Teddy Riner, une ambition hors norme

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Le sportif préféré des Français a rendez-vous avec la nation. Le 2 août, le judoka de 35 ans tentera de décrocher l’or olympique à Paris. Parti s’entraîner au Maroc, où il loge dans un palace, propriété du roi, le champion du monde imagine sa vie d’après, qu’il prépare en investissant dans l’immobilier et diverses sociétés. Attaché aux valeurs de sa discipline, il assume néanmoins un goût pour le luxe, le business et parle même de se lancer en politique.

La Rolls-Royce se fraye un chemin à vive allure au milieu de la circulation chaotique de Marrakech. La voix de Seal, star britannique de la soul, retentit à l’intérieur du véhicule, Rolls noire des temps modernes aux allures de SUV, loin des distinguées Silver Shadow d’antan. Il est midi. Au volant, le judoka Teddy Riner se montre agile, habile, pas perturbé par le code de la route local. « Je suis un filou, sourit-il en conduisant. Et j’aime les belles voitures. » Le soir, pour la troisième séance photo de la journée, cette fois-ci dans une palmeraie située au nord de la ville, il débarquera à toute berzingue, par une route défoncée, au volant d’un coupé Maserati. Difficile de comprendre comment il a pu y glisser ses 2,04 mètres et ses près de 140 kilos.

Le 2 août, au sein du Grand Palais éphémère dessiné par Jean-Michel Wilmotte, Teddy Riner entrera en scène pour, peut-être, le moment le plus important de sa vie : le tournoi olympique de Paris 2024 dans sa catégorie, les plus de 100 kilos. Cinq fois médaillé aux JO (dont l’or en individuel à Londres, en 2012, puis à Rio, en 2016, et par équipes mixtes à Tokyo, en 2021), onze fois champion du monde, le judoka visera, à 35 ans, ce qui pourrait constituer l’acmé d’une vie consacrée à ce sport : l’or à Paris, en individuel et par équipes. Dire qu’il y pense constamment relève de l’évidence. « Je m’entraîne deux fois par jour, tous les jours, confie-t-il derrière le volant. Une séance d’environ deux heures consacrée à la technique de judo proprement dite, une autre à la musculation. J’en ai besoin pour être au top pour les Jeux, il n’y a pas le choix. Alors je serre les dents et les fesses et j’avance. »

Plus tôt dans la matinée, dans le petit hall d’entrée du club marocain où la star s’entraîne, le Flam (deux sites à Marrakech et près de six cents adhérents), Hicham El-Assoudi, président de la ligue régionale de judo, explique qu’il connaît le Français depuis ses 18 ans. Il l’a rencontré au moment où il est devenu champion du monde pour la première fois, en 2007. Un jour, tous deux étaient invités à l’ambassade de France, à Rabat. « Il a écourté la soirée pour aller faire son footing ! C’est un garçon exemplaire dans la façon dont il a mené sa carrière. Quelqu’un doté d’un code moral, qui sait faire son autocritique, fait preuve d’humilité et d’un grand sens de l’humour. Sur un tatami, il sait faire des choses que normalement les gars de son gabarit ne parviennent pas à faire. »

Amoureux du Maroc

C’est donc à Marrakech que l’athlète vers qui tous les regards vont se tourner cet été s’entraîne en cette mi-mai. A l’abri des curieux et de la presse (à l’exception de quelques rares interviews pour la télévision). Au point que les journalistes spécialisés se sont plaints de son attitude auprès de la Fédération française de judo (FFJ). Le judoka regagne parfois la France ou s’envole pour des pays où il peut s’entraîner contre des « gros », comme on dit, des adversaires de sa catégorie. Il se rend alors au Japon, au Brésil ou au Kazakhstan.

