La pression de Itamar Ben-Gvir, ministre de la Sécurité nationale et Bezalel Smotrich, ministre des Finances, semble avoir fait reculé le premier ministre israélien sur la négociation d’un cessez-le-feu.
Atlantico : Benyamin Netanyahou n’a pas accepté le plan de négociations pour la libération des otages avec les Etats-Unis. Est-ce que l’influence de Itamar Ben-Gvir et de Bezalel Smotrich pèse dans le cadre de la stratégie à Gaza à travers la volonté de poursuivre le conflit et de mettre fin au Hamas ? Benyamin Netanyahou n’est-il pas prisonnier de ses ministres d’extrême droite ?
Pierre Berthelot : Netanyahou est en partie prisonnier de ses ministres d’extrême droite. Leur influence est importante, incontournable pour la majorité gouvernementale. Mais il ne faut pas oublier que le propre parti de Netanyahou, le Likoud, est aussi sur une ligne extrêmement dure. Le Likoud, historiquement, est l’alliance de deux partis de droite. Il y a toujours eu au sein du Likoud une aile plus radicale. Netanyahou lui-même, par son père, est issu de ce courant ultra nationaliste. Netanyahou est dans la faction la plus dure en réalité du Likoud, malgré les apparences d’un leader classique de droite. Il n’y a pas que ces ministres d’extrême droite qui pèsent, il y a aussi bien évidemment le Likoud. Peut-être que la crainte de Netanyahou est que, s’il décide de faire des concessions, il perde le soutien des partis ultras et qu’il soit renversé au sein de son propre parti par une aile dure.
La menace de la démission de ces deux ministres radicaux risque-t-elle de faire exploser la coalition gouvernementale ? Netanyahou est-il libre de ses décisions ou prisonnier de cette coalition ?
Netanyahou est prisonnier puisqu’effectivement il n’a pas de majorité sans d’autres partis. Mais la difficulté pour lui est qu’avant, pour parvenir à une coalition, il n’était pas otage de ces partis radicaux. Par le passé, il s’alliait en général avec d’autres formations de centre droit, soit des partis religieux mais moins radicaux comme le Shass, un Parti séfarade. La grande nouveauté est que pour la première fois, pour avoir cette coalition, il doit s’appuyer sur ces partis radicaux. L’alternative n’est pas forcément réjouissante pour lui, parce que s’il perd le soutien de ces partis pour garder sa coalition, il devra se tourner plutôt vers le centre, vers le parti de Benny Gantz, voire pourquoi pas de Yaïr Lapid, un parti de centre gauche qui lui a proposé de remplacer les voix d’extrême droite. Netanyahou va être dans une situation inconfortable parce qu’il n’a aucune confiance en ces deux personnes et dans cette alternative. Ces deux leaders s’étaient déjà alliés pour évincer Netanyahou.
Les partis radicaux ont été loyaux jusque-là envers Netanyahou. Ils ne cherchent pas forcément à l’évincer pour prendre sa place. Netanyahou jusque-là était dans une position d’équilibre entre les centristes d’un côté et les radicaux. Il était le point d’équilibre de la vie politique israélienne. Mais là il est otage des deux côtés d’une certaine manière.
N’y a-t-il pas un risque aussi de démission des personnalités plus modérées comme Benny Gantz ou Netanyahou est pris en étau car effectivement Gallant et Gantz, eux aussi, ont menacé récemment de démissionner si un plan de sortie de crise n’était pas proposé prochainement. Ils menaçaient de quitter également le cabinet de guerre. Gallant est dans une position aussi très inconfortable. Il est un peu coincé. Quoi qu’il fasse, il est dans une mauvaise situation. Soit il reste sur le statu quo ou il n’accepte pas effectivement le plan actuel, mais avec le risque que les menaces qui pèsent sur Israël s’accroissent, notamment la pression internationale avec des pays qui désormais refusent de livrer des armes. Israël n’a pas été invité au salon Eurosatory en France consacré à la défense.
