Depuis quelque temps et plus encore depuis le 7 octobre, les partis d’extrême droite français, RN et Reconquête essentiellement, se posent en défenseurs des Juifs et en amis d’Israël.
S’il ne fait guère de doute qu’il y a des accointances politiques avec le gouvernement d’extrême droite de Netanyahou, l’idée que ces partis seraient pro-Juifs est démentie par leur histoire, leurs propositions et leurs alliances. Et le fait qu’une partie de la gauche se soit embarquée dans un délire identitaire et parfois ouvertement antisémite ne change rien à ce qui fait l’extrême droite. Petit tour des douloureuses réalités de mouvements qui ne sont judéo-compatibles qu’opportunément et à condition d’assigner les Juifs de France à une haine anti-musulmane et anti-arabe.
Les historiques du FN
Fondé en 1972 autour de Jean-Marie Le Pen, alors plutôt poujadiste et tenant radical de l’Algérie française, le Front national est, dès le départ, noyauté par des négationnistes notoires. Pensons par exemple à Roland Gaucher, membre sous l’occupation des Jeunesses nationales populaires, un groupement collaborationniste, qui deviendra ensuite directeur de National Hebdo, voix de presse du FN où il écrira notamment en 1989: “Ou bien le christianisme réussira à se maintenir face à la fantastique force du monde juif. Ou bien, croyants et incroyants, nous vivrons sous la loi de la religion nouvelle: celle de la Shoah.”
On retrouve aussi, parmi les intimes de Le Pen, l’ancien Waffen-SS Léon Gaultier avec qui il fonde la SERP, une maison d’éditions de chants historiques, nazis entre autres, le doriotiste Victor Barthélémy ou encore François Duprat, qualifié par Nicolas Lebourg et Joseph Beauregard d’“homme qui inventa le Front national” et s’attacha à lier idéologiquement antisémitisme, antisionisme et anticommunisme au sein du FN à travers notamment ses Groupes nationalistes révolutionnaires. Si la ligne ouvertement raciste de ce dernier a été masquée dans le RN d’aujourd’hui, ses positions sociales et économiques semblent pourtant toujours inspirer celles du parti.
Le FN devenu RN porte donc bien dans son ADN une dimension profondément négationniste et antisémite, notamment par ses pionniers issus de la collaboration voire de l’engagement volontaire dans la Wehrmacht. Longtemps allié des catholiques traditionalistes refusant Vatican II, le RN a laissé cette relation à la nièce de Marine Le Pen, Marion Maréchal, passée chez Éric Zemmour. Certaines propositions n’ont pas changé: l’interdiction de l’abattage rituel, de la circoncision ou du port de la kippa en public sont toujours dans les propositions du RN – en 2012, Marine Le Pen disait: “Nos compatriotes juifs ne posent aucun problème avec leur kippa. Je leur demande de faire ce sacrifice pour pouvoir mettre en place une véritable lutte contre le fondamentalisme islamiste dont ils sont eux-mêmes en partie les victimes”. D’autre positions ont évolué: Marine Le Pen n’est plus opposée à la double nationalité mais cela ne suffit pas à faire de sa formation le premier parti chez les Français d’Israël qui ont choisi (avec tout de même une abstention de 93%) de placer Reconquête-Zemmour largement en tête ce 9 juin.
Et Marine Le Pen dans le ça?
Adepte de la dédiabolisation du FN depuis 2002 et plus encore depuis qu’elle en est devenue la présidente en 2011, Marine Le Pen s’attache, chaque fois qu’elle le peut, à montrer à quel point elle a tué le père, à commencer par l’éviction de celui-ci du FN en 2015.
On pourrait vouloir les croire, les Jordan Bardella ou les Marine Le Pen, quand ils assurent que tout ça, c’est fini, que le parti a changé, même de nom d’ailleurs – reprenant à son compte le nom du Rassemblement national français de Jean-Louis Tixier-Vignancour pour qui Le Pen père fut directeur de campagne présidentielle en 1965, parti dont le nom fut lui-même emprunté au Rassemblement national populaire, parti fasciste et collaborationniste de Marcel Déat de 1941 à 1944 –, on pourrait vouloir les croire; le problème est qu’eux-mêmes n’y croient pas, comme quand Marine Le Pen, qui s’inscrit bien en héritière idéologique, écrit en 2022: “Les historiens retiendront qu’en 1972 est née en France la force politique qui a eu la lucidité de tenir allumée entre ses mains, dans les vents et la tempête, la flamme de la Nation”. À propos de flammes, notons la continuité dans les logos du FN/RN.
