La 47e édition de la Journée de Jérusalem a vu se réunir au domaine de Grammont une communauté juive divisée sur la question du vote pour les législatives.
Chaque année, la communauté juive de Montpellier célèbre Jérusalem lors d’une journée de festivités organisée au domaine municipal de Grammont. Mais ce dimanche, pour cette 47e édition, les rangs se révèlent clairsemés. Certains, dit-on, ont eu peur de venir, préférant «ne pas s’afficher comme Juifs en ce moment». D’autres auraient redouté d’éventuelles échauffourées : la veille était en effet organisée à Montpellier une manifestation propalestinienne par BDS (Boycott Désinvestissement Sanction), une organisation antisioniste très active dans l’Hérault. Des rumeurs s’invitent dans le parc de Grammont : malgré les forces de l’ordre présentes sur place, des militants de BDS pourraient-ils venir perturber cette journée ?
Marteau et enclume
Plus que les nuages menaçants qui assombrissent le ciel, le contexte politique pèse lourd sur l’assemblée. Entre la guerre à Gaza, la recrudescence d’actes antisémites et le choix qui s’offre à eux pour les législatives, les Juifs réunis ici n’écoutent que d’une oreille distraite les chants en hébreu qui devraient leur réchauffer le cœur. La question des législatives préoccupe les esprits. «Personnellement, jamais de la vie je ne choisirai le RN», annonce Michèle Bensoussan, présidente du centre culturel juif Simone-Veil, la structure organisatrice de cet événement. Elle poursuit : «Nous sommes pris entre le marteau et l’enclume. D’un côté le RN, et de l’autre une France insoumise qui attise l’antisémitisme en instrumentalisant le conflit israélien. Est-il normal que les insoumis parlent de Gaza à chaque discours ? Est-ce qu’ils parlent de ce qui se passe au Soudan ?» En cas de duel RN-Nouveau Front populaire, Michèle Bensoussan votera donc blanc. «Comme Manuel Valls», précise-t-elle. Même option pour Franck, 63 ans, profession libérale : «Les deux pôles extrêmes sont ceux du ressentiment, du déni, de la haine mais aussi de l’illusion. Les Juifs qui votent pour le RN sont aussi aveugles que les autres électeurs d’extrême droite. On a les représentants qu’on mérite.»
Pourtant, certains vont franchir le pas. Comme Joseph, 72 ans, enseignant à la retraite : «Je n’ai jamais voté extrême droite de ma vie mais là, la communauté est en péril et personne ne nous soutient, à part le RN. Je vais donc voter pour eux, même si je ne leur fais pas confiance, même si je ne les aime pas. J’ai l’impression que le monde entier a oublié ce que le Hamas a fait le 7 octobre.» Tous, ici, ont eu écho des dernières déclarations de Serge Klarsfeld. «Ses propos laissant entendre qu’il pourrait voter RN m’ont extrêmement étonnée, reconnaît Michèle Bensoussan. Je regrette profondément qu’il ait pu tenir un tel discours car il a une grande influence, il représente une référence. C’est grave.»
«Les gens ont peur»
Esther, 60 ans, profession libérale, confie que dans son entourage de nombreux Juifs disent qu’ils voteront RN au second tour, parfois même au premier. Elle-même s’y refuse : «Sous une surface lisse, le RN reste raciste et antisémite. En cas de duel, je voterai à gauche même si pour nous, Mélenchon, c’est un repoussoir absolu.» De l’avis général, le chef de file de LFI a attisé la haine «en important chez nous le conflit israélien», comme le résume Mickaël, 50 ans, qui se présente comme un militant socialiste. Lui-même s’interdit de voter le RN «qui a récupéré, de façon très paradoxale, la lutte contre l’antisémitisme». Mickaël choisira donc un candidat «au cas par cas, en fonction de son profil». Mais selon Fabrice, 67 ans, psychiatre et ancien président de la communauté juive de Montpellier, «le vote d’extrême droite risque d’être largement majoritaire parmi nous car les gens considèrent LFI comme beaucoup plus dangereuse que le RN». Et d’ajouter : «Les gens ont peur, certains pensent à partir. Moi-même, j’ai été victime de tags antisémites.» Une femme âgée raconte que sa petite-nièce a récemment été traitée de «sale sioniste» dans son lycée à Montpellier.
De fait, chacun dit connaître des Juifs désireux de quitter la France. «Certains de mes amis ont évoqué l’Espagne ou le Canada», raconte Esther. «Mon cousin voulait déjà s’installer depuis quelque temps en Israël. Pour lui ce projet s’accélère», affirme Franck. Mickaël s’interroge à voix haute : «Des gens qui veulent quitter la France pour aller dans un pays en guerre, ça questionne énormément…»