Gaza, le 7 octobre, l’Eurovision, la guerre sans issue… grand entretien avec le célèbre écrivain, Etgar Keret, et cinéaste israélien, Jean-Sébastien Ferjou.
Jean-Sébastien Ferjou : L’Eurovision a été le théâtre de nombreuses polémiques autour de la chanteuse israélienne Eden Golan. En tant qu’écrivain, en tant qu’artiste, comprenez-vous ces artistes qui ont essayé de profiter de l’occasion pour en faire taire une autre juste à cause de sa nationalité ? Ou peut-être est-ce aussi parce que sa chanson peut être entendue comme une référence au 7 octobre ?
Etgar Keret : Parler de l’Eurovision, alors que l’on compte encore des centaines de milliers de sans-abri à Gaza et plus de 60 000 personnes chassées de leur maison en Israël, a quelque chose d’un peu étrange. D’autant que les combats incessants se poursuivent et que des personnes disparues n’ont toujours pas été retrouvées par la Croix-Rouge. Cela étant dit, je me permets de commencer par rappeler que l’Eurovision n’est pas systématiquement gagnée par des pays occidentaux. Participer à l’Eurovision ne suffit pas à prouver que vous êtes un pays occidental – cela est défini par votre système judiciaire. J’aurais d’ailleurs du mal à qualifier l’Eurovision d’exposition artistique. Je n’y vois pas beaucoup de valeur artistique, si je dois être honnête. Naturellement, la question de l’Eurovision en soulève d’autres, du ressort politique notamment. C’est une compétition qui n’est pas sans alimenter un certain nationalisme autour d’elle et je suppose que c’est d’ailleurs lui qui, pour partie au moins, motive le vote des uns et des autres. Il serait naïf de nier la dimension politique de l’Eurovision. Et pourtant, j’ai beaucoup de mal à identifier ce que gagner la compétition peut bien signifier en pratique.
Dans un cas comme dans l’autre, et pour en revenir à votre question, il m’apparaît important de préciser que je suis contre tout boycott artistique, en tant qu’auteur moi-même. Je n’aime tout simplement pas les boycotts. C’est peut-être parce que je ne suis pas quelqu’un de très moderne mais, au global, j’ai du mal à souscrire à la cancel culture. Je crois, en revanche, que chacun d’entre nous a sa façon de réagir à l’art. Combien sont ceux qui, autrefois fan de Michael Jackson, ont décidé d’arrêter de l’écouter après avoir appris les accusations le concernant ? J’en ai rencontré plusieurs qui, bien qu’aimant beaucoup sa musique, n’arrivaient pas à se sortir le reste de la tête et n’éprouvaient donc plus l’envie de l’écouter. C’est quelque chose que je peux entendre, que je respecte même. Ce avec quoi j’ai plus de mal, je dois bien l’avouer, ce sont les critères arbitraires que d’aucuns érigent et qui nous dictent comment il faudrait agir, qui il faudrait encourager, à qui il faudrait accorder des points ou non. Particulièrement quand ces individus cherchent ensuite à imposer ces mêmes critères et ces mêmes vues à tout autre personne se trouvant dans la vicinité. Il y a, à mon sens, une grande différence entre ces deux façons de réagir à l’art que l’on observe.
A titre très personnel, j’aurais davantage tendance à m’identifier à quelqu’un ramassant une pierre et la lançant individuellement sur une autre personne ayant commis quelque chose d’horrible (métaphoriquement, bien sûr) plutôt qu’à celles et ceux qui se laissent aller aux mouvements de foules, aux assauts et aux lynchages publics comme ceux auxquels nous avons pu assister.
L’art, ne l’oublions surtout pas, n’a pas de but. Quand j’écris une histoire, ce n’est pas exactement comme si les gens la lisaient. Souvent, j’ai l’impression que cela va au-delà. C’est comme partager une sorte de rêve. Les gens veulent devenir plus grands, certains me donnent de l’argent, d’autres m’embrassent sur la bouche. Et bien que je puisse avoir un problème avec l’aspect rationnel de n’importe lequel de mes soi-disant ennemis, je suis toujours heureux d’écouter leurs rêves. C’est un moyen d’exposer l’humanité. En tant qu’enfant d’un survivant de l’Holocauste, je me souviens que ma mère et mon père parlaient plusieurs langues et lisaient de nombreux livres. Quand j’étais jeune, je me suis promené dans notre maison et j’ai trouvé l’un des livres qu’ils gardaient dans leur armoire. C’était Mein Kampf, écrit en allemand. Naturellement, j’ai dit à mon père qu’il était fou de le garder. Hitler avait tué notre famille, mes grands-parents, la sœur de mon père et le frère de ma mère. Mon père m’a répondu : « Mon fils, si quelqu’un a tué six millions de personnes de mon peuple, je pense que c’est une raison suffisante pour s’intéresser à ce qu’il pense, à ce qu’il a à dire ».
