Du genre réfléchi, Tomer Sisley l’acteur joue les super-héros à la française dans l’adaptation de la BD «Largo Winch».
Voici Tomer Sisley, idéal masculin jamais évalué avec beaucoup d’attention, comme si les futilités de cet ordre n’étaient pas dignes de notre hauteur de vue et devaient rester un passe-temps pour midinettes simplettes et autres cougars hagardes. Et pourtant, à décrypter les points forts apparents et les faiblesses cachées sous fossette de Tomer Sisley, il est possible que l’acteur pré-quinqua ait tout du sex-symbol pas tartignolle et de l’agrégateur de faveurs pas seulement féminines. Bouclé, le cheveu est fait d’étoupe goudronnée et semble pouvoir brûler comme de l’amadou. Veloutée, la peau métissée est inassignable à une origine précise. Noisette, le regard est moins incassable que prévu même s’il paraît peu tracassé. Quant au sourire exagérément engageant, il envoie par le fond toute incertitude quand l’histoire personnelle s’avérera plus compliquée et la confiance en soi plus friable.
Tomer Sisley mesure 1,83 et pèse 84 kilos, abdominaux compris qu’on voit rayonner dans le troisième volet de la franchise Largo Winch. De là à faire de lui un rouleur de mécaniques goguenard et amateur de fariboles, n’y pensez pas. Il n’est pas «timide» comme le présentera l’une de ses proches, mais il parle lentement, menant la sarabande réflexive à son rythme. Il répond précisément sans se défausser, ne sautant pas du coq à l’âne. Et la bonne heure passée face à lui est surprenante, quand on s’attendait à plus de négligence décontractée et de je-m’en-foutisme gentiment arnaqueur.
Humour marketing
On n’avait pas réalisé que Tomer Sisley avait fait du stand-up. C’était dans les années 2000, et il était l’un des pionniers d’un registre en voie de développement. Il ne fait pas mystère d’être monté sur scène pour être repéré. Il dit : «C’était une stratégie marketing pour qu’on m’identifie.» Il ajoute : «J’en avais marre qu’on ne me propose que des rôles de voleurs d’autoradio dans des séries comme Navarro.» Et lui qui n’est pas enfant de la balle d’insister sur son souci de défricher sa voie d’accès en solo. Ensuite, il nous a un peu perdu dans une allégorie à base de pommes Pink Lady en têtes de gondole dont on a surtout retenu la morale : «Pour que les gens vous achètent, il faut qu’ils vous voient.»
Sportif à risques
On pensait que Tomer Sisley était un fan de sport tous azimuts. Il multiplie les pratiques extrêmes, mais s’ennuie à périr quand il s’agit d’assister à des compétitions arbitrées à coups de sifflet. Et il faut que sa tribu recomposée forte de trois ados le tire par la manche pour qu’il regarde les Bleus dépérir à l’Euro de foot. Môme, sautant de son lit ou d’une balançoire, il jubilait quand il se retrouvait en apesanteur. Depuis, il tient à sniffer tant et plus ces bouffées d’adrénaline. Il fait de la chute libre, du parapente, de la plongée et des sports de combat. Il skie tout droit dans des pentes très dures. A jouer au plus malin, il a bien failli finir en chaise roulante, sauvant par miracle sa colonne vertébrale. Il conduit vite et aurait volontiers fait carrière automobile. Au quotidien, il roule en Ariel Atom, bolide sans pare-brise.
