secteur privé.

Politisation des finances

Si le ministre des Finances Bezalel Smotrich est omniprésent sur la scène politique israélienne, ce n’est pas forcément pour s’occuper des difficultés économiques que le pays traverse en période de guerre. Et pour cause : en faisant pression sur le Premier ministre, il a obtenu un poste supplémentaire, celui de ministre délégué auprès du ministère de la Défense en charge la coordination des actions du gouvernement en Cisjordanie. Cette fonction lui a permis d’annoncer en juin la légalisation de cinq colonies sauvages. Quelques semaines plus tard, Israël approuvait la saisie de 1 270 hectares de terres en Cisjordanie qui permettront la création de nouvelles colonies. La colonisation accélérée a un coût budgétaire important, surtout en temps de guerre : la construction d’infrastructures et de logements pèse lourd sur le budget de l’Etat déjà handicapé par de fortes dépenses militaires.

En ce début septembre, le ministre des Finances n’a toujours pas trouvé le temps pour préparer le projet de loi de finances 2025 qui aurait dû être présenté en conseil des ministres avant la fin du mois d’août. En revanche, il a trouvé le temps pour saisir les recettes fiscales destinées à l’Autorité palestinienne, pour accorder des rallonges budgétaires aux implantations juives en Cisjordanie et pour accroître le financement des réseaux d’éducation juive religieuse.

La droitisation de l’économie israélienne s’est donc consolidée durant le conflit actuel par des dépenses de nature politique destinées à garantir la stabilité de la coalition d’extrême droite, nationaliste et religieuse. La gestion ultralibérale de la guerre ne fera qu’aggraver la paupérisation de nombreux segments de la société tout en creusant le déficit public et en retardant la reprise économique de l’après-guerre.

Jacques Bendelac, chercheur en sciences sociales à Jérusalem, est l’auteur de plusieurs essais, dont « les Années Netanyahou, le grand virage d’Israël » (Editions l’Harmattan, 2022).

1 Comment

  1. Je suis choqué de découvrir cet article du Nouvelobs dans vos colonnes.
    Rien que les mots employés m’écœurent, … « idéologie nationaliste et conservatrice »  » thèses de l’ultradroite » « mesures populistes » « colonisation » « Cisjordanie » « idéologie ultralibéral » « Colonies sauvages » etc…
    Pour ce qui est des privatisations, au lieu de critiquer Israël, l’auteur devrait d’abord regarder le programme Européen sur les privatisations et les monopoles. Programme en tous points identique à celui qu’est en train d’appliquer Bezalel Smotrich.
    L’auteur parle de « Gestion ultralibérale de la guerre qui ne fera qu’aggraver la paupérisation de nombreux segments de la société tout en creusant le déficit public et en retardant la reprise économique de l’après-guerre. » pour Israël
    Alors que c’est exactement ce programme de « Gestion Ultralibéral » qu’applique la Communauté Européenne, … En temps de PAIX.

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