Mes parents écoutaient également du Wagner. Cela peut peut-être paraître anodin, mais pour moi c’est une réalité qui soulève une question majeure : celle de la perception que l’on peut avoir de l’art. A l’époque, en Israël, Wagner était boycotté par un orchestre philharmonique parce qu’il était antisémite et qu’il était le musicien le plus célèbre de l’Allemagne nazie. Nos voisins ne comprenaient pas pourquoi ma mère écoutait Wagner, même si elle l’aimait. « Vous savez, leur disait-elle, les nazis aimaient aussi l’Apfelstrudel. Et elle d’ajouter : « Je ne m’empêcherais pas d’aimer l’Apfelstrudel juste parce qu’un nazi l’aime aussi »
Je suis un libéral, marqué à gauche. C’est en cette qualité que j’ai souvent été amené à passer à la télévision israélienne et à venir en soutien de plusieurs poètes et écrivains défendant des idées libérales de gauche, parfois très radicales. C’est arrivé très souvent. Certains se plaignaient de la qualité des programmes, des éléments qui étaient ou non compris dedans quand d’autres s’offusquaient davantage du prix qu’un livre pourrait récupérer. J’ai tendance à penser, à titre personnel, que le rôle de l’art est d’être extérieur à la vie. C’est un véritable cadeau à mes yeux : cela signifie qu’il existe un espace où nous pouvons essayer d’oublier la biographie ou la nationalité de quelqu’un pour nous concentrer sur son moi humain et l’exposer.
L’écrasante majorité des Israéliens estimeraient, aujourd’hui, que le plus grand danger pesant sur Israël est l’Iran. Je dois pourtant dire qu’à titre de cinéaste, la plupart de mes films préférés sont iraniens. Je ne les apprécie pas en raison de qui les a produits ou qui les a filmés mais bien parce qu’ils mettent en scène des relations et des dynamiques que je trouve intéressantes. L’un des films auxquels je pense concerne le divorce d’un jeune couple dans une société très religieuse.
Je pense, après avoir dit tout cela, avoir su exprimer mon ressenti : le boycott ne permet pas de réponse nuancée. Il est par essence binaire et consiste fondamentalement à écouter ou à ne pas écouter la chanson de Michael Jackson. C’est à mon sens un refus de la complexité réelle des situations auxquelles nous sommes tous confrontés et c’est bien dommage. Je pense personnellement que l’on peut apprécier une chanson sans pour autant éprouver de l’affection, de l’estime ou du respect pour l’artiste qui la chante. C’est un niveau de complexité dont je peux m’accommoder. Je trouve le refus plus inquiétant, en cela qu’il n’est pas sans rappeler certains des moments de notre histoire comme l’Inquisition espagnole ou les autodafés russes. Parfois, il a pu déboucher sur des résultats positifs, comme cela fut le cas en Afrique du Sud, mais je ne pense pas que ce soit un outil à utiliser in fine. Sur le temps long, il fait tout de même plus de dégâts qu’il n’a de bien fait.
Je dois également ajouter, avant de conclure, que je ne sais pas si l’Eurovision peut vraiment être considéré comme de l’art. Tout cela me fait penser à une petite histoire sur le choix qui s’offre à nous : dans la première situation, on rencontre un homme adulte en train de frapper une petite fille. Que faire ? La question est simple. Il faut l’arrêter. Mais dans la deuxième situation, notre individu fictif a entendu une conversation dans un café. C’est le père qui dit à son enfant qu’il ne sera jamais bon à rien, ni aussi bon que son frère. Là, je parierais qu’il est plus difficile de savoir ce qu’il faut faire et que certains d’entre nous réagiraient et d’autres non. Tout le monde comprendrait que vous ne le fassiez pas et personne, je pense, ne vous en voudrait. De même si vous choisissez d’intervenir. Dans le passé, chacun pouvait choisir de ne pas faire ses courses là où le propriétaire du magasin maltraitait ses employés et traitait les femmes de midinettes. Certains d’entre nous s’en moquaient, d’autres faisaient moins d’achats et d’autres pas du tout. Mais c’était notre choix à faire, notre action à entreprendre. À l’heure actuelle, ces actions s’inscrivent dans une dynamique de foule. Vous ne pouvez pas vous rendre à une lapidation et dire que vous voulez maudire le type, ni essayer de lui parler ou de lui offrir une fleur. Ce que vous pouvez faire, c’est ramasser une pierre et la lancer. Pour moi, cela déshumanise la foule qui y participe et je pense exactement la même chose des boycotts culturels.
Je terminerai sur un dernier argument en défaveur du boycott des artistes : j’ai récemment été vaincu par mon fils dans le cadre d’un défi un peu idiot, qui consistait à ne lire aucun auteur blanc, hétérosexuel et cisgenre dans l’année. J’ai été amené à lire beaucoup de livres, parmi lesquels ceux d’une écrivaine afro-américaine, ceux d’écrivains musulmans ou arabes et même ceux d’un écrivain bouddhiste. Hélas, une nuit alors que j’étais frappé par l’insomnie, j’ai ouvert un des livres de Dostoïevski, qui était effectivement un homme blanc, hétérosexuel et cisgenre. Mon fils a donc gagné alors même qu’il n’a rien lu. C’est un concours qui aura récompensé l’ignorance.