Au Maroc, Teddy Riner séjourne une bonne partie de l’année avec son épouse et leurs deux enfants de 5 et 10 ans au Royal Mansour – le temps que la maison qu’il fait construire soit achevée, précise son agent. Pour le mois de mai, le site de l’hôtel propose la suite familiale à 4 500 euros la nuit. « Mes enfants suivent une scolarité à distance, avec des professeurs particuliers, mais je peux te dire que, comme moi à leur âge, ils ne ratent jamais un jour d’école. » Cet établissement, l’un des plus beaux palaces de Marrakech, appartient à Mohammed VI, le roi du Maroc.

C’est en 2007, lors d’un séminaire pour une marque qu’il représente alors, que le champion, né à Pointe-à-Pitre mais élevé à Paris, découvre le pays. Il raconte en être rapidement tombé « amoureux ». Y est-il venu fuir la notoriété, la foule, les sollicitations incessantes ? On évoque avec lui l’interview accordée par le footballeur Kylian Mbappé à Elise Lucet pour « Envoyé spécial », en janvier, un entretien qui a fait grand bruit, notamment sur les réseaux sociaux. Le buteur de l’équipe de France s’y plaignait de ne plus pouvoir accomplir les petites choses du quotidien, comme aller acheter son pain chez le boulanger.

Le judoka soupire, un sourire moqueur au coin des lèvres : « Non, je n’ai rien fui du tout. Les gens ont toujours été respectueux avec moi. Si je dîne au restaurant avec ma femme et qu’on me demande un selfie, je réponds juste d’attendre que je termine mon repas et je le fais. Quant à la notoriété, elle fait partie d’un tout. Tu ne la recherches pas, mais elle est inévitable et elle participe à tout ça, à la vie incroyable que ton sport te permet d’avoir. Et, si j’ai envie d’aller acheter mon pain, j’achète mon pain. »

« Je n’ai eu aucune vie sociale »

Tous les termes ont été employés pour le définir : colosse, géant, montagne. Ils lui vont tous comme un gant. La carrure d’armoire à glace ne l’empêche pas d’arborer un sourire enfantin. Il a de l’allure, du charisme. Et de l’humour. Sans retenue, parfois. Lors d’un déjeuner au bord de la piscine de son hôtel, entre deux séances photo, la conversation tourne autour de son corps, avec lequel il ne s’est pas toujours bien entendu. « Je rêverais d’aller faire du shopping, mais rien ne me va. Il faut tout faire sur mesure. » Il poursuit : « Tu ne sais pas la chance que tu as d’avoir ton corps, tout te va, toi ! »

On lui réplique que d’aucuns pourraient envier le sien, la puissance qu’il dégage, la crainte qu’il inspire aussi. « Oui, c’est sûr, mon corps est une arme blanche. » Il marque une pause, dévisage les quatre hommes qui l’entourent. « Combien de temps ça me prendrait de vous tuer tous les quatre de mes mains ? Allez, cinq minutes, pas plus. » « Moins, sans doute », lui objecte-t-on. Le fauve répond, avec un grand sourire : « Oui, mais je prendrais mon temps. »

Le champion a toujours aimé faire rire autant qu’être craint. Du temps où il étudiait à l’Institut national du sport (Insep), situé dans le bois de Vincennes, à Paris, si un autre adolescent faisait du bruit le soir, il lui collait « une rouste » et hurlait : « Toi, tu n’as peut-être pas envie d’être champion, mais, moi, oui ! » Dès son premier jour dans la pouponnière du sport d’élite français, il n’a qu’un objectif, que sa photo rejoigne sur les murs celles de ses illustres prédécesseurs. « Je n’ai eu aucune vie sociale, j’ai mené une vie de solitaire, en décalage total avec mon âge. C’était dur, je combattais avec des gars beaucoup plus âgés que moi, j’étais toujours le plus jeune. Il m’a fallu deux ans pour prendre ma place, mais, en attendant, on s’est bien bastonnés. »

Le grand frère de la nation

Champion du monde à 18 ans en 2007, il remporte la médaille de bronze aux JO de Pékin l’année suivante. « J’ai failli devenir footballeur, mais je ne supportais pas de perdre un match parce que des coéquipiers ne mouillaient pas assez le maillot. J’ai donc décidé de ne dépendre que de moi. Et de toujours viser l’excellence. Même aux jeux de société, je déteste perdre. » Lui qui commence le judo à l’âge de 5 ans se fait très vite adorer des médias. Il est le digne successeur d’un Thierry Rey ou d’un David Douillet dans un sport à l’écart des polémiques sur le dopage ou l’argent fou, dont sont entachés le cyclisme ou le football.

