Dans la tête de Raphaël Glucksmann, encerclé par les ogres

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Le champion PS-Place publique veut imposer ses lignes rouges pour « démélenchoniser » la gauche, mais se retrouve cerné par les experts de la politique.

Non, il n’a pas disparu. Non, il n’a pas capitulé devant Jean-Luc Mélenchon et les hordes insoumises qui lui ont rendu la vie impossible durant sa campagne à coups de calomnies et de raids sur les réseaux sociaux. Muré depuis lundi soir dans un silence de nature à inquiéter les 3,5 millions d’électeurs qui se sont portés sur son nom aux élections européennes, Raphaël Glucksmann le répète aux siens : il ne renie rien de ses convictions.

Après l’annonce de la dissolution, « criminelle contre le pays », selon lui, il lui a pourtant fallu trancher un « dilemme moral ». Lui qui abhorre LFI par tous les pores de sa peau a dû se faire violence face au péril d’un Bardella aux portes du pouvoir et à la réalité bassement mathématique d’une élection législative : pour franchir le seuil couperet de 12,5 % d’électeurs inscrits au premier tour, il n’y a pas d’autre chemin que l’union la plus large possible.

Va donc pour le front populaire et cet accord défensif signé par tous les partis de gauche, dont le sien, Place publique, qui prévoit des candidatures communes dans les 577 circonscriptions pour éviter de s’entrechoquer au seul bénéfice du RN. Mais il enrage contre Emmanuel Macron, qui s’est comporté avec les institutions « comme un adolescent », dit-il, et a ainsi cherché, à ses yeux, à se venger en le piégeant dans les griffes de la Nupes.

« Sans l’union, vous n’allez nulle part face au RN ! Il y a plein de circonscriptions où on ne sera pas au second tour si on ne s’unit pas avec LFI. On n’a pas le choix. Mais sans rééquilibrage en notre faveur, on n’y arrivera pas non plus, développe Chloé Ridel, porte-parole du PS, proche de l’essayiste. On est dans un dilemme. C’est terrible pour lui et pour nous tous. »

« Il faut que vous compreniez, il n’y a rien de plus puissant, électoralement, que l’union, complète un spécialiste du PS au fait des négociations. Mais s’il y a des choses pas négociables pour nous, sur le Hamas, sur l’antisémitisme, ce sera non ! »

Glucksmann veut « démélenchoniser » la gauche

Ainsi Raphaël Glucksmann a-t-il prévenu dès lundi Olivier Faure, le premier secrétaire du PS, qu’il comptait mettre des « points hyper durs », des lignes rouges dans les négociations programmatiques. Le nerf de la guerre. Son objectif : « démélenchoniser » la gauche en obligeant le leader des Insoumis à ingurgiter des conditions pour lui totalement indigestes, comme le refus de tout antisémitisme – après les attaques insupportables de la campagne –, la définition du Hamas comme « terroriste », la condamnation de toute « brutalisation » de la vie politique, pour ne citer que les points de crispation les plus importants.

En clair, faire rentrer le tigre Mélenchon dans sa cage, l’obliger à avaler son chapeau en imposant que ces lignes dures figurent noir sur blanc dans l’accord final. Pas question pour l’essayiste de baptiser la nouvelle coalition « front populaire » et de cracher sur la mémoire de Léon Blum, en pactisant avec un parti qui flirte avec l’antisémitisme.

Et si ça ne fonctionnait pas ? « On se barre ! » a prévenu devant les siens Glucksmann, qui ne se couchera pas pour quelques circonscriptions. Réélu député européen, il est libre et préférerait quitter la table des discussions, où il est représenté par sa comparse de Place publique, l’économiste Aurore Lalucq. En responsabilité, il prendrait alors son bâton de pèlerin pour aller soutenir sur le terrain les candidats de son choix.

Ce jeudi midi, les tractations à gauche étaient d’ailleurs au point mort, presque au point de rupture, précisément en raison de ces points durs. « Nous ne transigerons pas sur des questions qui sont essentielles », avait prévenu le matin même sur RMC Olivier Faure, reprenant les lignes impératives de Glucksmann. Et précisant, à toutes fins utiles : « On n’a rien signé […]. Ce n’est pas conclu. »

Les discussions achoppaient également sur l’investiture du sortant LFI Adrien Quatennens et sur la « qualité » des circonscriptions attribuées au PS, pas toujours les meilleures. Lequel a arraché 175 places – pour mémoire, le PS n’en avait obtenu que 70 avec la Nupes en juin 2022 – contre 229 pour LFI, 92 pour Les Écologistes et 50 pour le PCF.