Il y a quelques mois, vous avez déclaré que vous n’arriviez pas à comprendre la violence qui s’est déchaînée depuis le 7 octobre. Maintenant que le temps a passé, voyez-vous quelque chose de plus clair dans la tragédie qui se déroule à Gaza pour les deux parties ?
Quand deux pays sont en guerre, en temps normal, ils poursuivent des objectifs stratégiques logiques et atteignables. Il s’agit le plus souvent de contrôler des territoires, on pourrait aussi imaginer, dans le cas présent, la libération des otages détenus par le Hamas. Pour l’essentiel, la violence n’est guère qu’un outil pour arriver à ses fins. Sauf, bien sûr, dans le cadre d’attentats terroristes comme les Parisiens ne le savent sans doute que trop bien.
Force est de constater que, dans le cas présent, ni le Hamas ni Benjamin Netanyahou n’entretiennent le moindre objectif stratégique atteignable. C’est une guerre, à mes yeux, qui oppose un gouvernement de colons racistes à un mouvement terroriste, dirigé par Yahya Sinwar. Ce dernier dirait probablement que si les choses avaient tourné en sa faveur, le Hamas aurait tué plus de gens. Il aurait également pu dire qu’il essayait d’effrayer l’ensemble du pays afin de l’obtenir uniquement pour le Hamas. Il est évident que cela n’arrivera pas : cela aurait seulement signifié plus de morts, d’abord du côté israélien, puis les Israéliens seraient venus et auraient tué beaucoup de Palestiniens. Mais Sinwar ne se soucie pas de cela, n’est-ce pas ? Netanyahou, de son côté, rejette en bloc l’idée même de l’existence d’un Etat Palestinien en raison de ses vues très marquées à droite. La seule solution qui pourrait lui sembler acceptable consiste à envoyer les Gazaouis vivre en Arabie Saoudite. Ce n’est pas non plus une solution.
J’avais beaucoup d’espoir au début de ce conflit. Je voulais que cela soit couronné de succès, c’est-à-dire que le gouvernement n’ait pas menti et qu’il parviendrait à sauver les otages en menaçant le Hamas. Malheureusement, sept mois plus tard, il apparaît évident que c’était un mensonge. Il est clair désormais, pour quiconque en doutait, que le Hamas ne se soucie pas plus du sort des Gazaouis que notre gouvernement ne s’intéresse à celui des otages capturés le 7 octobre.
Ce qui anime Netanyahou et Sinwar c’est l’esprit de vengeance, la volonté de montrer leur puissance, de prouver qu’ils sont les durs à cuire les plus forts de la région. C’est ce type de logique qui est à l’œuvre ici. Ce qui nous amène à nous poser une seule question : qu’y a-t-il après la guerre ? Sinwar sait très probablement qu’il mourra avant la fin du conflit parce qu’il est responsable d’un attentat meurtrier et qu’un pays très puissant veut qu’il soit traduit en justice ou qu’il périsse. Ses partenaires au sein du Hamas ne soutiennent pas certaines de ses actions, car elles ont entraîné la destruction de plusieurs villes. Rien de bon ne peut lui arriver après la guerre. Netanyahou, pour sa part, reste en place tant que la guerre se prolonge. Personne ne peut le démettre de ses fonctions parce que nous sommes en guerre. C’est un moyen de rester au pouvoir.
Je crois que leur objectif est de faire durer cette guerre aussi longtemps que possible. Ce qui signifie que des soldats et des civils meurent.
Vous avez récemment écrit une nouvelle qui a été publiée dans Le Monde et The Guardian sur un Israélien qui priait de plus en plus fort pour la paix, ne comprenant pas pourquoi Dieu ne répondait pas à ses prières pour la paix ni pour le retour des otages. Sans trahir la fin de l’histoire et sa signification spécifique sur la religion, votre but était-il aussi de montrer que les intentions ne suffisent pas, que seules les actions concrètes comptent ?
Il pourrait s’avérer utile de revenir sur ce qui m’a poussé à écrire ce récit. J’ai une sœur aînée que j’aime beaucoup. Elle est devenue ultra-orthodoxe aux alentours de 20 ans et elle en a désormais 62. C’est une femme qui habite à Mea Sharim, où les habitants pourraient ressembler à ceux des communautés Amish. Ainsi, tout le monde y parle le yiddish et les gens ne votent pas pour les élections. Ils rejettent jusqu’au régime politique qui est le nôtre. Pour résumer sommairement, il s’agit des Juifs religieux les plus extrémistes que l’on puisse imaginer et ma sœur en fait partie. En revanche, c’est important de le noter, ils sont très attachés au pacifisme. Un jour, j’ai d’ailleurs demandé à ma sœur ce qu’elle pensait des Palestiniens qui vivaient sur le sol israélien. Elle m’a répondu qu’elle était une invitée, ici, et que Dieu l’avait autorisée à rester quand il avait invité l’ensemble du peuple Juif à le rejoindre sur ces terres. Selon elle, il apparaît plus que probable que Dieu ait également invité d’autres personnes. Dès lors, a-t-elle affirmé, nul ne peut venir la chasser mais il ne lui appartient pas non plus de dire qui devait rester et qui devait partir.