Une discipline qui permet aussi, traditionnellement, à la France de glaner un grand nombre de médailles (à l’image de Clarisse Agbegnenou sacrée à deux reprises aux JO de Tokyo, en 2021). Teddy Riner, lui, devient une sorte de grand frère protecteur de la nation, dont la carrière est suivie de près par ses parents. Sa mère, Marie-Pierre, est assistante puéricultrice. Son père, Moïse, employé de La Poste, s’improvise, avec talent, agent de son géant de fils (ce qui n’est plus le cas aujourd’hui).

La popularité du judoka ne s’est jamais démentie. En 2021, avant les JO de Tokyo, l’institut de sondage Odoxa sonde son image au sein de la population. Les chiffres sont sans appel : 92 % des Français ont une bonne image de Teddy Riner et neuf Français sur dix souhaitent qu’il joue un rôle important dans le sport français une fois sa carrière terminée. En mars 2023, RMC publie un sondage Harris Interactive réalisé auprès de 1 107 personnes afin de savoir qui incarne le mieux l’olympisme dans l’histoire du sport français. Le vainqueur ? Teddy Riner, encore. Statista, portail en ligne spécialisé dans les études de marché et d’opinion, dresse deux mois plus tard le classement des sportives et sportifs français les plus populaires : Teddy Riner dépasse Kylian Mbappé et Antoine Dupont, le capitaine du XV de France.

Une pluie de contrats publicitaires

Avec le temps, et au rythme des médailles, les contrats publicitaires et les sponsors se mettent à pleuvoir. Decathlon (partenaire officiel), Carrefour, Crédit agricole, les montres de luxe Audemars Piguet, Basic-Fit, Maroc Télécom… Il y a deux ans, le groupe Carrefour, qui a cessé en 2019 de parrainer l’équipe de France de football, se lance dans le sponsoring des JO de Paris.

« Nous avons beaucoup travaillé avant de prendre la décision de devenir partenaire premium des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024, explique le PDG de l’enseigne, Alexandre Bompard. Nous nous sommes posé la question de savoir qui pouvait incarner cet engagement. J’ai tout de suite pensé à Teddy Riner. Il est l’un des plus grands athlètes français de tous les temps. Il possède aussi un ancrage très populaire, une image que nous voulions nous-mêmes donner à notre soutien aux Jeux olympiques. Il pratique aussi un sport qui correspond bien à ce que nous voulons diffuser comme valeurs : l’humilité, le travail, le respect de l’autre. »

Alexandre Bompard, dont le père, Alain, dirigea l’AS Saint-Étienne, loue aussi un athlète « très souvent présent sur le terrain, dans les magasins, avec un engagement total de sa part ». Lors du tournage des films publicitaires, avec Teddy Riner poussant son chariot, le champion est même resté jusqu’à 4 heures du matin pour regarder les rushs.

Parfois, il commet des impairs vis-à-vis des sponsors. En 2019, membre du PSG Judo, il prête à titre personnel son image à Ford, alors que le Paris Saint-Germain a signé avec Renault quelques mois plus tôt. Les contrats publicitaires s’enchaînent et atteignent des centaines de milliers d’euros. Le niveau de vie du judoka flambe. Le Parisien, en 2017, a estimé le ticket d’entrée pour devenir partenaire de Teddy Riner à 500 000 euros et ses revenus de 2016 à au moins 5 millions d’euros.

