Jean-Dominique Durand et le père Christophe Le Sourt, tous deux engagés dans le dialogue judéo-chrétien, s’inquiètent de la montée de l’antisémitisme en France. Ils appellent à en faire une « grande cause nationale », à travers notamment des diffusions audiovisuelles.
Notre pays sort de deux rudes campagnes électorales rapprochées. Depuis cette période, la montée de l’antisémitisme, sur tout le continent européen, et singulièrement en France, est régulièrement évoquée, sans qu’un véritable diagnostic soit posé sur cet inquiétant phénomène, et ses enjeux fondamentaux, afférents à notre société, suffisamment expliqués.
Depuis l’enlèvement et l’assassinat d’Ilan Halimi en 2006, ce sont onze de nos concitoyens, dont trois enfants, qui ont été assassinés uniquement parce qu’ils étaient juifs. Un chiffre terrifiant et unique en Europe ! Certains des meurtriers, pour expliquer leurs crimes, ont fait référence au conflit israélo-palestinien, tout en se réclamant d’un islamisme radical. C’est dire notre responsabilité collective dans l’usage des mots, des slogans, ou dans l’éventuel affichage de drapeaux. Ils sont autant de messages subliminaux qui peuvent, à la longue, avoir de graves et durables effets sur de jeunes ou fragiles esprits.
Une augmentation vertigineuse
Oui, l’actuelle montée vertigineuse des actes antisémites doit nous alarmer. Comment, en particulier, ne pas être atterré et révolté par le récent viol d’une enfant de 12 ans, puis, quelques jours plus tard, par les agressions physiques de six jeunes adolescents ? Une agressivité tellement décomplexée que les sociologues la qualifient d’« antisémitisme d’atmosphère ».
Or, comme le rappelait Liliane Apotheker, présidente du Conseil international des chrétiens et des juifs (ICCJ), « il ne faut jamais sous-estimer la force inouïe de la haine antisémite. Elle s’affirme toujours de la manière la plus virulente quand les démocraties s’affaiblissent. Une haine à nulle autre pareille qui s’appuie sur un imaginaire débridé que rien n’entrave, affirmant depuis toujours, à propos du peuple juif, une chose et son contraire ». (1)
Dans ce contexte, il convient d’entendre l’interpellation du grand rabbin de France, Haïm Korsia, qui propose, régulièrement, avec d’autres personnalités du judaïsme en France, mais sans grand écho dans les médias ni de relais chez les politiques, de faire de la lutte contre l’antisémitisme une « grande cause nationale ».
De l’antisionisme à l’antisémitisme
En quoi, précisément, consiste une telle démarche ? Initié en 1977, ce label gouvernemental est attribué, chaque année, à une campagne d’intérêt public autour d’un thème, avec, à la clé, des initiatives médiatiques. Cette démarche, qui peut rassembler plusieurs organismes, permet de donner de la visibilité à la cause retenue grâce, entre autres, à des diffusions gratuites de messages sur les radios et les télévisions publiques. Sans oublier les possibles relais sur les réseaux sociaux, mobilisés à cette fin. Contribution d’autant plus nécessaire qu’habituellement les grandes sociétés informatiques ne font pas tout le nécessaire pour endiguer la haine véhiculée par la cybernétique.
Faire de la lutte contre l’antisémitisme une grande cause nationale est une intuition juste qui mérite d’être prise en considération et largement soutenue. L’antisémitisme, qui est polymorphe dans son expression, et qui se répand comme un virus aux multiples variants, dont le dernier avatar est l’antisionisme, est un indicateur essentiel pour la société. Il est, de façon séculaire, le signal inquiétant de l’inaptitude d’une société à accepter l’altérité. Un peu comme un sismographe qui annonce les éventuels périls à venir. Et là, il y a péril en la demeure.
Si l’antijudaïsme et l’antisémitisme sont un drame pour les juifs, c’est la Nation tout entière qui est visée dans sa richesse et dans sa cohésion. L’antisémitisme est un problème pour tous, et particulièrement pour les chrétiens. C’est ce que rappelaient les évêques de France dans leur déclaration du 1er février 2021. Lutter contre l’antisémitisme, c’est non seulement être solidaire de nos concitoyens juifs, mais c’est aussi servir le bien commun car, in fine, c’est se prononcer sur ce qui confère à tout individu sa dignité de personne humaine.