Elle est mère de 11 enfants et grand-mère de plus de 50 petits enfants, qu’elle a arrêté de compter après le cinquantième, car elle est persuadée que cela porte malheur.
Nous nous aimons beaucoup, mais nous avons très peu de choses en commun sur le plan de la conversation. Elle n’a pas de télévision, nous ne pouvons donc pas parler de films et je ne lis pas ce qu’elle lit. Notre relation, bien que très forte, est aussi très étrange. Tout tourne autour des fleurs, des couchers de soleil et des enfants.
Lorsque la guerre a commencé, j’étais dans une situation très difficile sur le plan émotionnel. Quelqu’un que je connaissais avait été kidnappé puis assassiné. Mon ex-petite amie a perdu son frère ainsi que la femme de celui-ci et, en tant que personnalité publique, beaucoup de gens m’ont demandé de l’aide. Ce n’était pas facile et je n’étais pas qualifié pour cela. Au bout de quelques semaines, j’ai parlé à ma sœur qui, si elle n’avait pas l’air heureuse, avait l’air très fière d’elle. Elle m’a expliqué combien elle avait prié depuis le début de la guerre. Je lui ai dit à quel point il était difficile pour moi d’aider ces personnes à savoir si leurs parents étaient morts ou non et elle m’a répondu qu’elle priait merveilleusement bien.
J’ai alors ressenti une certaine amertume. Je me suis mis en colère. Nous ne nous sommes jamais disputés, ma sœur et moi (alors que je me dispute avec tout le monde), parce que c’est une personne si gentille. Remarquant que je n’étais pas gentil avec elle, je lui ai dit que ce n’était peut-être pas le meilleur moment pour parler.
La plupart du temps, quand quelque chose me met en colère et finit par m’occuper l’esprit durablement, je décide d’écrire à ce sujet. L’exercice est toujours le même : je narre ce récit du point de vue de la personne contre laquelle j’éprouve ces sentiments, de sorte à me plonger dans leur peau, à être contraint de les humaniser et à trouver une raison humaine pour expliquer pourquoi ils agissent ainsi. La plupart du temps, il faut bien le reconnaître, ces histoires sont assez médiocres. J’en ai rédigé en tout et pour tout 14 ans concernant Benjamin Netanyahu. Aucune d’elle n’est bonne, mais chaque fois cela m’aide souvent à me calmer. Au moins un peu.
Lorsque j’écris ce genre d’histoire, je ne sais jamais ce qui va se passer. Dans le cas de la nouvelle que j’ai écrite sur quelqu’un comme ma sœur, j’ai fini par réaliser que prier est pour elle ce qu’écrire de la fiction est pour moi. Il n’y a pas de différence entre prier et écrire de la fiction. C’est la même chose dans le sens où ce qui m’empêche de prier, c’est de supposer qu’il y a quelqu’un qui écoute et se soucie de l’autre côté. Mais en même temps, ce qui empêche la plupart des gens (y compris ma sœur) d’écrire, c’est qu’ils ne peuvent pas imaginer que quelqu’un de l’autre côté du texte pourrait très bien lire leur récit, comprendre ce qu’ils pensent et éprouver de l’empathie pour eux. Chaque fois que j’écris quelque chose, que ce soit pour un film ou une histoire, quelqu’un le trouve mauvais et me dit que je suis un être humain stupide. Mais il doit bien y avoir quelque part un lecteur qui me comprend. Dès lors, il apparaît indéniable que mon processus d’écriture n’est pas si différent de la façon dont ma sœur prie. Depuis le début de la guerre, j’ai été amené à rédiger de nombreuses nouvelles de la sorte. Plus récemment, c’est-à-dire à l’issue de celle-ci, j’ai commencé à comprendre que je n’avais pas besoin d’imaginer ce que vivait ma sœur. Je le vis également.
Et de votre point de vue, que peuvent et pourraient faire les Israéliens engagés pour la paix ?
A première vue, c’est une question qui paraît facile. Pourtant, je me suis figé quand vous l’avez posé : désormais, c’est le genre de question qui sonne comme un piège. Je sais qu’en l’occurrence, ce n’est pas le cas, mais tout de même !
Pour bien répondre à cette question, il faut comprendre que la réponse comportera plusieurs volets. Si nous nous attardions d’abord sur ce que les autorités pourraient faire, la première étape m’apparaît aisée : il faut condamner le Hamas avec la plus grande fermeté. C’est une organisation terroriste, qui n’a rien de démocratique et qui a clairement fait montre de ses tendances homophobes. Il faut une autre entité pour diriger la Palestine et fort heureusement, il en existe une : l’Autorité palestinienne. Si notre Premier ministre s’était décidé à lutter contre le Hamas tout en s’assurant de le faire remplacer par l’Autorité palestinienne, je suis convaincu que nous n’en serions plus là depuis longtemps.
Comment espérer des habitants de Gaza qu’ils soutiennent Israël alors que l’Etat hébreu a bombardé de nombreuses villes palestiniennes et tué un très grand nombre de civils ? Le désamour qui est porté par les Gazaouis contre les Israéliens n’est guère étonnant. Mais il suffirait, je pense, de proposer aux Gazaouis une alternative au Hamas pour que les choses changent. A condition, également, de montrer combien le Hamas apporte la destruction sur la population de Gaza, de rappeler les tueries insensées dont cette organisation est responsable. Une Palestine gouvernée par une Autorité palestinienne, hors de tout islamo-fondamentalisme, est possible.