« LFI a été obligé de lâcher la part du lion. Cent circonscriptions de plus pour le PS, c’est énorme ! » défend un expert du PS, qui juge une majorité relative tout à fait « atteignable » lors du scrutin des 30 juin et 7 juillet. Et assure que LFI a davantage besoin des socialistes que l’inverse, le parti à la rose pouvant aligner demain 577 candidats sans aucun souci. « Il y a un coup de poker qui est en train d’être tenté, un coup de bluff », sourit le même. Le but, transparent : faire plier LFI.

Dans ces discussions, Raphaël Glucksmann apparaît en deuxième bande. Car il n’est pas un homme politique, à proprement parler. Il apprend, vite, mais le voici dépassé par les professionnels de la profession, les experts en tractations de coulisse et autres coups de Jarnac. En se murant dans un silence intrigant, le nouveau champion de la gauche social-démocrate, fort de ses près de 14 %, a donné à penser malgré lui qu’il se couchait devant Jean-Luc Mélenchon. Il n’en est rien.

Pire, des stratèges du chef de l’État ont fait courir le bruit ce jeudi qu’ils étaient entrés en discussion avec lui. « Entièrement faux ! » proteste avec véhémence Aurore Lalucq. « Faux », écarte-t-il aussi. Reste que le patron de LFI a pris le leadership de la bataille médiatique en s’invitant au 20 Heures de France 2 pour proposer sa candidature pour Matignon, jouant les assagis après des mois de fureur et spéculant sur le fait que les électeurs seraient affligés d’une mémoire de poisson rouge. Les tractations à gauche sont aussi une bataille d’images. Et pour l’heure, c’est LFI qui gagne.

Le Thalys ou Matignon ?

L’essayiste a aussi trouvé plus madré que lui en la personne d’Olivier Faure, qui a bien compris tout l’avantage qu’il pouvait tirer de la situation. D’un point de vue arithmétique, le « front populaire » est tout à fait en situation de conquérir une majorité, au moins relative. Aussi le patron du PS a-t-il tout intérêt à discuter avec LFI pour que la gauche arrache un maximum de sièges, en pariant sur le fait que les électeurs sanctionneront localement LFI et enverront un gros bataillon de socialistes à l’Assemblée nationale.

Et qui prendrait Emmanuel Macron, dans cette configuration, à Matignon ? Certainement pas Jean-Luc Mélenchon. Ni même le rebelle Insoumis François Ruffin, qui a fait acte de candidature, ce jeudi. Mais un profil plus raisonnable à la Faure… « François Ruffin n’a pas l’hexis corporelle, alors qu’Olivier Faure, c’est le Michel Drucker de la gauche ! » s’esclaffe un cadre du PS. « Olivier Faure, tout le monde le prend pour un c… avec son air de Little Buddha et son sourire de Joconde, mais n’oubliez jamais qu’il est l’enfant de François Hollande ! » sourit notre spécialiste du PS.

« Le diabolique Olivier Faure a fait son coup de Jarnac, comme il le fait à chaque fois. Il met quelqu’un en avant et il prépare son coup derrière. J’aime beaucoup Glucksmann, mais il a mal joué, regrette un haut responsable du PS. Dimanche soir, il aurait dû prendre la parole après Macron pour dire : “J’invite toutes les forces de gauche à me rejoindre autour de mes principes, de mes valeurs. J’ai fait 14 %, j’ai une responsabilité.” S’il avait fait ça, on aurait aujourd’hui un Mélenchon tout rabougri. Mais Raphaël est un autoentrepreneur. Il a une vraie sincérité, mais, en politique, il ne faut pas seulement faire de beaux discours, il faut aussi des hommes d’appareil. »

Amertume

« Il avait une opportunité historique de dire : “Ralliez-moi », mais il s’est fait rouler dessus par les professionnels de la politique. Il sera très utile si les négociations capotent, c’est une vraie arme, mais il a loupé le coche. Il est trop tendre », pique une figure de la gauche. « Il pouvait être Premier ministre, il avait un truc à faire », achève un proche de François Hollande, qui ne rate pas une miette des discussions en cours.

Parmi ceux qui ont fait sa campagne, l’amertume fait aussi son chemin face à un chef qui ne traiterait pas suffisamment les siens. « Raphaël raisonne juste, il parle bien mais il n’a pas compris qu’il faut lever une armée ! Il ne sait pas que la politique est un sport individuel qui se pratique en collectif. Il faut des porteurs d’eau. François Mitterrand n’était rien sans François de Grossouvre. En politique, il ne faut pas se boucher le nez… », tonne un cadre du PS, le cœur lourd.

Au fond, Raphaël Glucksmann sait-il seulement ce qu’il veut ? Rester un phare dans la tempête pour la gauche, ou se mouiller les mains dans les affaires de boutique ? Partir à l’assaut de Matignon, voire de la prochaine présidentielle, ou remonter dès que possible dans le Thalys pour Strasbourg et Bruxelles ? Lui seul, en conscience, le sait aujourd’hui.

Par Nathalie Schuck

Source lepoint