Proche de Patrick Balkany et de Mohammed VI

Il devient membre et salarié du Levallois Sporting Club à partir de 2009. Sa proximité avec le maire de la ville, Patrick Balkany, interroge la chambre régionale des comptes d’Île-de-France qui se demande pourquoi son salaire a été triplé depuis son entrée au club, pour atteindre 24 000 euros brut mensuels en 2013, sans compter des « avantages non négligeables en nature », ajoutent les magistrats.

En 2017, Teddy Riner est transféré au Paris Saint-Germain, propriété du Qatar. Selon une enquête de Yann Philippin et Antton Rouget publiée par Mediapart en 2019, « le roi du Maroc Mohammed VI a alors fait part des problèmes de son ami Teddy Riner à l’émir du Qatar. Lequel a demandé à ses conseillers de créer de toutes pièces une section judo au PSG afin de pouvoir embaucher le judoka à un très confortable salaire de 40 000 euros net par mois. »

Teddy Riner a toujours démenti tout échange de bons procédés avec le roi du Maroc et dit ignorer si son embauche au PSG a été liée à un contact entre le souverain et l’émir du Qatar. Tout juste consent-il à admettre qu’il connaît « très bien Mohammed VI ». Il a été invité à la réception du roi à l’Elysée en 2017 par François Hollande. Un site marocain a aussi publié sa photo à Paris, en 2019, en compagnie du monarque et de son cousin, le prince Moulay Ismaïl, au restaurant de l’Hôtel Costes, à Paris.

Teddy Riner l’avoue sans détour : il veut « bien vivre ». Comme Kylian Mbappé ou l’ancien basketteur Tony Parker, dont il est proche. Avec ses quatre cent soixante mille licenciés en France, le judo ne joue pas dans la même cour que le football, le tennis ou le basket-ball en matière d’enjeux financiers, de droits télé et de notoriété internationale des athlètes. Vivre comme une star du football ou du basket, un objectif atteignable pour un judoka ? Les spécialistes s’accordent à dire que non…

Devenu dur en affaire

Au sein même de son entourage, certains s’inquiètent d’une « folie des grandeurs ». Un de ses anciens amis, qui a requis l’anonymat, décrypte : « Un jour, il a décidé qu’il ne voulait plus que son père se mêle de ses affaires. A ce moment-là a débuté le chapitre du garçon qui se dit : “Je veux devenir un businessman.” Il est devenu un gars de plus en plus dur en affaires, au quotidien, dans le travail. C’en était fini du gentil Teddy. Quand il s’est lié d’amitié avec le roi du Maroc, on l’a perdu.

Dès ses 18 ans, Teddy Riner croise la route de ce qui se fait de mieux en matière de conseils dans le domaine du sport : l’attachée de presse Laurence Dacoury et l’avocate spécialisée Delphine Verheyden, qui accompagne encore aujourd’hui Kylian Mbappé. Pendant près de dix ans, le trio fonctionnera à merveille. Aujourd’hui, aucune des deux ne travaille plus avec lui. Contactées, l’une et l’autre n’ont pas souhaité répondre, précisant simplement que les collaborations se sont achevées de leur fait ou du moins d’un commun accord. « Elles lui disaient de faire attention à qui il fréquentait, à ce qu’il disait, de ne pas signer tout et n’importe quoi, il n’entendait pas, témoigne un connaisseur du dossier. On aurait dit un diabétique voulant convaincre son médecin de le laisser manger du sucre. »

L’intéressé a évidemment une autre vision des choses : « Si j’arrête de travailler avec quelqu’un, c’est que quelque chose s’est passé et que j’ai toutes les preuves, lâche Teddy Riner sans vouloir en dire davantage. Dans ce cas, ce n’est pas la peine de venir s’expliquer. Je dis que j’ai “besoin de changement” et voilà. La vie est jonchée de rencontres et je marche au feeling. » A-t-il déjà été déçu par les gens qui l’entourent ? Il explose de rire : « Oh ! putain, mais tellement de fois ! Mais tu avances et tu comprends mieux comment fonctionne l’être humain. Est-ce que je suis devenu méfiant ? Tu es bien obligé, ça t’aguerrit. Je sais que je suis devenu une obsession pour certains, une proie, un objet de convoitise. »

