Ce crime antisémite est né dans un univers mental, dans des mots que ces mineurs entendaient. Où l’on dit résistance au lieu de terrorisme, libération à la place de pogrom, et justice à la place de massacre.
Mis en examen des chefs de viol aggravé, d’agression sexuelle en réunion, de tentative d’extorsion, de violences commises en réunion sur mineur de 15 ans et à raison de la religion, d’atteinte à l’intimité de la vie privée, d’enregistrement ou transmission de l’image d’une personne présentant un caractère sexuel, de menace de mort réitérée, et d’injure à raison de la religion. Cela fait beaucoup (trop) pour deux mineurs de 13 ans – le troisième de 12 ans ayant été placé sous le statut de témoin assisté concernant les faits de viols et mis en examen pour tout le reste. Rien qu’à écrire les termes juridiques, on est pris de haut le cœur, tant ils soulèvent d’insoutenables images.
Justement, les images. Les gamins qui ont violé et torturé – car allumer un briquet et l’approcher de la joue d’une jeune fille de douze ans et menacer de la brûler, avant de la violer, en la menaçant de mort, le tout durant une longue heure, cela relève de la torture – ont tout filmé, sans honte, avec fierté. Ils ont même envoyé les images aux copains dans la foulée. Comme une preuve et un trophée. Comme les images des recruteurs de Daech, qui, sur fond de musique entêtante, montage hollywoodien, autodafé en pagaille, décapitations en majesté, barbarie érigée en règles de l’art, et promesses de sexe criminel, de viol sur mécréantes, de viol de punitions, attiraient vers le nouveau califat des jeunes gens élevés dans le confort civilisé de l’Occident. Comme les images des pogroms commis par les terroristes du Hamas le 7 octobre, filmés par les terroristes, ces corps de femmes brutalisées et violées, ces femmes exhibées comme des trophées, ces femmes déshumanisées parce que juives, qui ne méritent donc que ce dévoilement public et les outrages consécutifs – péchés absolus pour les « vraies » croyantes couvertes, cachées aux regards, préservées.
Ces trois adolescents de 12 ans, 13 ans, ont commis un crime, qui est né dans leur environnement, dans les mots qu’ils entendaient, dans ces mots qui ont rendu « normal » le viol, la torture et les menaces de mort sur une jeune fille de 12 ans parce que juive. Et ils ont agi par mimétisme. Je suis certaine qu’ils ont vu les images des viols et tortures, des massacres des pogroms du 7 octobre et qu’ils n’ont pas eu d’adultes autour d’eux pour fermement les dénoncer, pour désigner ces actes comme étant « mal ». Au contraire, ils ont entendu résistance à la place de terrorisme, libération à la place de pogrom, justice à la place de massacre. Parce que les adolescents sont dorénavant sous perfusion d’images qu’ils sont incapables de hiérarchiser, parce que la brutalisation du langage, des corps dans l’espace public leur offre un modèle à imiter, sans qu’aucune autorité leur désigne le bien et le mal. Parce que nous sommes là au cœur de la décivilisation. Le vernis civilisationnel craque, la sauvagerie s’installe, la barbarie est justifiée parce qu’il faut venger – les pauvres des riches, les Palestiniens des juifs, les femmes des hommes, les LGBT des hétéros, l’Islam de l’Occident. Le conflit permanent.
La France insoumise et à sa suite une gauche toute entière soumise sont en grande partie responsables de la normalisation de la brutalité, de la violence érigée en méthode, du chaos comme arguments politiques. Les sous-entendus antisémites quotidiens, qui se transforment instantanément en actes antisémites dans la rue, dans les écoles, dans les maternelles, dans les lycées, dans les universités, dans les écoles d’élites, la déshumanisation continue des juifs depuis le 7 octobre, participent de cet immonde viol. Mais, l’antisémitisme meurtrier n’a pas attendu les pogroms en Israël pour exister sur le sol français. Ilan Halimi, Jonathan Sandler, Arieh Sandler, Gabriel Sandler, Myriam Monsonego, Mirelle Knoll, Sarah Halimi, Yohan Cohen, Yoav Hattab, Philippe Braham, François-Michel Saada. Tous sont morts parce que juifs.
Concurrence victimaire mortifaire
On meurt en France d’être juif. Et parce que la France, toute la France, n’a pas été à la hauteur de la gravité et de l’horreur de ces crimes antisémites, ces crimes antisémites ont pu se reproduire. Parce que la marche contre l’antisémitisme n’a pas réuni tous les Français, en premier lieu le président, parce que, par peur, par concurrence victimaire mortifère, les instances plus ou moins représentatives des musulmans de France ont refusé de marcher avec la République, l’antisémitisme a continué à prendre une place quasi institutionnelle, une place justifiée par « les massacres qui se passent à Gaza » qui permet, dans une tribune de la honte, à un avocat et un historien de nous expliquer, sans trembler, sans sentir vaciller leur humanisme, qu’il existe un bon antisémitisme et un mauvais antisémitisme.
Au lendemain du viol abject d’une jeune fille de 12 ans parce que juive. Ils écrivent, persuadés d’être les archanges du Bien, « qu’il n’y a pas d’équivalence entre l’antisémitisme contextuel, populiste, électoraliste, utilisé par certains membres de La France insoumise, et l’antisémitisme fondateur, historique et ontologique du Rassemblement National ». Il existe donc un antisémitisme excusable et l’autre non. Et ils tartinent des pages et des pages, des mots s’enchaînent dans un tourbillon de déni, de malaise, de mensonge, pour nous expliquer qu’être de gauche suffit à expliquer toutes les dérives antisémites et qu’il n’est finalement pas si grave de sacrifier une jeune fille de 12 ans, violée, torturée, meurtrie, sur l’autel de la victoire de la gauche mal-unie.
Il y a quelque chose de pourri dans le royaume de France. Ce quelque chose de pourri qui empêche les membres de La France insoumise de dire, d’écrire : « crime antisémite », préférant « crime raciste antisémite », à la suite du gourou Mélenchon, comme si cela leur écorchait la bouche d’épeler « antisémite ». Il y a quelque chose de pourri dans le royaume de France qui voit un groupe d’hommes politiques se réunir dans une salle et débattre durant huit heures pour savoir comment formuler les attaques terroristes d’un groupe terroriste et finir par pondre – et fièrement qui plus est : « massacres terroristes commis par un groupe théocratique ». La nausée. Ce quelque chose de pourri dans le royaume de France c’est la nausée. La nausée devant les circonvolutions de politiques infâmes capables du pire, même pas foutu de faire silence quelques heures, quelques jours devant le martyr d’une gamine de 12 ans, violée, torturée, parce que juive. La nausée devant des manifestations qui ne réunissent en grande majorité que des Français juifs, la nausée devant ce qui est devenu la norme dans la société française : ne compatir, ne souffrir que pour les siens. La nausée devant un pouvoir représenté par un président incapable d’apaiser, de réunir, de solidariser toutes les composantes de la Nation, préférant son aventure personnelle à l’avenir d’une nation meurtrie.
Abnousse Shalmani