Faire barrage à l’antisémitisme avant tout, par Serge July

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L’antisémitisme matriciel du FN, aujourd’hui RN aux portes du pouvoir, n’a jamais pu s’estomper totalement, en dépit des ripolinages de façade. De l’autre bord, et dans une mesure nettement moindre, le flirt sémantique de certains cadres de LFI, dont Jean-Luc Mélenchon lui-même, avec l’antisémitisme, disqualifie ce dernier de toute candidature au poste de Premier ministre.

Hannah Arendt dans la préface des Origines du totalitarisme : «Depuis que l’affaire Dreyfus et la menace politique qu’elle comportait sur les droits des juifs français avaient crée une situation sociale dans laquelle les juifs jouissaient d’une notoriété ambiguë, l’antisémitisme était devenu en Europe un mélange inextricable de motifs politiques et de facteurs sociaux. […] Le philosémitisme social finissait toujours par ajouter à l’antisémitisme politique, ce mystérieux fanatisme sans lequel l’antisémitisme ne serait certainement pas devenu le meilleur des slogans pour rassembler les masses. Tous les déclassés de la société capitaliste se trouvèrent prêts à s’unir, à créer leurs propres organisations regroupant la populace. Leur propagande et l’attrait qu’ils exerçaient en accueillant ouvertement des criminels et son vice reposaient sur cette idée : une société qui s’était montrée prête structurellement à accepter le crime sous la forme du vice serait bientôt prête à se laver de son vice en accueillant ouvertement des criminels et en commettant publiquement des crimes.»

L’antisémitisme du père

Parmi les fondateurs du Front national, en 1972, Jean-Marie Le Pen n’était pas le pire. Il avait torturé des militants du FLN en Algérie sous l’uniforme des paras, déploré que les attentats contre De Gaulle aient échoué, mais à côté d’anciens Waffen SS, d’anciens collabos en veux-tu en-voilà, d’anciens miliciens pétainistes, des fans d’Edouard Drumont – l’auteur de la France juive qui a lancé médiatiquement l’affaire Dreyfus – et des praticiens de la barre de fer qui avaient «ratonné» le Quartier latin pendant des années pour en chasser les étudiants de gauche, il ne faisait pas le poids. Ils écoutaient tous les chants nazis avec émotion, mais le patron du FN en avait lui surtout fait un commerce. Mais si le père Le Pen a bien contre vents et marées réorienté ce cénacle néofasciste vers les urnes, son antisémitisme à lui, avéré, condamné par la justice, était plutôt une affaire de jeux de mots, du genre «Durafour crématoire» (Michel Durafour fut ministre de François Mitterrand entre 1988 et 1991).

Marine Le Pen a condamné ces propos. Louis Aliot avait jugé cet humour «consternant». Depuis, la fille a réussi à virer son père. Indispensable mais insuffisant. La formation par exemple du robot Bardella reste très imparfaite, lui qui avait nié dans une interview l’antisémitisme du fondateur du FN.

La division Martel et la Citadelle sont de sortie

Ayant beaucoup abusé de l’antisémitisme médiatique, il était logique pour le FN-RN, s’approchant du pouvoir, que ce passé maudit resurgisse. Les succès électoraux de la formation d’extrême droite s’accompagnent de manière souterraine de la recrudescence d’associations néofascistes. La mouvance identitaire comprendrait selon le ministère de l’Intérieur 3 300 personnes, dont 1 300 fichées S. Nous avons eu un avant-goût de cette résurgence avec l’expédition punitive de Romans-sur-Isère après la mort du jeune Thomas à Crépol. Parmi les slogans : «Islam hors d’Europe» et «la rue, la France, nous appartient». Deux organisations, la Division Martel et la Citadelle, y ont pris part. Ces deux organisations identitaires ont été dissoutes illico presto par le gouvernement. La Division Martel a repris le nom d’une organisation terroriste des années 70 qui s’attaquaient dans le midi de la France aux immigrés et qui aurait fait 7 morts et 50 blessés. Elle est également réputée avoir assassiné Jean de Broglie, un des négociateurs des accords d’Evian, Henri Curiel qui avait beaucoup aidé le FLN algérien, mais aussi Pierre Goldman, qui avait été à la tête d’un service d’ordre antifasciste. Ces assassinats auraient été commis sous la fausse identité «Honneur de la police». Le Roman vrai d’un fasciste français, biographie d’un ancien policier, René Resciniti de Says, mort en 2012, raconte cette histoire (1).

