Figure de l’escroquerie géante à la TVA sur le marché du carbone, Marco Mouly devait être jugé en comparution immédiate hier au tribunal de Paris. Le parquet le soupçonne d’avoir dissimulé les revenus provenant de son livre et de ses réseaux sociaux pour ne pas régler ses dettes judiciaires. L’audience a finalement été renvoyée au 3 juillet prochain.
« J’espère que tu vas me défendre cette fois-ci, hein ? » A peine arrivé dans le box des accusés, Marco Mouly, tout de noir vêtu, une minerve autour du cou, apostrophe Fabrice Arfi, le journaliste vedette de Mediapart installé sur le banc de la presse, auteur du livre « D’argent et de sang » (Seuil, 2018) sur l’arnaque à la taxe carbone, dont est inspirée la série éponyme de Canal+. « Tu vas me défendre ? », reprend-il.
Il est aussitôt interrompu par l’huissier : « Monsieur, vous n’avez pas à communiquer avec la salle. » L’intéressé s’exécute. Du moins, le temps que l’huissier tourne le dos. « C’est un coup monté cette affaire ! », lâche-t-il alors à mi-voix aux journalistes présents.
Ce mercredi 20 juin, Marco Mouly, l’un des principaux protagonistes de l’escroquerie à la taxe carbone devenu le personnage principal des « Rois de l’arnaque », le documentaire de Netflix, devait être jugé dans le cadre des comparutions immédiates pour « organisation frauduleuse d’insolvabilité », « tentative d’escroquerie en récidive légale », « abus de biens sociaux » et recel. L’audience sur le fond a finalement été renvoyée au 3 juillet prochain devant la 11e chambre correctionnelle, plus adaptée pour ce type d’affaires. Détenu pour une autre cause depuis mars 2024, il a été placé sous contrôle judiciaire dans ce dossier.
Le parquet lui reproche d’avoir cherché à se soustraire à l’exécution de deux condamnations patrimoniales prononcées à son encontre en organisant son insolvabilité, « soit en augmentant le passif ou en diminuant l’actif de son patrimoine, soit en diminuant ou en dissimulant tout ou partie de ses revenus, soit en dissimulant certains de ses biens ». A rebours de ce que l’intéressé avait pu affirmer sur certains plateaux de télévision : J’ai déjà remboursé à peu près 87 millions d’euros. Donc je m’en sors, et je travaille très bien.
Sa première condamnation date de juin 2017 par la cour d’appel de Paris : une peine de huit ans de prison (effectuée à ce jour), assortie d’une amende d’un million d’euros et de l’obligation de verser solidairement avec les autres condamnés la somme de 283 300 000 euros au titre de dommages et intérêts, dans l’affaire de l’escroquerie à la TVA sur les quotas carbone. La seconde remonte à avril 2019 : trois ans d’emprisonnement avec sursis et 15 000 euros d’amendes pour des faits d’escroquerie en bande organisée datant de 1998 et 1999.
Cyril Hanouna entendu comme témoin
Dans le cadre de leurs investigations, les policiers de la Brigade de Répression de la Délinquance économique (BRDE) ont récemment entendu comme témoin Cyril Hanouna, l’animateur vedette de l’émission TPMP (C8) sur le plateau de laquelle Marco Mouly a été invité à plusieurs reprises. Ils voulaient savoir si ce dernier avait été rémunéré pour ses apparitions.
Dans ce même dossier, l’ex-femme de Marco Mouly, sa fille et la coautrice de son livre « la Cavale », sorti à l’automne 2023 chez l’éditeur HarperCollins, ont également été entendues récemment sous le régime de la garde à vue. Aucune charge n’a été retenue contre elles.
Le parquet reproche notamment à Marco Mouly d’avoir minoré ses droits d’auteur et ses droits d’exploitation dans les contrats d’édition signés pour cet ouvrage mais également pour le second, « l’Arnaque », en cours d’écriture aux éditions Plon. Une somme de 5 000 euros aurait d’ailleurs été saisie sur les comptes d’HarperCollins.
Selon le ministère public, Marco Mouly aurait également dissimulé une autre partie de ses revenus provenant de ses posts Instagram où « Marco l’élégant » est suivi par 216 000 followers. Il aurait ainsi signé un contrat relatif à cette activité d’influenceur avec l’agence de Magali Berdah et de son mari, Stéphane Teboul, mais les revenus auraient été perçus sur un compte appartenant à son ex-femme. « Je n’ai jamais travaillé avec Magali Berdah. Son mari m’a fait un prêt de 5 000 euros. C’est acté chez notaire », se défend Marco Mouly sur ce point.