Marine Le Pen n’a pas choisi de faire de la politique dans un parti de l’arc républicain, ne s’est pas débarrassé de l’héritage antisémite, xénophobe et misogyne du parti fondé par son père, mais pas non plus des amis gênants qui gravitent dans et autour du parti. Que l’un d’eux devienne trop visible médiatiquement, il est exclu mais, avant que son antisémitisme ne soit public, il reste là, tout proche de Marine Le Pen. Et même quand ils sont gênants, Marine Le Pen menace certes de rompre les liens, mais ce n’est pas si simple. En mai 2023, la présidente du groupe RN à l’Assemblée se fâche tout rouge contre son ami et confident Frédéric Chatillon, ex-chef du GUD qui lutte contre “l’américano-sionisme” et soutient ardemment Bachar El-Assad, alors qu’il annonce son intention de manifester, un an plus tard, avec des néofascistes à Paris: “Si Frédéric Chatillon souhaite participer à une manifestation de cette nature, j’en tirerai, moi, les conséquences à titre personnel. À un moment donné, stop.” Et si elle précisait au Monde à propos de l’associé de Chatillon, l’ex-gudard Axel Lousteau qui fut un temps élu FN en Île-de-France, “on a rompu toute relation”, elle s’empressait d’ajouter “politique ou professionnelle”. On ne bosse plus ensemble mais on est toujours potes, dis? Enfin, “plus de relation professionnelle” est tout de même à relativiser puisque, explique Clément Guillou dans le même article du Monde, “M. Chatillon et M. Loustau détiennent respectivement 30% et 15% des parts de la société e-Politic, chargée de la communication numérique du RN et de son groupe au Parlement européen, Identité et démocratie”.
Et que dire des liens pas si anciens de Marine Le Pen, alors directrice de campagne de son père pour la présidentielle de 2007, qui fait appel à son ami intime, l’avocat Philippe Péninque, ancien d’Occident, d’Ordre nouveau et du GUD, qui fera le ménage autour de l’héritière pour éliminer ses rivaux. Il amène dans ses bagages un idéologue de l’antisémitisme plusieurs fois condamné: Alain Soral. Alors membre du FN, ce proche de Dieudonné (que Marine Le Pen a vigoureusement défendu) tracte aux côtés de la candidate à la députation à Hénin-Beaumont ou pousse la chansonnette avec son amie en public. En 2009, Soral claque la porte, vexé de ne pas se voir confier la tête de liste pour les européennes. Il faut dire aussi que lui déteste les Juifs encore plus que les Arabes.
Et puis il y a tous ces candidats ou élus, qu’on rabroue, suspend ou exclut au cas par cas, quand leur parole publique dérape: Benoît Loeuillet en 2017 à Nice qui avait dit à une caméra à propos de la Shoah: “il n’y a pas eu de morts de masse comme cela a été dit”; Saidali Boina Hamissi à Mayotte en 2024 qui, pêle-mêle, traite les Comoriens de “cafards”, promeut la polygamie et vante la guerre de Poutine en Ukraine; Guillaume Pradoura, assistant parlementaire de Nicolas Bay, en 2019, pour s’être déguisé en Juif à papillotes en mimant des doigts crochus; Axel Lousteau (encore lui) en 2014 après la publication de photos le montrant faisant un salut nazi lors d’une manifestation, etc.
En fait, la dédiabolisation – héritière directe de la stratégie type taqiya fasciste théorisée par l’idéologue d’extrême droite Dominique Venner, qui consiste en une dissimulation sémantique et idéologique –, passe par un nettoyage de la surface antisémite, pas par conviction idéologique, mais par calcul politique, comme le reconnaissait Louis Alliot face à l’historienne Valérie Igounet (Le Front national de 1972 à nos jours : le parti, les hommes, les idées, 2014) en 2013: “La dédiabolisation ne porte que sur l’antisémitisme. En distribuant des tracts dans la rue, le seul plafond de verre que je voyais, ce n’était pas l’immigration, ni l’islam… D’autres sont pires que nous sur ces sujets-là. C’est l’antisémitisme qui empêche les gens de voter pour nous. Il n’y a que cela… À partir du moment où vous faites sauter ce verrou idéologique, vous libérez le reste.”
Antoine Strobel-Dahan