Un mois après le premier tour des élections législatives, lors desquelles la question de l’antisémitisme a été l’un des thèmes majeurs de la campagne, et confrontés à une très forte hausse des actes antisémites, les Français de confession juive s’interrogent sur leur avenir en France.
« Il est clair aujourd’hui qu’il n’y a pas d’avenir pour les Juifs en France ». Dans le Jerusalem Post, le 1er juillet, Moshe Sebbag, le grand rabbin de la Grande Synagogue de Paris, a invité « tous les jeunes » à partir en « Israël ou dans un pays plus sûr ». Des propos qui ont fait polémique et auxquels le rabbin Émile Ackermann a répondu, le 11 juillet, dans publiée dans La Croix. « Nous resterons car nous croyons que, bien que la France ne soit pas parfaite, elle est à l’image de l’homme : perfectible », plaidait-il.
Ce débat illustre le désarroi de beaucoup de Français de confession juive, alors que la France connaît depuis le début de la guerre entre le Hamas et Israël et que la question de l’antisémitisme a « Je suis fils d’immigré et binational. Les premières élections que j’ai vécues, Marine Le Pen arrive deux fois d’affilée au second tour et cette année c’est Jordan Bardella qui a remporté les élections européennes… Je me suis déjà demandé si j’avais ma place en France , explique Raphaël, 23 ans, étudiant parisien engagé à gauche et soutien à la cause palestinienne. Je sais qu’une partie de la communauté juive considère que le RN n’est plus une menace mais pour moi c’est plus qu’une insécurité de penser que ces gens peuvent arriver au pouvoir demain. »
Les élections législatives ont encore renforcé le trouble de la communauté juive « déboussolée » depuis l’attaque meurtrière du 7 octobre 2023, qui se questionne fortement sur son avenir en France.
D’autant que certains événements, comme l’incendie de la synagogue de Rouen (Seine-Maritime) le 17 mai ou le d’une enfant de 12 ans, le 15 juin, à Courbevoie (Hauts-de-Seine) ont accru le climat d’angoisse. « Ma fille de 13 ans ne sort pas si elle n’est pas accompagnée par des copines. J’en deviens paranoïaque », confie Myriam, 46 ans, avocate en Île-de-France. Elle attend les résultats de l’élection présidentielle de 2027 avant d’envisager peut-être de faire son alya (montée), terme désignant le fait pour un juif de rejoindre Israël. Pour elle, il ne sera pas religieux mais « sécuritaire ».
« Quitter la France serait déchirant »
Comme elle, certains Français de confession juive sont tentés d’émigrer en Israël. Le 16 juillet, l’Agence juive et le ministère de l’Immigration et de l’Intégration d’Israël affirmaient que le nombre de dossiers ouverts, depuis le début de la guerre entre Israël et le Hamas, concernait 6 440 personnes, contre 1 057 personnes à la même période un an auparavant.
Pour Emmanuel Sion, le directeur de l’Agence juive pour la France, plus qu’un « déclencheur », la montée de l’antisémitisme et les élections ont été un « accélérateur » . « Les gens qui viennent nous voir aujourd’hui sont des gens qui pensaient déjà partir. Est-ce que toutes les personnes qui ouvrent un dossier aujourd’hui partiront ? Je suis persuadé que non » , explique-t-il, soulignant que ces départs se préparent. Sans s’appesantir sur les chiffres, il observe un « sursaut » des demandes, notamment de familles avec enfants.
C’est le cas de David (1), 39 ans, qui vient de déposer, il y a quelques semaines, un dossier avec sa femme et leurs quatre enfants : une décision prise à « contrecœur » par ce père de famille qui travaille dans l’immobilier et qui implique de nombreux bouleversements, dont l’apprentissage d’une nouvelle langue…
« Et, c’est quand même un pays en guerre. Cela signifierait aussi envoyer mes enfants faire leur service militaire… Quitter la France serait déchirant », reconnaît-il avec regret. « Mais si je le fais, c’est pour mes enfants. Je ne vois pas d’avenir pour eux en France s’ils souhaitent vivre leur religion tout en étant intégrés dans le pays. Je ne sens pas de danger immédiat mais la situation pour les juifs s’est dégradée. Est-ce que dans dix ans ça ne sera pas pire encore ? »
Une « place difficile » pour les Juifs
Si la communauté juive avait déjà connu des vagues de départ après les attentats de 2012 à Toulouse ou après la prise d’otage à l’Hyper Cacher en 2015, un sentiment plus profond semble se manifester aujourd’hui. « C’étaient des actions terroristes, des actions ponctuelles, qui ne mettaient pas en cause la société française. Cette année, la différence, c’est qu’il y a une vraie détérioration en matière d’antisémitisme avec laquelle les gens sont en prise au quotidien », analyse l’historien et spécialiste de l’antisémitisme Tal Bruttmann.
Les responsables religieux, eux, ne veulent pas céder à la peur mais peinent à être optimistes. « Je pense que les juifs ont encore une place en France, mais une place difficile, affirme Maurice Dahan, président du consistoire israélite du Bas-Rhin. La République aujourd’hui continue de sécuriser nos lieux de prières, nos écoles, nos événements… Mais quand demain un nouveau gouvernement sera nommé, quelle sera sa position par rapport à tout cela ? »
« Je n’aimerais pas que l’avenir donne raison à Moshe Sebbag, » assure Michel Cohen-Tenoudji président du consistoire israélite de Marseille. » Mais aujourd’hui la confiance de la communauté juive est ébranlée et la réalité est que nous sommes sur une de crête. »
Fanny Uski-Billieux