Caroline Goldman : «L’ordre permet de développer la tendresse, l’intelligence et la créativité chez l’enfant»

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La psychologue pour enfants publie un nouveau livre dans lequel elle affirme qu’aucune critique formulée à son encontre ou celui de son travail ne l’a fait évoluer sur un point ou un autre.

Après Les Petites leçons de psychologie parues en avril dernier chez Dunod, Caroline Goldman publie chez Flammarion Le guide des parents d’aujourd’hui. De quoi s’agit-il ? D’un rassemblement de ses passionnants podcasts disponibles sur les plateformes d’écoute (Ausha, Spotify, Deezer..) et de ses trop brèves pour ne pas être caricaturales chroniques radio sur France Inter. Diffusées l’été dernier, celles-ci avaient fâché des auditeurs, des parents, des scientifiques, la médiatrice de la radio publique avait publié un courrier, quasiment des excuses. Un an plus tard, France Inter et Radio France assument, participent même à l’édition de l’ouvrage. Ses admirateurs totaux retrouveront avec plaisir son assurance, sa faculté à clarifier les concepts ; les passages sur «les mots porteurs»«les parentalités bousculées» et «l’épanouissement à l’école» sont particulièrement intéressants. Les autres regretteront qu’elle ne s’amende en rien, ni sur le TDAH, ni sur la dépression infantile qualifiée de «maladie de l’amour», ni sur la psychanalyse.

LE FIGARO. – Votre premier entretien dans le Figaro a paru en 2019, depuis vous êtes devenue célèbre. À l’occasion de vos chroniques sur France Inter des critiques ont été émises. Dans votre livre, vous écrivez qu’aucune ne vous a convaincue de remanier une ligne de vos propos. Pourquoi ?
Caroline Goldman. - Parce que je ne suis pas critiquée de manière intelligente sur le fond par des spécialistes du soin des enfants qui reçoivent effectivement des enfants. Mais par un historien médiéval (Pierre Vesperini dans Le Monde, ndlr), deux psychiatres pour adultes, une psy d’enfant n’ayant jamais pratiqué ce métier, un chercheur du CNRS, des vendeurs de positivité sans aucune qualification psy et quelques parents militants suiveurs… Leurs reproches sont déconnectés de la réalité clinique des patients, or je ne m’assiérai pas sur le constat de la détresse que je palpe. Tant pis pour ceux qui voudraient faire croire qu’on peut éduquer des enfants par la seule grâce des câlins. Ou qui n’ont pas compris les carences affectives ou les désaccordages relationnels familiaux à l’origine d’une dépression infantile ou adolescente.

Comme tous les livres de parentalité, votre nouveau livre sera certainement lu par des parents déjà attentifs au bien-être de leurs enfants. Dans quels domaines considérez-vous que ces derniers ont besoin de conseils ?
On peut être dotés de bon sens, pleins d’amour et avoir besoin de clefs sur des sujets spécifiques. Dans ce livre, je parle par exemple des besoins fondamentaux de portage et de succion du bébé, de l’importance de rire avec nos enfants, de la façon de leur annoncer les mauvaises nouvelles, de leur expliquer les dysfonctionnements de certaines grandes personnes. J’aborde l’importance de se décoller un peu des enfants qui grandissent. Je constate en effet un magma entre les générations. Certains parents adoubent tout ce que disent ou font leurs enfants, leur racontent leur propre vie sentimentale ou collent à leurs conflits amicaux alors qu’une certaine distance permet de préserver l’intégrité de tout le monde. Ce qui ne veut pas dire qu’on ne discute pas entre générations ni qu’on «invalide» les émotions des uns et des autres.

Vous êtes décontractée sur le sujet des écrans. Vous ne les voyez pas comme une menace pour la vie familiale ? Le développement de l’enfant ?
Comme tout le monde, je me méfie de leur pouvoir d’attraction et je mets en garde contre les rôles inappropriés de baby-sitter ou de pare-feu que peuvent leur donner les parents de jeunes enfants. Je n’ignore pas non plus qu’une forte exposition risque de créer des difficultés à rester concentré sur des taches par la suite car les enfants auront intégré une rythmicité compulsive. Mais au même titre que je trouve excessif et malhonnête d’affirmer qu’un grand lecteur sera forcément intelligent, je trouve malhonnête de dire qu’un enfant qui regarde des écrans sera nécessairement asocial ou mauvais à l’école. Il me semble enfin que l’impact des écrans est toujours révélateur de la structure psychique de l’enfant et donc de ce qu’il vit en famille. S’il est violent par exemple, il va choisir des contenus violents. Le sujet est donc sa violence.