Le Premier ministre, qui a choisi comment répartir l’aide humanitaire qui a été distribuée à Gaza, aurait pu s’appuyer sur ce soutien pour s’assurer une meilleure relation avec le peuple Palestinien. A mes yeux, il disposait de trois pistes. Il a choisi la moins efficace de toutes. La première consistait à distribuer cette aide humanitaire à l’Autorité palestinienne de sorte à ce que cette dernière puisse la redistribuer à la population tout en la gardant loin du Hamas (sauf à ce que celui-ci se batte ouvertement contre l’Autorité palestinienne). La seconde envisageait la possibilité de distribuer l’aide humanitaire directement à la population à travers les mains des soldats israéliens. L’occasion, dès lors, de nouer des liens moins conflictuels entre nos soldats et les civils de Gaza tout en créant de belles images pour la télévision européenne, je suppose. Enfin, la troisième méthode, privilégiée par Netanyahou, consiste à donner l’aide humanitaire au Hamas et le laisser l’utiliser comme un levier de contrôle de la population. Ce n’était pas la bonne solution.
Pour en revenir au cœur de la question, je dirais qu’il est important de rappeler qu’une écrasante majorité (aux alentours de 80%) des électeurs ne veulent plus de Benjamin Netanyahou au pouvoir, à en croire les derniers sondages. Il faudrait donc ne pas le maintenir au pouvoir…. mais notre système étant ce qu’il est, il pousse un grand nombre d’Israéliens à se sentir impuissants et donc ne les encourage pas à tenter de renverser le statu quo. A certains égards, face à ce qui ressemble à une dystopie, je bénéficie de quelques privilèges en tant qu’écrivain. Il est de ma responsabilité d’agir, d’essayer de nous sortir de cet angle mort de la démocratie dans lequel les manifestations sont à peu près aussi écoutées que les prières.
Je voudrais préciser que Gaza souffre beaucoup de ce conflit. Plus — nettement — que ne le fait Israël. Pourtant, il ne faut pas croire que la situation est mirobolante ici aussi. Ces sept derniers mois ont été un enfer, qui ont provoqué la mort de plusieurs de nos proches, la disparition d’autres membres de nos familles encore, et amis. Notre économie est une épave. Les deux pays saignent.
Israël a obtenu le maximum de points de la part du public lors du concours de l’Eurovision et de nombreux sondages aux Etats-Unis ou en France montrent que la majorité silencieuse soutient plutôt Israël. Diriez-vous que ce soutien silencieux est suffisant ?
Pour être tout à fait honnête, j’aimerais vivre dans un monde dans lequel ce n’est pas vers les nations que va notre soutien. Je préfèrerais que nous soutenions des récits complexes, humains. Désormais, je sais d’avance que lorsque l’un de mes vis-à-vis se présente comme un pro-Israélien, il y a de fortes chances qu’il n’écoute rien de ce que j’ai à lui dire, qu’il demeure ancré sur ses positions initiales sans jamais les questionner. C’est vrai également du côté des militants pro-palestiniens, d’ailleurs. Cette question du camp qu’il faut choisir m’a toujours paru étrange. Se revendique-t-on pro-France, par chez vous ? Cela n’a pas grand sens à mes yeux, mais il me semble tout de même que la question, chez nous, prédate l’émergence de problèmes de politiques identitaires en Europe.
J’ai le sentiment, à titre personnel, que tout individu moral devrait être capable de voir, de comprendre qu’on ne peut pas tolérer une situation comparable à celle de Gaza, qui force certaines et certains à vivre sans liberté. Et pourtant, dans le même temps, il faut aussi dénoncer les dirigeants palestiniens (c’est le cas de Yahya Sinwar, notamment) qui refusent catégoriquement la solution à deux Etats et qui affirment à la place vouloir les terres d’Israël « de la rivière à la mer ». Ce n’est pas une option viable, puisqu’elle sous -entend qu’il ne peut exister qu’un unique État, soit celui d’Israël, soit la Palestine. Or, je crois que nous pouvons coexister.
Quel point de vue, s’il y en a un, les personnes qui veulent du bien à Gaza en Europe ou aux États-Unis devraient-elles entendre de la part des Israéliens ?
Tout d’abord, je tiens à dire qu’en tant qu’écrivain israélien, j’ai donné de nombreuses interviews à la presse européenne et américaine. Une cinquantaine, si je me souviens bien. Ce qui n’est pas rien ! Ce que j’ai retenu, au début, de ces discussions avec les journalistes européens et américains, c’est qu’aucun d’entre vous ne comprenait quoi que ce soit à la situation dans laquelle nous nous trouvons. C’était assez simple de le comprendre au vu des discours qui étaient tenus, des questions qui ont pu être posées. Certaines étaient vraiment idiotes ! A peu près autant que de vous demander, aujourd’hui, s’il est vrai que la reine de France vit recluse dans la Tour Eiffel depuis des années. Cela n’a pas de sens.
