Philippe Val: «La gauche est retombée dans la poubelle de la Nupes»

Abonnez-vous à la newsletter

Pour l’ancien directeur de Charlie Hebdo, rien ne devrait justifier une union à gauche avec des partis complaisants à l’égard de l’antisémitisme.

LE FIGARO. – La gauche s’est unie pour les élections législatives en dépit des désaccords affichés. Raphaël Glucksmann a finalement concédé que ce Nouveau Front populaire avait « complètement évolué » par rapport à la précédente alliance de la Nupes. Est-ce un aveu d’impuissance de la gauche qui se fait dévorer par sa frange radicale ?

Philippe VAL. – Ce Front populaire est évidemment la continuité du même mouvement initié par la Nupes depuis la disparition d’un PS crédible. Avec Olivier Faure, nous n’avons plus qu’un Parti socialiste de carnaval. Et Glucksmann est passé à côté d’un rôle historique : il aurait pu jouer un rôle important en refusant cette alliance. Il a l’air d’un clown maintenant : on dirait qu’il a croisé son destin avec un nez rouge et des grandes chaussures. C’en est fini pour lui et pour tous les gens qui ont pensé à un retour de la gauche modérée, rocardienne, à une gauche « correcte ». Finalement, on est retombé dans la poubelle de la Nupes.

Et le tout sous la bannière du Front populaire : ça ne manque pas de sel ! On ne peut qu’être indigné quand on connaît l’histoire de Léon Blum, un personnage admirable de l’histoire de France, qui a souffert jusqu’à la fin de sa vie d’attaques antisémites absolument ignobles, qui a été déporté en Allemagne et qui a vécu les pires horreurs. Pour oser appeler ce nouveau mouvement Front populaire, il faut quand même être sacrément gonflé.

Surtout quand on voit les composantes du Front populaire : LFI qui a refusé de qualifier le Hamas de terroriste, mais aussi le NPA qui a qualifié le pogrom du 7 octobre d’ « acte de résistance ». Est-ce à dire que ces sujets ne sont pas fondamentaux pour le reste de la gauche ? Que l’union justifie tout ?

L’union ne devrait rien justifier. Il y a toujours eu une tendance antisémite à gauche. C’est une vieille histoire qui commence avec Marx : bien qu’il soit issu d’une famille juive, on retrouvait dès son premier livre un anticapitalisme antisémite. Idem chez Staline, qui incarnait tout ce qu’il y avait de merveilleux à gauche après la Seconde Guerre mondiale. On devrait entendre ce que tous les morts des goulags dans les cimetières de Russie murmurent en ce moment. Staline a été le premier chef d’État à réactiver un antisémitisme d’État après 1945. La gauche non-libérale a donc toujours eu un gène antisémite qui a explosé récemment, comme un herpès dans un corps fatigué. La gauche est une idéologie fatiguée de laquelle la lèpre antisémite est ressortie. Bien sûr, personne ne dit « je suis antisémite » ; on n’a que des faux culs qui sont compatibles avec l’antisémitisme. Or nous avons une gauche qui s’est rendue compatible avec l’antisémitisme pour des raisons ignobles. Car en plus d’un antisémitisme sans doute idéologique, ils veulent séduire une immigration musulmane supposée antisémite. Et pour séduire cette immigration musulmane, ils n’hésitent pas à se rendre sans cesse compatibles par des clins d’œil qui ne trompent personne.

Comment expliquer que, dans un contexte où on parle beaucoup d’un retour aux années 1930, la gauche soit si peu regardante sur la question de l’antisémitisme ?

Ce n’est pas seulement qu’elle n’est pas regardante. Historiquement, Doriot était à la gauche du Parti communiste. Rappelons-nous qu’en 1930 Doriot échangeait avec Lénine, et c’est le même que l’on a connu ensuite sous l’Occupation. Il y a un pont entre l’extrême droite et l’extrême gauche. On voit bien les échanges qu’il y a eus récemment : l’extrême droite a pris à la gauche la laïcité, et l’extrême gauche a pris à la droite l’antisémitisme. C’est inouï.

Manuel Valls avait parlé de gauches irréconciliables. Aujourd’hui elles sont tellement irréconciliables que la branche laïque de la gauche n’est même plus considérée comme étant de gauche…

Quand j’ai vu Manuel Valls dire à la tribune de l’Assemblée nationale « La France, sans les Juifs, ça n’est pas la France », je lui ai dit « Tu vas voir, ils t’ont applaudi debout, mais ils ne te le pardonneront pas d’avoir dit ça. » Et c’est ce qui s’est produit : qu’est-ce qui justifie une telle marginalisation d’une personnalité politique qui a toute sa place dans notre République ? En réalité, je ne crois pas que la France soit antisémite. J’ai fait beaucoup de reportages dans ma vie et je suis allé dans des pays antisémites. La France n’en est pas un. C’est un pays où il y a des élites antisémites et une partie de l’immigration musulmane qui est antisémite. Et ces élites de gauche essaient de la ramener à elle en traînant dans la boue l’État d’Israël et en critiquant, non pas tant la politique de Netanyahou – qui est très critiquable -, mais l’existence même de l’État d’Israël.

Que dire du programme économique du Front populaire – retour de la retraite à 60 ans, smic à 1 600 euros, augmentation de 10 % du point d’indice. Bruno Le Maire a parlé de « délire total » : est-ce aussi une preuve du divorce entre la gauche et le réel, et la fin d’une gauche de gouvernement qui avait une frange libérale ?

L’être humain a du mal avec le réel d’une façon générale. J’ai beaucoup lu Clément Rosset, un grand philosophe et un ami, qui a travaillé toute sa vie sur Le Réel et son double. Là on est dans le double, c’est-à-dire que le réel n’a aucune importance. On a dépensé beaucoup d’argent pendant le Covid, on est doucement en économie de guerre, parce que la dictature de Poutine coûte une fortune au monde libre – elle fait grimper le prix du blé, du pétrole, du gaz, et il faut aider l’Ukraine. On n’a plus d’argent dans les caisses et voilà des partis politiques qui arrivent avec des propositions irréalistes. Mais les gens ne sont pas débiles ! On peut discuter avec des gens dans la vie réelle, et ils peuvent comprendre qu’on ne peut pas faire cela.

Quand Churchill a eu le courage de dire ce qu’on ne voulait pas entendre et qu’il a sauvé le monde libre, les gens ont entendu ; ils ont été flattés qu’on ne les prenne pas pour des idiots. Or quand on me dit qu’on va rétablir la retraite à 60 ans, j’ai l’impression qu’on me prend pour un imbécile. Je sais très bien que ce n’est pas possible. Le Maire qu’il soit de droite ou de gauche, sympathique ou pas, il dit quelque chose qui est juste : les caisses sont vides. La dette va nous coûter une fortune et ensuite on ne va plus pouvoir payer les policiers, les enseignants et les retraites. On va se retrouver dans la même situation que la Grèce. Prétendre le contraire, c’est mener une politique de voyou. Comment voulez-vous qu’on croie ces gens-là qui mentent pour arriver au pouvoir d’une façon éhontée ?

Journaliste, ancien directeur de France Inter et de « Charlie Hebdo », Philippe Val a récemment publié « Rire » (Éditions de l’Observatoire, 2024).

Source lefigaro