« Le psy, il aime bien parler avec moi »
Mardi 18 juin, Marco Mouly avait été sorti de sa cellule de la prison de la Santé à Paris pour être placé en garde à vue dans le cadre d’une enquête ouverte en 2023, avant d’être renvoyé au terme d’une audition de quatre heures vers les comparutions immédiates. Mais en voyant arriver le volumineux dossier dans un carton, la présidente du tribunal fait la moue. Impossible de juger l’affaire ce jour. Le fond de l’affaire sera donc abordé le 3 juillet prochain par une autre juridiction.
Restait donc à trancher sur son éventuel placement en détention provisoire ou son contrôle judiciaire dans l’attente du jugement. La magistrate évoque ses conditions de détention actuelles [il est actuellement détenu pour une autre cause depuis mars 2024, NDLR]. La minerve ? « C’est à cause du lit de la prison », répond-il.
La présidente remarque qu’il voit régulièrement un psychologue :
« Oui, j’adore. J’y vais tous les deux jours, répond Marco Mouly.
– Vous avez de la chance, beaucoup de détenus n’arrivent pas à obtenir de rendez-vous.
– Pourquoi, j’ai pas le droit ? C’est le psy qui me demande. Le monsieur, il aime bien parler avec moi. A chaque fois que je vais en prison, les psys aiment bien discuter avec moi.
– Vous aussi visiblement ?
– Madame la présidente, il n’y a pas de vraies conversations en prison. »
« Un job chez Amazon »
On passe ensuite à la question d’une éventuelle activité professionnelle en cas de remise en liberté. Marco Mouly assure avoir trouvé un travail « chez Amazon » payé 4 000 euros par mois. En définitive, il s’agit plus précisément d’assurer la communication d’une entreprise de l’Est de la France vendant les colis non distribués. Il assure également avoir signé un contrat pour monnayer ses audiences sur les réseaux sociaux : Ça va commencer à tomber. J’ai fait des vidéos à 12 millions de vues.
Le procureur de la République, lui, se montre plus sceptique sur ses garanties de représentation : « Vous avez quelqu’un qui nous assure avoir un engagement réel mais qui ne connaît ni le nom de son employeur ni le montant de son salaire [3 000 euros et non 4 000, selon le magistrat, NDLR]. » Par ailleurs, il considère que le passé de l’intéressé ne plaide pas en sa faveur : « Il y a un risque de fuite en cas de remise en liberté. Cela fait partie de son mode de fonctionnement, à tel point qu’il a appelé son livre “la Cavale”. » En mars dernier, il avait également annoncé à Mediapart prendre la fuite après la révocation de son sursis avant de finalement se rendre trois jours plus tard. « J’ai eu la procureure au téléphone, elle m’a dit : “Monsieur Mouly, présentez-vous”. J’ai répondu : “Avec plaisir !” », assure Marco Mouly à propos de cet épisode, sans qu’on soit obligé de le croire sur parole.
Community manager dans une société fictive
Ses avocats, eux, estiment que leur client a déjà été jugé dans cette affaire : « Il n’est pas détenu pour une autre cause. Il est détenu pour la même cause », considère Me Philippe Ohayon.
Le 13 mars dernier, à l’aune de l’enquête de la BRDE, une juge d’application des peines avait en effet ordonné la révocation de son sursis partiel à hauteur de dix-huit mois dans sa condamnation datant de 2019. La magistrate avait considéré que l’intéressé n’avait pas respecté plusieurs de ses obligations. Il lui restait alors à régler 11 600 euros sur son amende. L’intéressé n’avait plus effectué aucun versement depuis 2022.
Quant à son travail de community manager chez I Trade, il s’est avéré fictif. Lors d’une descente au supposé siège de cette société de commerce de gros, les policiers étaient arrivés au domicile d’un couple de particuliers totalement étrangers à l’histoire. Selon les enquêteurs, I Trade serait une « coquille vide », une entreprise dénuée de toute activité et créée de toutes pièces par Marco Mouly pour lui fournir de fausses fiches de paie et financer son train de vie. Les comptes de la société auraient été alimentés en amont par des virements de sociétés étrangères. Marco Mouly aurait utilisé la Carte bleue de l’entreprise pour effectuer des achats et retirer des espèces.
« Il y a quelque chose de bizarre, pas usuel et profondément injuste dans ce dossier », considère pour sa part Me Laurence Mariani, l’autre avocate de Marco Mouly. Et celle-ci de noter que la décision de renvoi en comparution immédiate de son client tombe alors que ce dernier doit passer, le 3 juillet prochain, devant le juge d’application des peines pour un éventuel aménagement de peine. « C’est un détournement de procédure : on utilise votre juridiction à seule fin de réduire à néant ses chances d’obtenir un aménagement de peine », abonde son confrère Philippe Ohayon.