Je me souviens d’une invitation envoyée par la presse occidentale, pour rejoindre en live une émission de la BBC. Peu avant l’entretien, j’ai fait remarquer à l’un des journalistes que le traitement qu’il faisait du sujet, à savoir le conflit Israélo-palestinien, était très léger. J’ai été poussé vers la sortie à la dernière minute, par des gens qui ne connaissent pas leur sujet ; un sujet confus pour moi aussi mais que j’étudie depuis des années en tant que chercheur à l’université.
Ceci étant dit, je dois bien reconnaître que mon rapport à la question a fini par changer au fur et à mesure que j’ai échangé avec les journalistes occidentaux.
Ce n’est pas qu’ils ne savent rien au sujet de ce conflit, mais plutôt que les gens ici, en Europe, ne sont pas exposés aux mêmes informations qu’en Israël. Les détails changent ou ne sont pas abordés de la même manière. Le récit global n’est pas le même. Ce sont des choses que les gens ne savent pas en Europe ou aux États-Unis. Il y a aussi beaucoup de choses que les Israéliens ne savent pas sur cette guerre. Je pense qu’il en va de même pour les Palestiniens.
Permettez-moi d’illustrer mon propos par la presse. The Guardian, le journal d’information britannique, relatait récemment la réalité de la situation à Gaza où des enfants ont dû être amputés à cause des bombardements récents. C’est une information dramatique, que la majorité des Israéliens ne verront probablement pas, trop occupés qu’ils sont à en apprendre davantage au sujet d’une jeune Israélienne torturée, violée et assassinée dans un kibboutz.
J’ai donc tendance à penser que la bonne question n’est tant de savoir quel regard nous portons sur une même information partagée un peu partout que d’être en mesure de comprendre l’information que nous apportent les autres, de ne pas systématiquement partir du principe que la stupidité est l’apanage de l’autre. C’est étonnant car plus nous avançons sur cette question et plus j’ai l’impression que nous nous retrouvons à débattre de sujets qui ne font pas vraiment l’objet d’un tel engouement. L’un de mes récents intervenants soutenait que la décapitation d’un travailleur thaïlandais par le Hamas à coup de pelle relevait de la fake news. C’était faux mais je me suis retrouvé à chercher, des heures durant, la vidéo qu’il pensait que je n’avais pas réellement vu pour pouvoir finalement lui envoyer par mail. J’ai eu des échanges assez comparables avec des journalistes européens. L’un d’entre eux a vu une vidéo relative aux traitements des otages capturés par le Hamas et en a d’office déduit que les Israéliens étaient nécessairement les gentils de cette histoire, par comparaison.
Notre esprit critique souffre aujourd’hui de l’avènement de récits très rigides et je crois aujourd’hui que chaque individu saute dans le train qui est supposé être le sien. Très peu, cependant, osent suivre leur propre chemin, exprimer leur propre point de vue. Nous ne sommes pas obligés d’être d’accord avec tout ce que fait l’un ou l’autre.
Revenons-en brièvement au 7 octobre, puisqu’il y a là aussi quelque chose d’important à comprendre et sur lequel les Européens peinent à poser le doigt.
Je peux vous assurer que personne ne peut vraiment comprendre ce qui s’est passé ce jour-là sans avoir été présent. Il s’agissait d’une menace existentielle pour notre survie.
Pour la plupart d’entre nous, cela signifiait que des personnes prêtes à nous tuer étaient en mesure de combler le fossé qui les séparait de nous. L’idée que quelqu’un puisse entrer dans votre maison, attaquer vos proches, devient rapidement quelque chose à laquelle vous pensez de temps en temps, pendant votre sommeil. Il y a de quoi avoir peur : des gens sont entrés en Israël. Peut-être qu’ils pourraient entrer dans nos maisons, dans les maisons de nos proches. Cela peut être très effrayant et je sais que les Israéliens prennent de plus en plus de médicaments anti-stress. Certains boivent, d’autres fument de l’herbe. Le fait est qu’ils sont stressés et qu’ils le sont de plus en plus.
Vous avez dit que le 7 octobre était un génocide contre le peuple juif. Que pensez-vous de l’accusation, aujourd’hui si largement répandue, selon laquelle Israël aurait commis un génocide à Gaza, même si les faits ne le confirment pas, comme l’a dit la Cour internationale de justice ?
Permettez-moi de commencer par dire qu’il s’agit d’une citation erronée. Ce n’est pas ce que j’ai dit. Pour être précis, j’ai été invité à une interview et le journaliste m’a posé une question sur la façon dont Israël commettait un génocide à Gaza. J’ai alors fait valoir qu’en s’appuyant sur les mêmes critères que lui, je pourrais dire que le 7 octobre pourrait être considéré comme un projet pilote de génocide. Ce n’est pas exactement la même chose, je pense que vous en conviendrez. D’autant que le point que je tenais à défendre n’est pas là ! Il s’agissait de rappeler que l’utilisation du mot « génocide » rend difficile la tenue d’un argument ou d’un débat entre les gens. Je dis souvent qu’Israël a commis des crimes de guerre à Gaza. Certaines personnes avec lesquelles je discute ont tendance à dire que ce n’est pas vrai, ce à quoi je peux répondre par le contenu de l’accord de Genève. Il s’avère que toute nation est responsable de la population civile des pays qu’elle contrôle. Lorsque nous refusons de donner de la nourriture aux Palestiniens, il s’agit en fait d’un crime de guerre. Les gens peuvent être d’accord ou non, mais nous parlons ici de faits.