Super-héros émotif
On se doutait bien que Tomer Sisley ne se satisferait pas d’un destin prémâché. S’il apprécie de faire ses cascades lui-même, le comédien ne veut pas être réduit à ses performances physiques et à une prestance muette. D’où sa prise de distance avec Jean-Paul Belmondo, antique professionnel du muscle heureux et star du boumbadaboum pas compliqué. Il lui préfère Burt Lancaster, tôt découvert dans Vera Cruz, ou surtout Robert Duvall, le consigliere du Parrain, et puis aussi Benicio Del Toro ou Sean Penn. Malgré tout, Sisley est l’un des rares Français à endosser la tunique de super-héros, panoplie peu portée dans ce pays et méprisée par la critique. Il y injecte une fragilité qui lui est propre. Cette fois, après divers vagabondages en séries télé d’un niveau varié, il campe un nouveau Largo Winch, solitaire et tourmenté, héritier rétif d’un empire financier en proie aux affres de la paternité. Ce qui l’éloigne de Jean Dujardin, ricanant OSS 117, mais aussi de Daniel Craig, dernier James Bond mélancolique. Tomer Sisley, lui, paraît trop accessible, trop agréable, trop arrangeant pour sombrer dans de tels abîmes métaphysiques.
Héritier contrarié
On se souvenait vaguement que le jeune Tomer avait un cursus familial compliqué. Chercheurs en dermatologie, ses parents sont israéliens. Du côté paternel, ils viennent de la Biélorussie et de la Lituanie. La lignée maternelle renvoie au Yémen. Ce qui permet à Tomer Sisley de se dire «issu d’un mariage mixte», les cultures et les gènes étant fort éloignés malgré la commune origine juive. Le gamin naît à Berlin. Ses parents se séparent. Il dit n’avoir respiré qu’à ses 9 ans quand il a quitté sa mère pour rejoindre son père à Nice. Et d’expliquer : «Sans lui, je ne serais pas qui je suis.» Ce dernier lui aurait transmis «persévérance, confiance en soi et souci d’autonomie».
Judéité réanimée
On avait peu d’idée de l’appartenance identitaire de Tomer Sisley. Longtemps, il est resté loin des feux de la rampe communautaire. Et puis le massacre du 7 Octobre lui est tombé dessus : «Je me le suis mangé pleine face. Alors, je suis sorti du bois et j’ai été parler sur BFM.» Pourtant, il ne se voit pas «comme un fer de lance du Crif». Il critique ardemment Nétanyahou et évoque le drapeau palestinien accroché dans la chambre de son frère qui vit en Israël. Ses grands-parents appartenaient à un milieu ultraorthodoxe. Non croyants, ses parents l’ont élevé loin des traditions. Il a continué ainsi, tout en sacrifiant aux rituels de base. Il dit : «Ma judéité, je ne la revendique pas, je ne la brandis pas, je n’en parle pas.» Sauf quand la tragédie l’y oblige.
Centrisme vacillant
On se disait que Tomer Sisley allait botter en touche quand il s’agirait de politique française. Pas du tout. Aux dernières législatives, il a voté pour le candidat Ensemble du VIIIe arrondissement de Paris où il réside. Soucieux «d’éviter les extrêmes», il rend hommage à Gabriel Attal, Premier ministre démissionnaire. Tomer Sisley se méfie des «convictions trop arrêtées» et concède «n’être certain de rien». Mais il n’a pas l’humilité feinte de ceux qui font l’éloge de la nuance pour mieux assurer leur prise sur les vacillants. D’autant que lui aussi se sait oscillant.
Passions, mode d’emploi
On ne l’imaginait pas bricoleur. Pourtant Tomer Sisley peut s’abîmer dans la lecture d’un mode d’emploi afin de réussir à réparer un robot de piscine comme les vannes de son moulin normand. Il a des capacités de concentration «dignes d’un psychopathe» et peut s’abstraire de son environnement immédiat jusqu’à la résolution du problème. Ce joueur d’échecs aime aussi le Mastermind. Mais sa passion la plus immodérée va à son épouse. Ils se sont connus jeune, se sont retrouvés il y a quelque temps. Elle est communicante et créatrice d’événements. Et l’on découvre que Sisley, d’habitude peu exhibo de sa vie privée, peut passer outre pour tresser des compliments à cette «femme extraordinaire» et publier sur Instagram des éloges aussi flambants qu’inattendus.
14 août 1974 Naissance à Berlin.
1983 Arrivée à Nice.
2009 Largo Winch 1.
31 juillet 2024 Largo Winch 3 (Olivier Masset-Depasse).
par Luc Le Vaillant