Son préparateur physique et mental, Julien Corvo, qui se présente comme le cousin de Teddy Riner, a pris place à ses côtés autour de la table du déjeuner : « Les gens ne viennent pas pour lui, les gens viennent pour se servir de lui. Ils vont chercher à lui plaire pour en tirer profit, mais avec l’expérience on ressent vite le réel. Face à Teddy, je pense que les gens sont dans le fake dans 70 % des cas. »

Un grand écart entre Carrefour et Balenciaga

Depuis décembre 2023, le médaillé d’or olympique collabore avec Frédéric Vilches et Joseph Degbadjo, les deux fondateurs de L’Agence magnifique (L’AM). Elle gère l’image publique et les sponsors de champions tels que le skippeur Quentin Delapierre, la pentathlète Elodie Clouvel ou le rugbyman Cameron Woki. Frédéric Vilches explique que leur rôle est de « permettre à Teddy de montrer à tous ce qu’il est vraiment, quelqu’un de très populaire mais aussi de très fin, un esthète qui aime le beau ».

Sans doute est-ce pour cela que le judoka a récemment posté sur son compte Instagram (1,4 million d’abonnés) des images sur lesquelles on le voit porter des tenues de la maison Balenciaga. Au risque de réaliser un grand écart entre Carrefour, d’un côté, et le luxe de l’autre ? Alexandre Bompard s’en accommode : « Il ne faut pas forcément multiplier les collaborations, mais incarner un groupe comme le nôtre et une maison de luxe n’est pas incompatible, d’autant qu’il s’agit de deux maisons françaises. Je pense juste qu’il doit garder à l’esprit de conserver son ancrage populaire. C’est son bien le plus précieux. » S’il doit suivre un exemple, le PDG de Carrefour lui recommande de s’inspirer de Zinédine Zidane : « Il sait dire non, incarner peu de marques mais de grande qualité, s’associer aux bons projets, aux bonnes associations… »

Plus tard, quand Teddy Riner aura arrêté le judo (il parle de continuer jusqu’aux JO de Los Angeles, en 2028), se rêve-t-il en icône de grandes maisons de luxe ? En acteur de cinéma ? En humanitaire ? Il soutient déjà l’Unicef et la Fondation Imagine, l’institut des maladies génétiques de l’hôpital Necker-Enfants malades. En chef d’entreprise ? Il l’est déjà, de fait, se définissant comme un investisseur, dans l’immobilier et d’autres sociétés. Quand son téléphone sonne, il répond à voix basse, devenant soudain un homme d’affaires discret. Il avait aussi annoncé vouloir se lancer dans la production d’un manga.

Ses nouveaux agents aimeraient, eux, qu’il devienne « l’incarnation du mouvement olympique français ». Ne l’est-il pas déjà ? En réalité, Teddy Riner se dit prêt à tout, quitte à partir dans de multiples directions. « Vu d’où je viens, ce que j’ai accompli, je n’ai peur de rien. Tout a été tellement dur, la montagne ne sera jamais assez haute pour moi. On m’a proposé plein de rôles au cinéma, à la télé, j’ai toujours tout refusé. Parce que je ne suis pas prêt. Le jour où je me déciderai, j’irai d’abord prendre des cours de comédie. Je ne veux surtout pas être bidon, en rien. »

« Si je me lance en politique, c’est pour viser plus haut »

On lui parle alors de politique, puisque lui-même, de temps en temps, avoue ses ambitions. « Il y a des choses que je ne comprends pas dans mon sport et dans le sport en général, lâche-t-il. Le sport devrait garder sa simplicité, sa sainteté, sa clairvoyance, mais il est trop souvent pollué. » Par quoi ? Par qui ? « Je n’en dirai pas plus, je parlerai peut-être après les Jeux de Paris. » Ses conseillers l’assurent, « sa parole a le poids de celle d’un chef d’Etat ».

