Lou Pearlman, créateur des boys bands Backstreet Boys et NSync, a bâti une incroyable pyramide de Ponzi. Son parcours, où la gloire servait à attirer l’argent, est retracé en trois épisodes palpitants sur Netflix.
Comment soutirer des dollars à des particuliers désireux de se constituer un pécule substantiel avec leurs économies ? En leur proposant des rendements très élevés. À cette règle bien appliquée par Bernard Madoff, Lou Pearlman a ajouté sa touche artistique personnelle : l’utilisation de chanteurs à succès comme garantie de solvabilité. Comme tout escroc talentueux, cet homme au physique replet paraissait fort sympathique. Il faisait preuve d’une attention sans faille envers ses futurs clients et son boniment inspirant donnait confiance aux réticents.
Succes story à l’américaine
La série documentaire de Netflix s’ouvre par des paillettes et le récit d’une success story à l’américaine. Cousin germain du chanteur Art Garfunkel, Lou Pearlman était le père, presque au sens propre selon certains membres, des Backstreet Boys et des NSync. Ces groupes ont enchaîné les hits à la fin des années 1990. Celui qui était surnommé le gourou des boys bands avait pourtant entamé sa carrière dans le milieu aérien.
Les avions le fascinaient depuis son enfance, passée à deux pas de l’aéroport de Flushing, à New York. Sa première entreprise affrétait des dirigeables publicitaires, qui se sont crashés les uns après les autres. Il a aussi fondé une compagnie baptisée TransContinental Airlines, dont il déclinera le nom dans toutes ses sociétés, d’une maison de disques à une chaîne de pizzerias. Cette compagnie aérienne a constitué la base d’une arnaque de haut vol.
En quête de réussite et de reconnaissance, Lou Pearlman a déménagé de New York à Orlando, en Floride, et flairé un filon juteux lorsque le premier boys band moderne, New Kids on the Block, a amassé des fortunes du milieu des années 1980 au début des années 1990. Il a donc investi 3 millions de dollars (à peu près l’argent reçu des assurances à la suite des crashs de ses dirigeables) pour monter les Backstreet Boys en recrutant cinq inconnus.
Résultat : des millions de disques vendus à partir de 1995. Comme il l’explique dans son livre Bands, Brands and Billions (Des groupes, des marques et des milliards), publié en 2002, Lou Pearlman a voulu étouffer la concurrence : « Si les Backstreet Boys deviennent une grande marque comme Coca-Cola, quelqu’un va essayer de créer Pepsi. » Il a donc mis sur orbite son propre Pepsi avec un deuxième groupe de cinq garçons
25 ans de prison pour l’escroc
Pour NSync, ont été recrutés deux anciens du Mickey Mouse Club, JC Chasez et Justin Timberlake, 15 ans à peine. Ce nouveau succès permet à Pearlman de tirer sur la corde jusqu’à la fin de l’ère boys bands au début des années 2000. Entre-temps, il nous a infligé une pelletée de groupes oubliables et d’ailleurs oubliés (LFO, Take 5, Natural…) et même des girls bands (Innosense ou Solid HamoniE).
Sixième membre des Backstreet Boys et des NSync – il était aussi rémunéré comme tel –, le manageur demandait régulièrement à ses poulains de chanter au coin d’un bar ou d’un restaurant où il avait convié des prospects pour un investissement dans TransContinental. Sa technique : « Je crée de la confiance en disant aux gens que s’ils investissent dans notre succès, j’investirai dans le leur. » Les chanteurs n’ont jamais deviné leur rôle dans l’arnaque. En revanche, ils ont commencé à tiquer lorsqu’ils ont constaté la décorrélation entre les revenus générés par leurs prestations et la modestie des chèques touchés.
La plupart des bébés Pearlman l’ont donc traîné en justice. Ces procès ont contribué indirectement à sa chute. Cheney Mason, avocat de Lou Pearlman, a entamé des poursuites contre son client qui ne lui avait pas réglé une ardoise de 16 millions de dollars.
En 2006, le FBI a commencé à s’intéresser à l’homme d’affaires et des investisseurs ont alors voulu récupérer leur argent. En fuite, celui qui avait inventé un cabinet comptable baptisé Cohen et Siegel, du nom de deux célèbres gangsters, a été arrêté à Bali en 2007.
Poursuivi pour conspiration, blanchiment d’argent et production de faux documents comptables, Lou Pearlman a écopé de 25 ans de prison en 2008. Il a eu la possibilité de voir sa peine réduite d’un mois pour chaque million de dollars rendu, mais personne n’avait revu la couleur de son argent à la mort de Pearlman en 2016, à l’âge de 62 ans.
Un millier d’investisseurs y ont laissé un total de 300 millions de dollars, alors que des banques ont vu s’évaporer 200 millions de dollars. Quant à la fameuse compagnie aérienne censée compter 50 avions, elle n’en a jamais possédé un seul. Il semble que l’argent récolté servait surtout à préserver un fastueux train de vie.
Netflix donne la parole à… Lou Pearlman
En trois épisodes, le documentaire de Netflix ne souffre d’aucun temps mort. Le thème de l’escroquerie à grande échelle s’avère toujours attractif. Qui plus est, quand l’escroc est d’une créativité infinie et évolue dans le show-business. Soutenue par beaucoup d’images d’archives, cette histoire fascinante, peu connue de ce côté-ci de l’Atlantique, bénéficie également du témoignage de nombre de protagonistes.
Chris Kirkpatrick (NSync), A. J. McLean et Howie Dorough (Backstreet Boys), l’avocat Cheney Mason, l’assistante personnelle de Lou Pearlman, des employés et des amis éclairent sur l’étonnant arnaqueur, qui a surtout agi en solo. Jusqu’au bout, tout en ayant été informés de la vérité, certains de ses proches lui sont restés attachés et gardent la nostalgie d’une grande époque.
Sur la forme, le documentaire se démarque en exploitant un nouveau procédé aussi techniquement remarquable que journalistiquement discutable. À partir de vraies images d’une interview de Lou Pearlman, sa voix a été générée artificiellement et ses lèvres synchronisées pour mettre dans sa bouche a posteriori des phrases qu’il a réellement écrites dans son livre.
Pour réaliser cette prouesse, les images ont été un peu dégradées mais, avec les progrès rapides de l’intelligence artificielle, ce genre de pratiques pourrait se multiplier assez vite et passer inaperçus auprès d’un public non averti. Au moins, l’abonné de Netflix est alerté au début du documentaire.
Pas sûr que des productions moins scrupuleuses fassent de même. Plus que jamais, gare aux arnaques.
Philipe Chesnaud