Utiliser le mot « génocide », dans le conflit Israélo-palestinien, c’est chercher à placer Israël en lieu et place d’une sorte de mal absolu, avec lequel il devient de facto impossible d’échanger. Je suis convaincu que l’utilisation initiale de ce mot répond à des besoins similaires à ceux qui dictent à la naissance du mot « Prédateur sexuel », lequel remplace « violeur », notamment, mais aussi ceux utilisés pour désigner les divers agresseurs et autres envoyeurs de « dick pic » non sollicitées. Comme « génocide », il s’agit d’un mot un peu vague, derrière lequel il est possible assez aisément de mettre plusieurs réalités et qui, parce qu’ils englobent trop de choses, tendent à obscurcir le langage plutôt qu’à le clarifier. Si Israël mène un génocide aujourd’hui, elle est assez mauvaise dans le domaine, puisque la population palestinienne a été multipliée par 8 depuis la dernière occupation.
Que ressentez-vous lorsque vous entendez ces Israéliens, souvent d’extrême droite, dire qu’Israël devrait saisir l’occasion pour revendiquer la totalité de l’ancienne Palestine biblique et expulser définitivement les Palestiniens ?
Honnêtement, ce sont des mots qui me font particulièrement mal au cœur. Lorsque je me tourne vers le Moyen-Orient, j’ai tendance à regarder les choses avec un objectif particulier : je vois un fondamentalisme religieux très fort.
Je vois aussi le Hamas, et je vois le parti d’Itamar Ben-Gvir, entre autres. Ces groupes et ces nations partagent un récit très messianique – qui est de nature très évangéliste chrétienne. Il pourrait s’agir de l’une des plus grandes menaces pour cette région et peut-être pour une partie du monde.
Dans l’un de vos précédents livres, vous avez écrit une nouvelle sur un homme qui a cessé de nettoyer son appartement parce qu’il pensait que c’était inutile puisque l’Iran risquait de détruire Israël. Depuis le 7 octobre, la possibilité d’une destruction de l’État hébreu est devenue plus plausible qu’elle ne l’a été pendant des décennies. Quel est l’impact de cette peur sur les esprits et les âmes israéliennes ? Et comment cette peur « mûrit-elle » avec l’hostilité croissante manifestée à l’égard d’Israël dans le monde ?
Peut-être ne le saviez-vous pas, mais je travaille sur un nouveau livre, qui devrait être publié en Israël dans les jours à venir.
Lorsque les autorités ont annoncé que l’Iran pourrait attaquer, j’ai décidé d’envoyer un exemplaire de l’ouvrage à deux de mes amis vivant en Europe et aux États-Unis, afin que le livre soit sauvé même si mon pays devait être détruit. En d’autres termes, j’ai pris la menace très au sérieux, du moins d’un point de vue psychologique.
J’ai tendance à remarquer que certains aiment les récits dystopiques comme celui auquel Israël est confronté en ce moment. Personnellement, je suis convaincu que les gens qui ne pensent qu’à leur propre et unique survie font généralement un mauvais travail, quel que soit le domaine dans lequel ils exercent. Ils finissent corrompus ou brisés. C’est à mes yeux ce qui se passe lorsqu’un ministre comme Itamar Ben-Gvir dit « le Hamas aime Biden », par exemple… Ou lorsque d’aucuns remettent en question le nombre de prisonniers que l’armée israélienne ramène, en disant que ce serait « bien » s’ils pouvaient en tuer davantage.
Pour en revenir à la question principale, permettez-moi de dire qu’aucun média n’est obsédé par l’idée de montrer des manifestations de personnes vivant en Colombie et scandant « Du fleuve à la mer » ou affirmant qu’elles vont tuer des sionistes dans le monde entier. Je pense donc que nous avons tendance à exagérer le degré réel d’hostilité auquel Israël est confronté. Mon sentiment personnel est que nous vivons dans un monde très confus, qui peine à appréhender la complexité et construire son récit autour d’elle. Il est souvent plus simple de monter un narratif sur la base d’éléments plus chargés émotionnellement et avec moins de recul. Cela signifie que quiconque sait comment construire une histoire, comment obtenir quelques vidéos, peut en construire une pour dire que les soldats israéliens sont horribles et qu’elle obtiendra du soutien.
Je me permettrais d’ajouter que le Hamas, contrairement à Hitler et ses nazis, ne cible probablement pas les personnes seulement en fonction de leur appartenance ou non à la communauté juive. Hitler voulait tuer les Juifs pour une raison génétique. Yahya Sinwar le fait parce qu’il part en djihad. Peu lui importe que l’on puisse choisir des petits détails que l’on veut mettre dans le monde pour créer une vision du monde simpliste.