La preuve, selon eux, en février, sur France 2, face à Léa Salamé, Teddy Riner s’indigne de n’avoir reçu pour les JO que deux places pour ses proches. Cette déclaration aurait changé la donne au plus haut sommet de l’État, les athlètes sélectionnés étant finalement destinataires de davantage d’invitations. Faux, selon la ministre des sports, Amélie Oudéa-Castéra. Même le président de la Fédération française de judo est obligé de réagir à son tour, dans Le Parisien, le 25 février : « Avec toute l’affection et le respect que j’ai pour Teddy Riner, (…) je ne peux pas le laisser dire ce qu’il a exprimé sans réagir. » Stéphane Nomis rappelle aujourd’hui qu’il a toujours été prévu que les judokas reçoivent au minimum huit places chacun.

Le patron de la fédération doute que la politique soit l’avenir du champion. « Teddy est quelqu’un de très intelligent, disposant d’un gros réseau, mais il est peut-être encore un petit peu jeune pour comprendre que la politique et les affaires, ça ne va pas ensemble. J’aurai un jour une discussion avec lui à ce sujet. Teddy n’est pas tout le temps bien entouré, il y a beaucoup de monde autour de lui et on peut le laisser dire des bêtises. La politique, pour moi, ce serait une grosse erreur. »

Président de l’agence de conseil en communication MCBG Conseil et professeur à Sciences Po, Philippe Moreau Chevrolet fait preuve du même scepticisme : « Dans l’opinion, le champion de judo, c’est le grand frère rassurant, protecteur, avec les valeurs associées à ce sport. C’est très pratique pour un pouvoir politique d’avoir un judoka, on l’a vu pour la droite avec David Douillet. Mais, si Teddy Riner veut d’abord devenir entrepreneur, il va falloir faire un choix. S’il se transforme en vedette bling-bling via les réseaux sociaux, il peut affecter son image et même celle de son sport de façon durable. Vous ne pouvez pas incarner Marianne et devenir une sorte de star à la mode de Dubaï. »

Double champion olympique devenu député puis furtif ministre des sports sous Nicolas Sarkozy en 2011-2012, David Douillet l’a longtemps couvé sous son aile protectrice. Sollicité, ce dernier n’a pas souhaité parler de son ancien protégé. Demeure-t-il pourtant un exemple à suivre, lui le champion olympique de judo devenu personnalité politique ? Teddy Riner sourit encore en coin : « Je crois que tu n’as pas bien compris. Tu veux que je fasse ministre des sports pendant six ou sept mois et après, basta ? A quoi ça sert ? Moi, je vise l’excellence. Je ne m’interdis rien. »

Pour bien se faire comprendre, il ajoute : « Je suis passionné d’aviation. On me demande : “Pourquoi tu ne passes pas ton brevet de pilote ?” Mais, ce n’est pas ça que j’ambitionne. Je veux avoir ma propre compagnie aérienne. Si je me lance en politique, c’est pareil. C’est pour viser plus haut. » « La présidence de la République ? », ose-t-on. « Oui, pourquoi pas ? Je le dis haut et fort. Ce n’est pas se vanter mais se dire que, si tu veux faire bouger les choses, fais-le sérieusement. »

Vraiment ? « Teddy est un joueur, c’est dur de savoir s’il pense toujours ce qu’il dit », prévient un cadre de la Fédération française de judo. Mais là, il semble tout ce qu’il y a de plus sérieux. On enchaîne : « Vous qui voulez incarner le mouvement sportif français, vous positionnerez-vous en 2027 si Marine Le Pen ou Jordan Bardella sont en position de remporter l’élection présidentielle ? » Son agent intervient soudain : « On va s’arrêter là, c’est fini ! » Teddy Riner hoche la tête, ajoute : « Je ne suis pas là pour parler de ça », salue poliment et cale la séance d’entraînement de l’après-midi avec son préparateur physique et mental. Insaisissable. Une immense qualité, dit-on, pour un judoka.