Si Netanyahou ne fait rien, il conserve sa majorité. Mais est-ce qu’il règle les problèmes de fond d’Israël ?
Ce n’est pas sûr. Soit il tend vers le centre en élargissant sa coalition et il n’a plus besoin de l’extrême droite. Mais avec les risques d’une coalition fragile et affaiblie. On ne voit pas trop quelle sera la cohérence au-delà de Gaza, ne serait-ce que sur la Cisjordanie et avec des personnes qui seront là plutôt pour lui savonner la planche et prendre sa place. Netanyahou pourrait sinon se tourner vers les positions les plus radicales qui souhaitent accentuer l’offensive sur Gaza. Tel est le souhait des deux partis radicaux de Itamar Ben-Gvir et de Bezalel Smotrich. Il risque alors de perdre l’éphémère cabinet de guerre qui ne va plus le soutenir. Il aura toujours une majorité parlementaire, mais cet élargissement à d’autres forces pour une espèce d’union sacrée dans le cadre de cette guerre aura volé en éclat. La situation est donc extrêmement compliquée. Netanyahou est dans une impasse.
Au regard de ce contexte politique et de la pression des ministres d’extrême droite, quel avenir pour les négociations actuelles ou même pour la suite du conflit ?
La situation est complexe car les différentes composantes de la coalition sont dans des positions irréconciliables. Netanyahou n’est pas hostile à un cessez-le-feu contre la restitution des otages. Mais il ne veut pas se lier les mains. Une trêve serait un échec pour lui. Une trêve pour la libération des otages avec un arrêt des combats et des tentatives de solutions à Gaza avec des forces internationales pour remplacer le Hamas serait clairement une défaite politique pour Netanyahou puisque rien ne garantit que cela ne permettra pas au Hamas de reconstituer ses forces. Benyamin Netanyahou est vraiment dans une impasse stratégique.
La logique voudrait que les électeurs tranchent ces questions. Dans un contexte extrêmement tendu, il est difficile d’organiser des élections. Il faudrait rendre le verdict au peuple et que clairement se mette en place deux coalitions, une pour garder un statu quo, voire de continuer la colonisation en Cisjordanie et une position extrêmement dure sur le Hamas, soit une alternative qui irait du centre gauche au centre droit qui réunirait Gantz, Lapid et pourquoi pas d’autres dirigeants pour quelque chose qui serait plus dans un projet politique mais qui aurait bien sûr l’appui de la communauté internationale. Les Américains viennent d’ailleurs de recevoir Gallant et Ganz. Les Etats-Unis ont envoyé un message en disant que l’idéal serait que ces deux personnes soient aux commandes et que Netanyahou soit évincé.
Benyamin Netanyahou est-il vraiment condamné à rester prisonnier de ses ministres ? Quelle sortie de crise pourrait être envisagée ?
La sortie de crise pourrait être de retourner devant les électeurs. Si à l’issue des élections, le Likoud était renforcé, il pourrait jouer la carte du point d’équilibre de la vie politique israélienne, ce qu’il fait depuis longtemps entre les durs et les modérés. Sa légitimité serait alors renforcée. A l’inverse, Netanyahou a sans doute peur que son parti ne chute. Il devra alors quitter le pouvoir. Il y aura ensuite une enquête qui devra déterminer quel est son rôle dans cette crise. Il pourrait même être inculpé. Il y a eu des commissions d’enquête en Israël suite à la guerre du Kippour ou suite à l’intervention au Liban. Cela a poussé les hommes politiques à démissionner ou à se mettre en retrait. Certains ont été en prison pour d’autres raisons. Netanyahou est aussi soupçonné de corruption. Donc rien ne garantit qu’il ne finisse pas en prison. Sa situation est donc effectivement extrêmement compliquée.
La meilleure solution serait pourtant de retourner devant les électeurs pour qu’ils donnent une indication très claire de leur souhait.
Pierre Berthelot