Yotam Ottolenghi, fait saliver la France avec ses livres de cuisine levantine

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Yotam Ottolenghi
Le cuisinier aux multiples influences vient de publier son dernier ouvrage, « Comfort », et va tenter de conquérir plus largement le public français, à grand renfort de légumes et d’épices.

Ses recettes sont devenues des incontournables de la cuisine en vogue. Le chou-fleur rôti entier servi avec de la crème de sésame ? C’est lui. L’aubergine brûlée et parsemée de grenade ? Encore lui. Les carottes entières à la harissa ? C’est toujours lui : Yotam Ottolenghi. Ce chef anglo-israélien de 55 ans a déboulé dans l’Hexagone en 2013 et a vendu plus de 800 000 exemplaires de ses livres en France, selon son éditeur, Hachette. Le cuisinier et entrepreneur londonien a publié, mercredi 4 septembre, son nouvel ouvrage, baptisé Comfort – pour « cuisine réconfortante ».

Sans restaurant en France ni étoile au guide Michelin, comment ce chef a-t-il réussi à faire infuser sa cuisine levantine au pays de la gastronomie ?

De Jérusalem à Londres

Yotam Ottolenghi a grandi au cœur de la partie juive de Jérusalem (Israël). À la maison, son père, d’origine italienne, prépare une cuisine traditionnelle du nord de la Botte – polenta, boulettes de viande, sauce tomate… – quand sa mère, d’origine allemande, se montre plus ouverte, avec des currys aux influences asiatiques. « Ces sensibilités différentes de mes parents m’ont donné un bon équilibre », explique le cuisinier au Parisien.

Dans les années 1990, l’étudiant en littérature s’envole pour Amsterdam (Pays-Bas), où il fréquente davantage le marché que les bibliothèques. « J’ai un peu fait ma crise de jeunesse », confie-t-il au Point. Les odeurs de blanquette de veau et de pot-au-feu commencent à s’échapper de sa cuisine. « J’essayais des choses, beaucoup de plats traditionnels d’inspiration française », se remémore-t-il. Une découverte que le jeune Israélien peaufine au sein de l’école de cuisine française Cordon Bleu de Londres (Royaume-Uni), qu’il intègre en 1997.

Il se sent rapidement corseté par la cuisine française, qu’il juge trop rigide. « Je ne comprends pas que l’on propose de découper tous les légumes, quelle que soit leur taille, de la même façon », cingle-t-il dans Le Monde. Ses carottes cuites entières, fanes comprises, seront plus tard l’une de ses marques de fabrique. En attendant, lors de sa formation au Cordon Bleu, une seule journée est dédiée aux « cuisines du monde »… alors que celles-ci sont déjà partout dans les rues de Londres.

Il fait d’ailleurs la rencontre décisive de sa carrière dans les cuisines d’un delicatessen (un restaurant-traiteur qui propose des plats à emporter) de la capitale britannique. Comme lui, Sami Tamimi est né à Jérusalem en 1968, mais dans la partie musulmane, avant d’émigrer vers l’Europe. Ensemble, ils travaillent, partagent leurs souvenirs de cuisine israélienne et palestinienne, dont ils tirent un livre, Jérusalem.

La révolution du chou-fleur

L’éclosion de Yotam Ottolenghi dans l’Hexagone débute avec ce gros bouquin, publié en France en 2013. « Aucune maison d’édition française ne voulait acheter les droits, c’était trop différent », se souvient Catherine Saunier-Talec, directrice générale de pôle chez Hachette Livre. C’est elle qui installe le cuisinier dans les rayons des librairies françaises. « C’était un pari, mais j’avais testé ses recettes et c’était un succès à chaque fois », se félicite l’éditrice, passionnée de cuisine.

Avec sa couverture en tissu à motifs et sans photo, l’ouvrage fait figure d’ovni. Avant d’arriver aux recettes, le lecteur est invité à plonger dans l’histoire de Jérusalem et des origines si variées de ses plats phares. Yotam Ottolenghi y pose les marqueurs de sa « cuisine du soleil » qui feront son succès, avec l’utilisation d’ingrédients alors peu connus en France à l’image du zaatar, mélange d’herbes et d’épices généralement composé de thym, d’origan, de sésame, de sumac et de sel ; de la mélasse de grenade ; ou encore du tahini, une crème de sésame.

Dans le livre, les recettes ne sont pas classées en entrée ou en plat de résistance, comme dans les menus traditionnels français, mais se présentent sous forme d’une multitude d’assiettes à partager entre tous les convives, sans ordre établi. La viande et le poisson sont également relégués au second plan, après les chapitres dédiés aux légumes frais et secs qui deviennent les véritables stars de l’assiette.

Cette nouvelle sauce aux saveurs méditerranéennes commence à prendre en France grâce au bouche-à-oreille, mais reste limitée à un cercle réduit. « Il s’agissait vraiment d’un public d’initiés », explique Déborah Dupont-Daguet, propriétaire de La librairie gourmande à Paris et Dijon (Côte-d’Or). Elle rappelle d’ailleurs que malgré le succès de long terme du premier livre de Yotam Ottolenghi en France, les deux qui ont suivi ont été des « flops ». Plus de cinq ans après leur sortie, les ventes de Nopi et Sweet plafonnent en dessous des 20 000 exemplaires, selon l’estimation d’Edistat. Leur niveau de complexité et la liste des ingrédients à rallonge n’y sont sûrement pas pour rien.