Ceci étant dit, je ne suis pas tout à fait sûr que l’idée que le monde nous déteste soit vraiment pertinente, car l’aile droite l’utilise de toute façon ? Je m’explique : lorsque le reste de la planète ne nous soutient pas, la droite dit que c’est parce qu’il y a beaucoup d’antisémites dans le monde et qu’ils ne seraient pas d’accord avec notre projet. Lorsqu’ils ne sont pas sûrs du soutien que nous pourrions obtenir, ils ont tendance à dire que le monde nous hait déjà et qu’il vaut mieux faire ce que nous avons pensé faire, quitte à se mettre certains à dos. C’est ce qui s’est passé après le 7 octobre. Ils nous demandent de dire que les bombardements et tout le reste ne doivent pas être pris dans le vide, parce que nous combattons les gens qui ont tué d’autres personnes dans les kibboutz. Il y a cette idée que le monde ne se soucie pas des détails. C’est une bonne excuse, diront certains, du moins si vous avez l’intention de n’écouter personne.
Dorénavant, et je tiens à le souligner, nous sommes tous devenus de potentiels activistes, au moins à l’aide des réseaux sociaux et de nos smartphones. Le problème étant qu’un grand nombre de ces activistes ne savent pas nécessairement faire la différence entre ce qui relève du sentiment ou de l’émotion personnelle, et ce qui relève de l’action qu’il est possible d’exercer sur un secteur d’activité, par exemple. Un certain nombre de celles et ceux qui ont participé aux marches organisées après le 7 octobre l’ont fait dans l’espoir de faciliter le processus de paix. Hélas, ces marches ont créé une énorme vague d’islamophobie qui a permis l’élection d’un Premier ministre de droite aux Pays-Bas. Je ne suis pas sûr qu’il aurait pu obtenir un tel résultat sans ces grandes manifestations pro-palestiniennes, violentes et parfois antisémites. Ce que je peux voir d’ici, c’est que cela a créé une grande controverse en Europe et, en fin de compte, cela a rendu la vie des réfugiés et des immigrés beaucoup plus difficile.
Je trouve d’ailleurs qu’il est assez courant, de nos jours, d’entendre quelqu’un dire qu’il fait X alors qu’en réalité il fait Y. C’est peut-être moi qui suis condescendant, mais j’ai l’impression que la plupart des protestataires et des manifestants qui chantent sont ignorants. Je pense aussi que la majorité souhaite la liberté pour la Palestine. Elle veut, j’en suis sûr, un monde meilleur en fin de compte. Mais le fait est que les actions qui ont lieu aujourd’hui pourraient très bien conduire à l’élection de Donald Trump. Je ne veux pas dire qu’il ne faut pas se battre et qu’il faut reculer. Pas du tout ! Si j’avais une petite amie afro-américaine, je me battrais si nous ne pouvions pas aller où nous voulions sans être insultés. Ceci étant dit, il est important de procéder sans permettre l’élection de Donald Trump ou tomber dans le piège de l’âge du puritanisme. Nous devrions commencer par appliquer l’idée que vous devriez pouvoir voter pour quelqu’un qui, bien qu’il ne soit pas parfait, englobe la plupart des enjeux que nous attendons. Il pourrait s’agir de lutter contre le réchauffement climatique ou autre chose. Mais là encore, la complexité est essentielle : il n’est pas nécessaire d’adhérer strictement à un programme pour rejoindre quelqu’un. Par exemple, j’aimerais pouvoir soutenir l’Ukraine tout en la critiquant pour ce qu’elle fait de mal.
Vous avez grandi avec des parents qui ont survécu à l’Holocauste et vous faites souvent référence à la façon dont ils en parlaient. En tant qu’adulte, que pensez-vous que l’on puisse expliquer aux enfants israéliens sur ce qu’est leur destin aujourd’hui ? Et aux enfants juifs du monde entier ?
Ces derniers mois, j’ai rencontré beaucoup de gens des kibboutz qui ont été attaqués. Je me suis rendu dans des hôpitaux psychiatriques, dans des centres de soins et, d’une certaine manière, les choses que je leur dis sont celles que ma mère avait l’habitude de me dire. Quand j’étais enfant, elle m’a appris où je devais courir en cas de danger. Elle me disait de ne pas courir là où tout le monde court, mais de m’arrêter et de réfléchir au meilleur endroit pour me cacher. C’est là qu’il faut courir en cas de danger. Elle m’a aussi appris à être un arbre et, plus important encore, les feuilles d’un arbre. Sauf en hiver, où il faut faire pousser ses propres racines.
La leçon que je donnerais est la suivante : lorsque les gens d’ici sont si blessés, ils devraient aller chercher des réponses en eux-mêmes et dans le monde qui les entoure. Ne vous précipitez pas sur la télévision, n’attendez pas Fox News, Al Jazeera ou autre. Rentrez en vous-même et regardez ce à quoi vous vous accrochez.
Qu’est-ce qui vous retourne l’estomac, quel est l’intérêt de dire ou de ne pas dire ce que vous dites ? Quand serez-vous dans la rue ? Voilà, je crois, quelles sont les bonnes questions.