Quand vous recevez des parents pour une problématique de manque de «limites parentales», un des grands fléaux de vos consultations, vous leur donnez votre feuille de route qui prescrit notamment «le time out» – l’exclusion temporaire dans une pièce. Ce dernier a beaucoup fait parler, notamment parce que vous le prescrivez à partir de l’âge d’un an. Certains parents résistent-ils à ce conseil ?
La résistance thérapeutique est rare parce qu’en mettant en œuvre cette méthode, les parents voient leur enfant immédiatement apaisé mais aussi encore plus joyeux et tendre avec eux. Deux exemples me viennent néanmoins en tête. Il y a quelques années j’ai reçu une petite fille de quatre ans à qui ses parents n’osaient pas mettre de limite. Elle jetait ainsi le contenu du sac de sa mère sur le sol et lançait chaque pièce comme autant de projectiles à travers mon cabinet. Son père avait été un enfant battu et ne pouvait pas exercer la moindre réaction de censure. Quand je leur ai expliqué le fonctionnement du «time out», ils m’ont expliqué que c’était trop violent pour eux. Plus tard, cette petite fille a été diagnostiquée TDAH (un trouble du neurodéveloppement, NDLR) mais le traitement par méthylphénidate n’a pas fonctionné. Cinq ans plus tard, le père, qui entre-temps avait entamé des études de psychologie, m’a dit qu’il regrettait de ne pas avoir suivi mes préconisations. Je pense à une autre enfant rencontrée lorsqu’elle avait trois ans. Elle criait beaucoup, ordonnait les menus, faisait des reproches en permanence à ses parents qui étaient par ailleurs eux aussi merveilleux, très tendres, mais craignaient de la mettre à l’écart. Au collège, la jeune fille est revenue me voir. Malgré la grande richesse de sa personnalité, elle était devenue très peu expressive, vivait dans un isolement relationnel et cohabitait avec des angoisses permanentes de vomir en public. Lorsque je lui ai suggéré que cette angoisse m’évoquait une crainte de déborder et d’embêter les autres, elle m’a confié «passer son temps à insulter les gens dans sa tête ». Elle avait renoncé aux relations amicales et amoureuses, faute d’avoir été outillée à la bienséance. Elle m’a dit regretter de ne pas avoir reçu plus de limites dans son enfance…

Comprenez-vous que ce genre d’hypothèse psychanalytique (l’envie de vomir corrélée au manque de limites) puisse laisser sceptiques ceux pour qui la psychanalyse n’est plus un référentiel théorique pertinent ?
Et pourtant le soin psychanalytique reste inégalé en clinique infantile. Dans le cas de cette jeune fille, la crainte du débordement était la bonne hypothèse et l’élaborer, lui donner des conseils pour juguler cette angoisse, mobiliser ses parents autour de la mise en place d’interdits plus clairs et encourager la création de nouveaux liens amicaux, a permis d’apaiser ses symptômes. Je suis résolument attachée à la psychopathologie psychanalytique, à son schéma de compréhension des stades de développement «normaux» des enfants et à son explication de la maladie psychique par des fixations traumatiques à ces différents stades.

Et le complexe d’Œdipe, il a toujours un sens ?
Disons déjà qu’on lui doit beaucoup. Il y a cent ans, le conflit psychique se posait souvent dans la confrontation entre les pulsions sexuelles et les interdits moraux. Aujourd’hui, en occident, c’est moins vrai. La nudité est tolérée, les parents se séparent, refont leur vie, affichent leurs émois amoureux, de nombreux pré-adolescents rencontrent les films pour adultes… Le conflit psychique se cristallise donc autour d’autres thèmes comme l’absence de limites, la dépendance ou la performance narcissique. Mais je considère que le complexe d’Œdipe a toujours une pertinence en tant qu’indicateur. Lorsque je surprends une érotisation des liens et des préoccupations de séduction à partir de 4-5 ans, cela me signifie que l’enfant va bien, est dégagé de toute fixation antérieure plus lourde…

La «sublimation» est l’un des concepts de Freud auquel vous faites souvent référence. Qu’est-ce que c’est et en quoi peut-il aider les parents ?
La sublimation, c’est le détournement des pulsions agressives et libidinales de l’enfant vers des directions enrichissantes : l’humour, la création… L’idée est d’orienter la pulsion dans la bonne direction, ce qui a un immense intérêt socialisant. Tout parent préférera que son enfant devienne un sportif plutôt qu’un adulte agité, un grand avocat plutôt qu’un bagarreur, etc. C’est une notion générale qui résume ce à quoi devrait mener l’éducation. Mais qui ne suffit pas à soigner les troubles. Un enfant qui bouge sans arrêt peut faire du sport sans que cela ne suffise à le canaliser.

Dans son ouvrage à paraître, Résister à la culpabilisation (Zones), l’essayiste Mona Chollet affirme que vous êtes dans la droite lignée des pédagogues noirs, ceux qui prônent des inconforts temporaires (punitions, discipline, brimades) dans le but de rendre l’enfant «fonctionnel» au risque de compromettre son bien-être. Que pensez-vous de cette accusation ? Êtes-vous réactionnaire ?
Écoutez, je suis heureuse que la société se pose des questions sur l’éducation. Mais ai-je envie d’expliquer pour la énième fois qu’envoyer Eliott dans sa chambre parce qu’il a jeté une assiette de nouilles sur la tête de son frère n’a strictement rien à voir avec la maltraitance ? Les inconforts ne se valent pas, ils sont tributaires des intentions parentales et de toute une réalité relationnelle quotidienne par ailleurs. Le soin des enfants est un métier ! Ensuite, si être réac, c’est aimer l’ordre alors oui je le suis. Moi qui n’aspire qu’à rire, câliner, débattre et danser, j’aime l’ordre non en tant que finalité mais parce qu’il permet à la tendresse, à l’intelligence et à la créativité de circuler. Si, dans une classe, l’enseignant ne fait pas respecter l’ordre, c’est la loi du plus fort. L’enjeu de la verticalité, c’est le bonheur des enfants. Aucune idéologie ne me fera dévier de cette certitude.

Par Madeleine Meteyer

Source lefigaro