« Simple », basique

La folie Ottolenghi s’empare de l’Hexagone quelques années plus tard, en 2018, avec la sortie de Simple, dans lequel le chef réduit le nombre d’ingrédients et les temps de préparation. « C’est un peu ‘Ottolenghi pour les Nuls' », explique la journaliste culinaire Estérelle Payany. « Ce livre l’a rendu accessible au grand public », renchérit Déborah Dupont-Daguet. Dans ses librairies, les clients ne connaissent pas toujours le nom du chef, mais tous veulent acheter « le livre jaune avec le citron ».

Le succès est exponentiel. « Chaque année, j’en vends davantage que l’année précédente », se félicite Catherine Saunier-Talec. Au total, plus de 300 000 exemplaires de l’ouvrage ont été écoulés en France, selon la maison d’édition. « Pour un livre de chef à près de 40 euros, c’est énorme, il n’y a pas d’équivalent en France », assure Déborah Dupont-Daguet.

Un succès inattendu tant l’Anglo-Israélien ne suit pas le modèle du chef français médiatique. Il n’a pas de restaurant étoilé à son actif, ne possède aucun établissement en France et boude les plateaux télé, à l’heure où des émissions comme « Top Chef », sur M6, dictent les tendances et les personnalités culinaires en vue. Son style, sans toque, dénote. « En France, les chefs sont verrouillés par les figures tutélaires et la haute gastronomie. Alors qu’Ottolenghi, lui, est cool et fait de la popote aux saveurs explosives », décrypte Déborah Dupont-Daguet.

À Londres, ses neuf restaurants proposent sa cuisine à déguster sur de grandes tables ou à emporter sous forme de buffets. Pas de chichi, ni de nappe blanche. Pour Yotam Ottolenghi, ce sont les goûts « sharp » (affûtés) qui comptent, comme l’acide ou le piment. Oubliez les brocolis à l’eau ou à la vapeur. « C’est un péché de surcuire le légume comme ça ! », s’indigne le chef dans L’Express. Chez lui, les légumes sont traités avec les mêmes techniques que la viande : rôtis à la braise, confits ou encore cuits en croûte.

Résultat garanti (ou remboursé)

Ses livres cachent aussi un secret. « Toutes ses recettes fonctionnent vraiment, c’est redoutable », tranche la cheffe Ella Aflalo, qui feuillette régulièrement les ouvrages de Yotam Ottolenghi. « Ça n’a l’air de rien, mais c’est très important », explique la journaliste culinaire Estérelle Payany. « Alors que les grands chefs français adaptent simplement leur fiche technique de restaurant aux quantités des particuliers, Ottolenghi, lui, goûte tout dans sa test kitchen et s’entoure d’une équipe. » Son dernier ouvrage est d’ailleurs signé avec Helen Goh, Verena Lochmuller et Tara Wigley.

Avant toute publication, les idées du chef anglo-israélien passent également par les fourneaux ménagers de Claudine Boulstridge, rencontrée en 2007. Cette quadragénaire, qui vit dans la campagne du Pays de Galles, teste les recettes, en vérifie la faisabilité chez « monsieur et madame tout le monde » et envoie un avis détaillé à Yotam Ottolenghi. « La plupart du temps, il s’agit de rectifier une proportion ou de partager ma difficulté à trouver un ingrédient », expliquait-elle au Monde en 2019.

Zaatar pour tous ?

Il faut dire que certaines denrées vantées par le chef ne sont pas toujours faciles d’accès. C’est d’ailleurs l’une des limites à son succès en France. « Trouver du zaatar au fin fond de la Creuse, ce n’est pas évident », rappelle Déborah Dupont-Daguet. Résultat : les lecteurs de Yotam Ottolenghi restent principalement des urbains de catégorie sociale aisée, selon la libraire. Il n’y a qu’à faire un tour sur son épicerie en ligne pour s’en apercevoir, avec des coffrets-cadeaux remplis d’épices au nom du chef qui dépassent les 100 euros.

Ce constat pourrait changer. La propagation de la cuisine levantine dans les restaurants et chez les particuliers modifie déjà le contenu des rayons de supermarchés. La marque Ducros commercialise désormais du zaatar en grandes surfaces à moins de trois euros. « Au début, c’était très parisien, mais c’est en train de se diffuser partout en France », veut croire Catherine Saunier-Talec. Hachette, a déjà tiré 50 000 exemplaires du dernier ouvrage du chef et assume l’ambition d’en vendre le double d’ici à Noël. Un défi de taille, selon Estérelle Payany : « Tout l’enjeu de la sortie de Comfort, c’est : ‘Est-ce qu’on va réussir à rendre Ottolenghi vraiment grand public ?' »

Robin Prudent

Source francetvinfo