Est-ce que quelqu’un peut raconter à M. Klarsfeld, que j’ai tant admiré, l’histoire de ces nouveaux protecteurs ?

Au XIXe siècle, l’antisémitisme a beaucoup frappé. Il accompagne en France le développement du capitalisme. On n’oublie pas que les pionniers du socialisme, de Fourier et Toussenel aux blanquistes, associaient fréquemment les juifs à la banque. Les sociaux-démocrates allemands appelleront ça le «socialisme des imbéciles». Il faudra l’affaire Dreyfus pour que le grand Jaurès change de discours à ce sujet, lui qui avait déclaré : «L’œuvre de salubrité socialiste culmine dans l’extirpation de l’être juif.» Jaurès deviendra un dreyfusard décisif et un grand socialiste.

On n’oublie pas que Paul Rassinier, qui fut brièvement un député socialiste en 1946, aura été le père du révisionnisme sur l’extermination des juifs. Comme le remarque à juste titre l’historien Henri Rousso, alors qu’«aucun responsable de la Solution finale ne nie les faits», Paul Rassinier est l’inventeur du négationnisme.

Mélenchon sur un fil

Mais quitte à mettre l’antisémitisme au centre de la campagne, allons-y franchement. Car l’occasion de faire barrage à l’antisémitisme est historique. Et, comme le dit si bien Jean-Christophe Cambadélis, de «ne pas laisser la France à Le Pen, ni la gauche à Mélenchon». Car Jean-Luc Mélenchon joue lui aussi avec les mots et leurs sous-entendus. Il l’a fait contre la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, qui est juive et qu’il a accusé de «camper à Tel-Aviv pour encourager le massacre», phrase exemplaire de la méthode allusive utilisée par le leader insoumis. L’avocate palestinienne Rima Hassan, qui siège pour LFI au Parlement européen, à la différence de Mélenchon, a bien qualifié l’attaque du Hamas du 7 Octobre de «terroriste», mais c’est pour mieux traiter «Israël d’Etat terroriste depuis 1948, depuis sa création», et de répéter sans cesse avec délectation la formule exterminatrice «de la rivière à la mer». Jean-Luc Mélenchon, toujours, considère que «l’antisémitisme en France est résiduel». Il est donc inutile de prendre des précautions.

Familier de Lénine, de Trotski, de Che Guevara, d’Hugo Chávez et, j’allais l’oublier, de Pierre Lambert – le fondateur de cette secte trotskyste «brutalisante» lambertiste qui avait réussi à infiltrer le syndicat Force ouvrière et le Parti socialiste –, Jean-Luc Mélenchon, passé au populisme, se veut le protecteur des banlieues. Une stratégie qui lui permet de faire élire de nombreux députés sans lesquels il ne pourrait pas ambitionner de devenir Premier ministre ou président et de répéter inlassablement devant sa glace «j’ai l’intention de gouverner ce pays». Une stratégie qui a aussi comme conséquence de voir les Français, dans tous les sondages, considérer Jean-Luc Mélenchon plus effrayant que Marine le Pen. Il fallait le faire ! Un exploit qui a priori devrait sans la moindre discussion éliminer le patron de LFI de la course à Matignon… Si on pouvait éviter ça au pays en même temps que l’installation de la préférence nationale…

(1) Le Roman vrai d’un fasciste francais, par Christian Rol, La Manufacture De Livres, 2015.

Serge July

Source liberation

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